Les virus ont beaucoup inspiré le cinéma… De Leos Carax à Terry Gilliam, voici notre sélection, non-exhaustive, de films de contagion.
Plus qu’un genre en soi, le film de contagion regroupe toute une famille de sous-genres, dont le plus identifié est sans nul doute le film de zombies. Afin de ne pas transformer cette sélection en classement des meilleurs films de zombies (combien de Romero y auraient figuré ?) nous avons décidé de les écarter pour nous concentrer sur des pandémies moins palpables, naturalistes ou fantasques, paraboliques ou littérales. Une sélection évidemment non-exhaustive, et parfaitement subjective.
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Mauvais sang (1986) de Leos Carax
Sans nul doute le plus beau film de pandémie jamais réalisé, car le virus qui frappe ici Paris au mitan des années 1980 tue ceux qui font l’amour sans s’aimer. Derrière cette idée aussi belle que curieusement réac, une allusion au sida (nous sommes alors en 1986 et l’épidémie est dans toutes les têtes), mais surtout une manière pour Leos Carax, qui signe son deuxième long-métrage à seulement 25 ans, de déployer un récit initiatique à la croisée des genres et des influences. Film noir godardien remixé à l’esthétique pop et clipesque des années 1980, histoire d’amour impossible et déchirante, poème visuel et sonore envoûtant, Mauvais sang suit l’itinéraire d’Alex (Denis Lavant), jeune prestidigitateur engagé par deux truands (Michel Piccoli et Hans Meyer), afin de voler dans un laboratoire un vaccin à la STBO, cette nouvelle maladie donc, qui affecte les couples qui font l’amour sans l’amour. Alex tombe amoureux de la maîtresse de l’un des truands (Juliette Binoche), et tout s’accélère. Jusqu’à une fin funeste, mais immensément belle, qui clôt l’un des plus grands films au monde.
Contagion (2011) de Steven Soderbergh
L’année 2011 a semble-t-il connu des angoisses millénaristes à retardement. Après la fin du monde surréelle, dopée au romantisme wagnérien, du Melancholia de Lars Von Trier, Steven Soderbergh proposait une apocalypse autrement plus naturaliste avec Contagion, qui suivait l’itinéraire pandémique d’un virus à travers le monde, dans un film choral qui trouve dans notre actualité virale une curieuse résonance. Si en 2011 le SRAS était déjà passé par là, impossible de ne pas relever les similitudes, parfois troublantes, entre le scénario de Contagion et la situation actuelle. Comme le covid-19, le virus de Contagion vient de Chine, et on suit sa propagation dans le monde à travers le personnage de Gwyneth Paltrow, qui incube la maladie à Honk-Kong, avant de s’envoler pour les Etats-Unis, contaminant d’autres personnes dans son sillage. On suivra les itinéraires croisés de Matt Damon, en victime immunisée, Judd Law, en blogueur complotiste, persuadé que la pandémie est une vaste conspiration gouvernementale, et de Marion Cotillard, chercheuse partie en Chine à la recherche du patient zéro. Solidement mis en scène, Contagion interroge habilement notre société ultra-mondialisée à travers le prisme de la maladie. A savoir que le film connaît un regain de popularité depuis le début de l’épidémie de coronavirus, en témoignent les chiffres de iTunes, où Contagion figure dans le top des films les plus populaires. Prophétique ?
https://youtu.be/4sYSyuuLk5g
Virus (1980) de Kinji Fukasaku
Si Kinji Fukasaku est surtout connu pour Battle Royal, film culte de 2001, le cinéaste japonais (mort en 2003) a laissé derrière lui une filmographie dense, s’étalant sur cinq décennies. En plus de films de gangsters ultra-violents (Combat sans code d’honneur en 1973, Le Cimetière de la morale en 1975) ayant redéfini la figure du yakuza (le faisant passer du guerrier guidé par l’honneur à la crapule motivée par l’appât du gain), et des films de science-fiction singuliers (La Bataille au-delà des étoiles en 1968), Fukasaku a aussi exploré le film de contagion avec le bien nommé Virus, collaboration internationale sortie en 1980. Malgré un budget colossal pour l’époque (plus de 30 millions de dollars), il essuya un échec. Pourtant le film, qui suit à la lettre les codes du genre, propose son lot de séquences virtuoses. Scindé en deux parties, il donne d’abord à voir la propagation anxiogène d’un mystérieux virus qui plonge le monde dans le chaos, avant de basculer dans le survival, et de suivre les habitants de bases internationales situées en Antarctique, seuls survivants à la fin du monde, qui apprennent qu’un séisme menace de déclencher des tirs nucléaires automatisés. Tendu et désespéré, Virus reste, malgré son échec commercial cuisant, l’une des références du genre.
https://youtu.be/XmXADApWR4E
Rage (1977) de David Cronenberg
Quatrième film de Cronenberg, Rage condense déjà toutes les obsessions du cinéaste. Son argument est on ne peut plus cronenberguien : suite à un accident de moto, une jeune femme grièvement brûlée subit des greffes de la peau. Au lieu de guérir, elle se retrouve avec un orifice purulent sous son aisselle, duquel jaillit un dard chargé de pomper le sang d’infortunées victimes. Ce faisant, elle propage une épidémie qui transforme ses cibles en des bêtes enragées. La loi martiale est décrétée. Parabole monstrueuse du sida ou expérimentation maladive d’un cinéaste fasciné par les manipulations génétiques et la monstruosité des corps ? Quoi qu’il en soit Rage s’inscrit dans le premier mouvement, très Z et prodigieusement malsain, de la filmographie de Cronenberg aux côtés de Chromosome 3 ou Scanners (l’idée de pandémie en plus), et préfigure La Mouche, qui sortira 10 ans plus tard et révélera le cinéaste. Dans une scène, la jeune héroïne atteinte de la rage caresse une vache paisible. Prémonition de l’épidémie de vache folle ?
Phénomènes (2008) de M. Night Shyamalan
Film mal aimé de M. Night Shyamalan (après l’incompris La Jeune Fille de l’eau), qui vaudra au cinéaste prodige de tomber temporairement en désuétude, Phénomènes imagine pourtant une fin du monde traumatique on ne peut plus terminale. Un phénomène pandémique inexpliqué, qui commence à Central Park avant de se répandre comme une traînée de poudre sur toute la côte est américaine, pousse des milliers de personnes à se suicider sans raison apparente. Moins rivé à la résolution de son mystère (la révélation de l’origine de la pandémie intervient rapidement) qu’à la mise en image tétanisante de son idée originale, Phénomènes propose quelques séquences ébouriffantes, et profondément dérangeantes, dans lesquelles l’espèce humaine se transforme en automates insensibles, ayant pour seul objectif de mettre fin à leurs jours. Visions millénaristes d’un monde déliquescent, où la seule solution crédible à l’assainissement de notre planète, devient l’extermination méthodique (et pandémique) de l’espace humaine, par l’espèce humaine elle-même.
https://youtu.be/51ksIBNGzhM
Deranged (2012) de Park Jeong-woo
Lointain cousin de Phénomènes, Deranged repose sur la même mécanique de sidération que son aîné. Ici, le virus qui contamine la population de Séoul se loge dans l’intestin des victimes pour les affamer et les assoiffer. Les contaminés, dangereusement déshydratés, sont contraints de se jeter dans la rivière ou n’importe quelle source d’eau pour espérer survivre. S’ensuit une véritable épidémie de noyades, où des centaines de personnes se jettent délibérément dans la rivière, pour ne jamais en ressortir. Ebouriffant dans sa manière de figurer la pandémie, avec ces centaines de contaminés agonisants se jetant à l’eau par désespoir, et malin dans la parabole sociale qu’il tisse (y est dépeinte une société sud-coréenne à deux vitesses), Deranged trébuche quelque peu dans son dernier tiers, la faute à un scénario abusivement explicatif, mais demeure un film de contagion prenant et, on vous le donne en mille, profondément dérangeant.
L’Armée des 12 singes (1995) de Terry Gilliam
Inspiré de La Jetée, chef-d’œuvre de Chris Marker de 1962, L’Armée des 12 singes transforme la troisième guerre mondiale, responsable de la destruction de la surface de la Terre dans le court-métrage, en une pandémie apocalyptique. En 2035, les 1 % de la population mondiale n’ayant pas succombé au mystérieux virus sont contraints de vivre sous terre. Pour tenter de trouver un remède, des scientifiques utilisent des prisonniers et les envoient dans le passé recueillir des informations sur la forme non-mutée du virus. James Cole (Bruce Willis) est ainsi envoyé en 1996 pour tenter d’endiguer la pandémie avant qu’elle n’advienne. La scène finale, qui revisite celle de la jetée d’Orly dans le film de Marker, nous montre James tenter d’arrêter à l’aéroport le docteur Peters, dont la valise pleine d’échantillons virologiques mortels, est identifiée comme le point d’origine de la pandémie future, et son trajet en avion à venir, son itinéraire contagieux. James est mortellement blessé par un agent de sécurité avant de pouvoir intervenir. Alors qu’il agonise impuissant, il distingue un enfant qui l’observe et qui n’est autre que lui-même, l’enfant assistant à sa propre mort, rêve récurrent qui le hantait et qui était finalement le souvenir de sa mort à venir. S’il n’égale pas la beauté foudroyante du photo-roman de Marker, L’Armée des 12 singes est une relecture habile de son canevas narratif, auquel s’ajoute l’idée d’une pandémie destructrice, dont on cherche à pister l’origine.
Cabin Fever (2002) d’Eli Roth
Si les films de contagion montrent ordinairement une pandémie massive, qui plonge le monde dans le chaos, Cabin Fever resserre le concept en mêlant le genre à celui très connoté du slasher : une bande de jeunes louent une cabane isolée dans la forêt pour y fêter la fin de leurs études. Sauf qu’ici, le tueur à l’arme blanche qui les traquerait dans un slasher ordinaire, est remplacé par un mystérieux virus, refilé par un ermite, qui contamine les jeunes gens un à un en leur dévorant la chair. Avec son humour méta parfaitement cravenien, ses effets gores jubilatoires, et sa métaphore filée sur les maladies vénériennes, Cabin Fever s’impose comme le meilleur film (et pourtant le premier) d’un cinéaste qui fera par la suite du torture porn sa signature.
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