L’acteur fait l’objet d’une rétrospective à la Cinmathèque française. Gros plans sur 8 rôles où son génie d’acteur façonne une image saisissante de la virilité perturbée.
La cinémathèque française met à l’honneur Gérard Depardieu en lui consacrant à partir du 6 janvier une rétrospective de 50 films (parmi les deux cents qu’il a tournés). L’occasion de se retourner sur l’œuvre du plus grand acteur français de son temps ; d’y constater qu’il a travaillé avec les plus grands cinéastes (Resnais, Pialat, Godard, Truffaut, Duras, Chabrol, Ferreri, etc.) ; d’y reconnaître ce qu’il a incarné (ou annoncé ?) de l’homme contemporain dès le film qui l’a lancé (Les Valseuses de Bertrand Blier), un homme qui, sous la pression de la femme, a peu à peu perdu de sa superbe pour révéler ses failles les plus angoissantes. Depardieu, c’est cela : une voix douce, une âme fragile dans un corps de boxeur (comme celui qu’il incarnait dans Vincent, François, Paul et les autres de Sautet), la virilité perturbée, le phallus déchu, mais aussi la liberté retrouvée de se révéler tel qu’on est plutôt que de devoir se conformer aux lois que vous impose la société patriarcale. Démonstration en dix films.
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Maîtresse de Barbet Schroeder (1976)
Le plus grand film, à ce jour, sur le sadomasochisme. Jeune provincial monté à Paris, Depardieu fait la connaissance d’Ariane (Bulle Ogier), le jour où il cambriole son appartement. Elle est maîtresse d’un donjon. Il s’installe chez elle, convaincu qu’il pourra la ramener vers une sexualité plus « normale ». Il n’y a pas d’amour sans rapport de domination, l’amour est une prison, qui fait mal et réjouit à la fois.
Le camion de Marguerite Duras (1977)
L’une des grandes rencontres de Depardieu : Marguerite Duras. Ce sont comme deux enfants qui n’auraient pas le même âge mais qui joueraient ensemble parce qu’ils s’aiment bien. Et le film n’est rien d’autre qu’un film qui se fait sur le dos d’un film, puisqu’il raconte l’histoire d’une écrivaine qui lit le script de son prochain film à un comédien, où il est question d’une femme prise en stop par un routier. On ne voit jamais les personnages, on ne voit que le camion. Depardieu, beau comme un camion, est piloté par Duras.
Rêve de singe de Marco Ferreri (1978)
La deuxième rencontre avec l’un des cinéastes les plus visionnaires et provocateur de son temps, Marco Ferreri, qui possède le génie de sentir les remous de la société. Dans Rêve de singe, Depardieu se fait violer par des féministes. A la fin du film, il meurt brûlé sans avoir vu naître… sa fille. Dans leur film en commun précédent, La dernière femme, Depardieu s’émasculait avec un couteau électrique.
Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais (1980)
Rôle inattendu : celui d’un catholique, fils de paysans qui, à force de travail, est devenu patron. Mais son épouse (Marie Dubois) ne veut pas le suivre dans son nouveau poste. Tiraillé, inhibé, coincé comme un rat dans un tunnel (le film de Resnais est une mise en images étonnante des recherches sur le cerveau du professeur Henri Laborit), il tente de se suicider.
La femme d’à côté de François Truffaut (1981)
Depardieu est l’acteur idéal pour Truffaut. Car chez Truffaut, la femme a souvent l’ascendant sur l’homme. Après Léaud (la saga Doinel), Denner (L’homme qui aimait les femmes), Belmondo (La Sirène du Mississippi) ou Truffaut lui-même, personne ne peut mieux incarner la faiblesse masculine. Déjà, dans le Dernier métro, Catherine Deneuve menait la danse, entre son mari caché et son amant salarié. Dans La Femme d’à côté, c’est Fanny Ardant la plus amoureuse des deux amants. C’est Mathilde-Ardant qui est prête à aller jusqu’au bout, à la folie, à la mort. Bernard-Depardieu, lui, se laisse brinqueballer par ses sentiments, maladroit, mal dans son corps, sans force de caractère.
Police de Maurice Pialat (1985)
Depardieu a tourné quatre films avec Maurice Pialat (les trois autres étant Loulou, Sous le soleil de Satan, Le Garçu). Dans Police, il interprète le rôle d’un flic doux et sensible dans la vie, très violent dans son métier. Il tombe amoureux de Noria, la petite amie d’un trafiquant de drogue, qui ment comme elle respire et qui le mène par le bout du nez (Sophie Marceau).
Les Temps qui changent d’André Téchiné (2004)
L’un des plus beaux films récents de Téchiné. Depardieu est ingénieur. Il est venu travailler à Tanger. En réalité, il est venu retrouver la femme qu’il aimait quand il était jeune, Catherine Deneuve. En la reconnaissant, il heurte une baie vitrée et se blesse. Habité de fantômes de cinéma (notamment les personnages qu’ont interprété Deneuve et Depardieu par le passé), Les Temps qui changent met en scène un Depardieu perdu, errant à jamais dans ses souvenirs, en quête d’une femme qui n’existe plus.
Valley of love de Guillaume Nicloux / Quand j’étais chanteur de Xavier Giannoli / Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine, depuis le début du millénaire.
Depardieu l’a souvent répété : jouer, c’est ne pas jouer. C’est ne rien faire. Dans ces trois films, son actorat passe de l’autre côté du miroir. Ces soi-disant fictions ne sont plus que des documentaires sur lui. On ne voit plus un personnage incarné par Depardieu, on regarde Depardieu vivre sous le personnage. On ne voit plus s’il est un homme ou une femme, on ne voit plus que son âme. On regarde son corps énorme comme on scrute un paysage (Valley of love). Ces films plutôt moyens sont presque injugeables autrement.
Rétrospective Gérard Depardieu 6 janvier-27 février 2016 à la Cinémathèque française
Jean-Baptiste Morain
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