La Fémis expérimente depuis un an une section “création séries TV”. Un cursus audacieux et quasi unique au monde dont il est encore prématuré d’analyser les retombées pour la profession.
Vivement attendue par toute une foule de cinéphiles et de sériephiles, la première fournée de production du cursus “création de séries TV” de la Fémis est constituée par trois épisodes-pilotes pour trois projets originaux de séries développés par les étudiants : Robin de Maxime Caperan et Thomas Finkielkraut (un 3 × 52 minutes qui mêle superhéros et bassins industriels), Mère agitée de Maxime Berthemy (comédie aux frontières de la sitcom sur une mère célibataire) et Irresponsable de Frédéric Rosset (comédie aussi, chevillée à un personnage d’adulescent de retour dans sa ville d’origine et contraint d’y faire tardivement face à ses responsabilités).
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En 2013, la plus prestigieuse école de cinéma du pays – et accessoirement la troisième meilleure du monde selon le classement du Hollywood Reporter – annonçait en effet la création d’un cursus d’une durée d’un an, dédié à la formation de scénaristes spécialisés dans l’écriture de séries.
Un choix assez audacieux et même, étonnamment, quasi unique en son genre : à l’étranger comme en France, il n’existe presque aucune formation spécialisée de ce type. Alors que les premières productions de l’école sont enfin révélées et qu’un embryon d’avenir professionnel se dessine pour leurs auteurs, on peut commencer à trouver des réponses à une question qui s’est posée dès le lancement du cursus : les bancs de l’école pourront-ils changer la face de la série française ?
Un cursus parrainé par d’éminents membres du métier
Pour s’en assurer, l’équipe de la Fémis a tout d’abord mis en place une solide tutelle professionnelle. Il ne s’agit pas de télescoper dans le vide des graines de scénaristes – l’école n’ayant pas toujours été exempte d’une telle critique, notamment au niveau de sa filière reine, le département réalisation.
Supervisé par Emmanuel Daucé, producteur d’Un village français, et Frank Philippon, scénariste de Maison close, le cursus séries est donc en outre parrainé par un certain nombre de membres éminents du métier, qu’ils soient producteurs, scénaristes ou directeurs de la fiction chez les principaux diffuseurs français (notamment Canal+ et Arte).
A cette caution symbolique s’ajoute un fonds qui permet de financer le tournage des épisodes-pilotes. Issu lui aussi de la profession, il fonctionne sur la base du mécénat et n’engage donc aucunement ses financeurs à embaucher ensuite. Il permet néanmoins au travail des étudiants de se concrétiser et augmente donc leurs chances de convaincre un producteur voire une chaîne de télévision.
Pour des raisons de budget, tous n’ont hélas pas eu ce plaisir : sur les dix scénarios originaux conçus par la première promotion, seuls trois ont été tournés. C’est à l’état de script que les sept autres feront donc la chasse aux financements.
La moitié des scénarios mettent l’accent sur la comédie
Mais alors, qu’en est-il des projets en cours ? Première surprise : les étudiants ont mis l’accent sur la comédie. Ce n’est pas tellement le genre de l’école et pourtant c’est le cas de la moitié des scénarios originaux écrits par cette première promotion, et celui de deux des trois épisodes réalisés.
Même si les étudiants relativisent le légendaire mépris de la Fémis pour la comédie et le film de genre, il n’est pas difficile de déceler entre les lignes des réponses pro domo à un réel problème de légitimité au sein de l’école, ne serait-ce que lorsqu’un des scénaristes nous concède quelques difficultés à trouver parmi les élèves du cursus classique un réalisateur enclin à mettre en boîte son épisode.
Que penser, d’ailleurs, de cette surprise comique ? Devant Irresponsable, on a effectivement beaucoup ri. Réalisé par Emilie Noblet, le pilote de Frédéric Rosset – qui met en scène un trentenaire désargenté venu chercher refuge chez sa mère – trouve d’emblée son ton grâce notamment à un acteur excellent, véritablement capable de renouveler les canons du pince-sans-rire, Sébastien Chassagne.
Irresponsable est pour l’instant le seul des trois projets à avoir assuré son avenir, et c’est une bonne nouvelle : OCS a d’ores et déjà signé pour une saison de dix épisodes qui se tourneront à la fin de l’année. Mère agitée, en revanche, cherche un peu plus ses repères, tiraillée entre la sitcom acidulée et d’inconfortables aspirations naturalistes.
L’esprit de la sitcom type Fais pas ci, fais pas ça très présent
Mais pour l’un comme pour l’autre,on s’étonne surtout de voir poindre,dans les essais comiques de la Fémis, l’esprit de la sitcom française de grande audience : un petit mistral qui serait parti de Fais pas ci, fais pas ça (le hit de France Télévisions, qui était d’ailleurs au programme de certains étudiants) et dont un mince filet d’air froid se ferait encore sentir sur les productions originales du cursus.
Revient surtout à intervalles réguliers l’impression de voir défiler les pages d’un catalogue de situations en kit (typiquement : l’entretien d’embauche), qui ne pilote certes pas l’intégralité des épisodes, mais que les scénaristes ont l’air d’avoir tout de même sous le coude.
C’est que l’industrie télé a marqué son empreinte sur le contenu pédagogique du cursus, bien plus que pour les cursus cinéma : la moitié de l’année, les étudiants s’entraînent à travailler pour des séries existantes et des commandes, avant de plancher ensuite sur leurs projets originaux. C’est bien compréhensible, puisque c’est pour bon nombre d’entre eux l’immédiat débouché professionnel le plus vraisemblable, mais on ne peut s’empêcher d’y voir la source de quelques mauvais penchants.
Un nouveau modèle français plutôt que l’importation de concepts US
Aussi est-on plutôt convaincu par Robin de Maxime Caperan et Thomas Finkielkraut, réalisé par Alice Douard, qui manipule avec une certaine aise l’épineuse question des inspirations américaines : le genre superhéros s’y trouve habilement convoqué, avec un personnage de jeune ouvrier de fonderie, “parkoureur” à ses heures perdues.
En toile de fond : les usines métallurgiques, le parfum de l’amiante, et les laissés-pour-compte des friches industrielles. Caperan et Finkielkraut ont la bonne idée de ne pas prendre le superhéros à revers, par l’astuce ou l’ironie, mais d’en respecter la trajectoire classique (backstory bien ficelée, dualité naissante de l’identité, velléités de justice) qui curieusement s’agence très bien dans le tissu du naturalisme à la française, quand le justicier fraîchement costumé se met à panser secrètement les blessures du prolétariat.
Espérant un retour d’Arte en vue d’un 3 X 52’, les deux jeunes showrunners sont certainement les plus américanophiles de ceux que nous avons rencontrés. Mais à l’heure où les lignes bougent dans les différents bassins de production européens (britannique, danois, français…) et où plusieurs méthodes coexistent, eux expriment surtout leur estime pour des projets qui s’essaient véritablement à un nouveau modèle français, plutôt qu’à l’importation au forceps de concepts US. “Ainsi soient-ils, par exemple, est une véritable prise de risque, très encourageante”, précise Maxime Caperan.
Une voie ouverte par P’tit Quinquin et Arte
Cette première base assez mince (trois épisodes, c’est trop peu pour identifier des tendances solides) semble donc nous dire plusieurs choses. D’abord, que le rafraîchissement humoristique à l’œuvre ne porte pas encore les signes d’une véritable mise à jour du logiciel comique français, malgré quelques réussites. Ensuite, que l’école est tout de même capable – il faut lui accorder quelques années supplémentaires de maturité – de porter des projets de la trempe des meilleures réalisations françaises de ces dernières années.
Enfin, ce qui n’est pas encore tangible mais qui viendra sans doute, c’est sa capacité à nous montrer des choses inédites : quelque chose qui, dans une liberté de création que la profession ne propose nulle part (le mécénat), ferait germer un équivalent télévisuel du cinéma d’auteur, que ce soit de la comédie, du polar, du drame… – sans doute Bruno Dumont et Arte ont-ils ouvert cette voie avec P’tit Quinquin. “La fenêtre de tir n’est pas grande mais elle est là : il faut bien décocher la flèche”, nous dit Maxime Caperan. Inutile donc d’être trop pessimiste.
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