Tandis que « Ben-Hur » version 2016 se vautre au box-office, petit récapitulatif des pires moments de ce genre tout en jupes pour hommes et sandalettes.
« Le Péplum, un mauvais genre », pour paraphraser le titre du livre du spécialiste Claude Aziza (Editions Klincksieck), où l’Antiquité gréco-romaine (parfois la Bible) sont synonymes de carton-pâte, de torses italiens huilés, d’empereurs romains et de risible grandiloquence. Pour ceux réussis (citons, sans être exhaustifs, Les Dix Commandements, Caligula, La Vie de Brian, Gladiator ou la série Rome), on retient d’abord les ratés, les navets.
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Ben-Hur 2016 ne devrait pas trop changer ce cliché, mais il est la preuve que le péplum, plutôt associé aux cinémas de quartier des années 60 et aux dimanches soir chiants sur M6 il y a vingt ans, reste vivace. Parce qu’il répond périodiquement aux besoins du divertissement populaire, à l’air du temps : le péplum fut aux livres d’histoire ce que, au hasard, Game of Thrones est à l’Heroic Fantasy, une façon d’être olé-olé pour tous (ces héros musculeux et purs! Ces femmes aux tenues plus légères que leurs mœurs !), en faisant mine de raconter autre chose. Alors, si on doit choisir sept mauvais péplums dans une liste hyper-chargée, prenons au moins le genre un peu sérieusement.
Scipion l’Africain, de Carmine Gallone (1937)
Nostalgique de la Rome antique, le fascisme italien est passé par la case péplum. En guise de célébration de la conquête de l’Ethiopie en 1936, Mussolini fait mettre en chantier cette superproduction de propagande à la gloire du général Scipion, conquérant de l’Afrique, vainqueur d’Hannibal et de Carthage à la fin du 3ème siècle avant JC (au cas où personne n’aurait compris le parallèle). Des milliers de figurants, de vrais éléphants (pour l’armée d’Hannibal) et un résultat gênant où six scénaristes crédités enchaînent les scènes disjointes comme une succession de tableaux ultra-plats, à bout de souffle. Le pompon reste le ridicule acteur Annibale (!) Ninchi dans le rôle-titre, qui se prend forcément pour le Duce et joue très mal de son menton avant.
Maciste, l’homme le plus fort du Monde, d’Antonio Leonviola (1961)
Équivalent prolo-italien d’Hercule, Maciste eut une carrière variée, aux airs de reboot constant : détective, médium ou soldat dans les années 10 ; affrontant dans les années 60 mongols, vampires, sheiks ou ici des « hommes-taupes », en fait des albinos emplumés, hirsutes comme Doc Brown dans Retour vers le Futur (la coupe dite « des doigts dans la prise de courant ») et habillés comme des figurants de San Ku Kaï. L’aplomb du film dans le ridicule est assez fabuleux : au rayon costumes donc, dans son figurant maigrichon déguisé qu’on veut nous vendre comme gorille mortel ou ces esclaves qui tournent une roue géante pour une raison X. Mais rien n’y vaut le sourire Email Diamant de Mark Forest/Maciste, sans doute l’un des acteurs les plus auto-satisfaits jamais vus à l’écran, même lorsque tout autour de lui est cheap ou stock-shot.
https://youtu.be/YF-MLoW6wfM
Vulcain, Dieu du Feu, d’Emimmo Salvi (1962)
La mythologie grecque fut l’un des premiers soap operas et, entre de mauvaises mains, cela donne comme ici un carré amoureux entre Venus, Vulcain et Mars et une dénommée Etna, avec un rab d’hommes-lézards, de Thraces et de nymphes accortes. Il y a aussi un nain. Le diable étant dans les détails, il y aurait nombre de bizarreries à relever, mais entre les fausses dents des hommes-lézards, le dit nain chevauchant un poney, une Tour de Babel haute comme un réverbère pour attaquer l’Olympe et les poses limites classées X de Vénus, on ne sait plus ou donner de la tête. Le film se fiche de tout, du panthéon divin (Mercure un peu gay, Neptune très stoned) ou même d’offrir une fin correcte — Jupiter décide que le film est fini, que les complots tortueux qui précédent n’ont servi à rien et basta. Sinon, on adore le nom de l’acteur iranien qui joue Vulcain : Rod Flash Ilush.
« Vulcain, dieu du feu », d’Emimmo Salvi (capture d’écran)
Supermen contre Amazones, de Alfonso Brescia (1975)
Quentin Tarantino le dira mieux que nous : genres et sous-genres au cinéma dégénèrent, implosent dans les années 70. Le collage improbable, façon Frankenstein ou chimère, est possible: Supermen contre Amazones est donc un peplum italo-américano-hongkongais, offrant quelques variations : les méchants sont une tribu d’amazones en bikini terrorisant un village, le demi-dieu de service est un Zorro filou flanqué de sidekicks noir et chinois (la même configuration qu’Opération Dragon avec Bruce Lee), et le ton est à la parodie. Mais humour prémédité ou non, cette gentille guerre des sexes fleure le n’importe quoi général où on se bourre le pif comme dans les films de Terence Hill et Bud Spencer (pas de sang ici, juste des « paf »), où le héros à la gueule pasolinienne saute sur des trampolines où dispose des méchants en leur rotant dessus.
Caligula, la Véritable Histoire, de Joe d’Amato (1981)
Le cinéma populaire italien des années 70-80 adorait copier (en mal) les gros succès. Voici donc une relecture du monstrueux Caligula de Tinto Brass, qui était remarquable pour ses acteurs shakespeariens déclamant leur texte avec massacres et orgies en arrière-plan (re-coucou Game of Thrones), son climat façon Fellini mutant à six têtes et ses deux montages soft et porno. Comment faire pire ? Confier la chose à Joe D’Amato, infatigable artisan du bis et ter transalpin qui choquent (Porno Holocaust et son zombie qui bande, c’est lui). D’Amato en rajoute maladroitement côté sexe (oui: il y un cheval au milieu d’une partouze ; non: c’est un trucage) et sang (ces épées qui tranchent des membres avec un bruit de casserole), mais le film a l’air avant tout mort-vivant, un machin froid et flasque dont l’esthétique rappelle la pub du nettoyant pour sols Terra dans les années 80.
Hercule, de Luigi Cozzi (1983)
L’usine à nanars Cannon s’attaque au colosse avec son approximation habituelle. Le sympathique Lou Ferrigno, qui était Hulk dans la série seventies, ne sait pas vraiment jouer et ses expressions enfantines, une fois la teinture verte ôtée, ne font plus illusion. Et puisqu’on est dans les années 80, on ne peut éviter la pulmonaire et valkyrienne reine de la série B Sybill Danning, les néons, le fluo… et les robots. Le film veut loucher vers la poésie de Ray Harryhausen, ses monstres géants animés image par image, mais se plante dans les grandes largeurs. Lecture ici représentative du mythe : Hercule se bat avec un ours (à la fois un stock shot et un tapis), lui tape dessus avec des bruits de rayon laser, le lance dans l’espace, et, dans un plan digne du jeu vidéo Space Invaders, crée la Grande Ourse.
Pompéi, de Paul W.S. Anderson (2014)
Ben-Hur 2016 et ce Pompéi montrent bien que l’époque ne peut plus produire de nanars au surréalisme involontaire. Le péplum contemporain a retrouvé sa pompe en s’acoquinant avec d’autre genres (le survival dans Centurion, le comics dans 300 ou le western dans L’Aigle de la Neuvième Légion) ou en ôtant le merveilleux (Troie, Exodus). Pompéi est sans doute le plus terne de cette vague, le plus synthétique : l’éruption du Vésuve et la catastrophe, tout en 3D et images numériques, ont l’air en plastique, tout comme la romance copiée sur Titanic sur fond (vert) de fin du monde et de lutte des classes. Sorti de Game of Thrones, Kit Harrington a l’air très perdu en esclave vengeur. Et la robe de sénateur ne sied guère à Kiefer Sutherland dans ce magma pas très brûlant.
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