Transposition pascalienne d’un fait divers ordinaire, 71 fragments d’une chronologie du hasard conclut laconiquement une glaçante trilogie. 71 fragments d’une chronologie du hasard s’articule autour de ce qu’il y a de plus ordinaire : le fait divers que l’on trouve dans France Soir ou Qui police oublié sitôt lu, destiné à emballer des restes […]
Transposition pascalienne d’un fait divers ordinaire, 71 fragments d’une chronologie du hasard conclut laconiquement une glaçante trilogie.
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71 fragments d’une chronologie du hasard s’articule autour de ce qu’il y a de plus ordinaire : le fait divers que l’on trouve dans France Soir ou Qui police oublié sitôt lu, destiné à emballer des restes de poisson pourri. A savoir, ici, un adolescent autrichien, étudiant modèle, passionné de jeux vidéo et de théologie, une de ces bonnes bouilles blondes d’Autrichien générique, qui pourrait vanter les mérites du Tyrol sur un dépliant touristique : l’espace d’une seconde, il perd son sourire et pète les plombs dans une banque, dégommant méticuleusement avec son 45 tous ceux qui l’entourent avant de se faire sauter le caisson. Seulement, à l’inverse des articles de France Soir, 71 fragments est le genre de film qui vous pousse à fouiller dans votre poubelle pour séparer les restes de poisson du journal qui les enveloppe, et à réfléchir sur ce qui, habituellement, entre dans une oreille pour mieux sortir de l’autre. Richard Brooks s’était déjà attelé à cette tâche, avec succès, dans De sang froid, une adaptation du roman homonyme de Truman Capote le premier livre d’une longue lignée à analyser les troubles et les tourments d’un serial killer. Paradoxalement, 71 fragments se termine exactement là où commence De sang froid. Le film de Brooks était soutenu par un scénario parfaitement huilé exposant avec brio les motivations cachées de deux pauvres types choisissant la voie du crime. En revanche, le film de Haneke nous laisse la langue pendante, avec une myriade de questions et aucune réponse. Pourquoi cet adolescent a-t-il pété les plombs ? A force de se prendre la tête sur des jeux vidéo ? A trop réfléchir sur les tenants et les aboutissants du pari de Pascal ? Parce qu’il était martyrisé par l’entraîneur de son club de ping-pong ? 71 fragments aura du mal à entraîner un consensus autour de lui ; il s’adresse davantage à l’intelligence du spectateur qui met les choses en scène elle-même. Contre la logique du récit, et sa structure classique faite d’énigmes et de résolutions, Haneke livre une esthétique du fragment, c’est-à-dire une infinité de vies qui pourraient constituer chacune le sujet d’un film : une caissière de banque qui a du mal à communiquer avec son père, un vigile pataud se nourrissant de saucisses sous vide et de bières bon marché et qui dit « je t’aime » à sa femme avant de lui coller une beigne, un gamin échappé de Roumanie, vivant dans les rues avant d’être adopté par une famille qui l’a vu à la télévision. Tous ont un seul point commun, se retrouver, par hasard, dans une banque, la veille de Noël.
71 fragments est le troisième fragment d’une trilogie de la glaciation dont les deux premiers volets que le distributeur a l’excellente idée de ressortir s’intitulent Le Septième continent et Benny’s video. Dans le premier, une famille ordinaire finit par se suicider, non sans avoir méticuleusement démoli tout signe d’appartenance au monde matériel. Le second film raconte les aventures du jeune Benny, petit bourgeois abreuvé de télévision et de vidéos gore, obsédé par l’abattage d’un cochon filmé au caméscope lors d’un week-end à la campagne. Benny abat à son tour une amie de passage, meurtre également saisi sur caméscope. Les parents cherchent à camoufler le cadavre pour protéger leur fiston assassin. Mais celui-ci finit par tout balancer à la police. Dans les trois films, il y a ce même enchaînement inéluctable, une même logique froide aboutissant au meurtre tranquille, au pétage de plombs laconique. En débarrassant ses personnages de tout affect, en jouant sur la durée des scènes, en captant la répétition machinale des rituels quotidiens à coups de plans-séquences cadrés avec une précision maniaque, Haneke enregistre la violence sournoise de notre monde postindustriel tout en refusant de juger ce qu’il montre : il préfère traiter le spectateur en adulte en le laissant seul face aux questions du film et face à sa propre conscience.
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