Un merveilleux coffret édité par Carlotta permet de découvrir l’une des plus belles périodes de l’œuvre inépuisable de Satyajit Ray, le plus grand cinéaste indien.
Ne pas manquer de voir ou revoir les six films du grand cinéaste indien Satyajit Ray (1921-1992) qui sortent en Blu-ray dans une belle édition (avec bonus). Six films plus ou moins inégaux, dont quatre (Charulata, Le Lâche, Le Saint, Le Héros), tournés au début des années 1960, appartiennent à l’une des périodes les plus importantes de son œuvre, après la magnifique “trilogie d’Apu” au début des années 1950 (l’adaptation de La Complainte du sentier, le roman d’apprentissage classique de la littérature bengalie de Bibhutibhushan Bandopadhyay).
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Satyajit Ray, pour mémoire, était un fin lettré et un musicien, issu d’une famille bourgeoise cultivée bengalie (donc de Calcutta). Graphiste, il vient au cinéma en découvrant les films de Roberto Rossellini et en travaillant avec Jean Renoir (dont il est l’assistant pendant la préparation du tournage du Fleuve, l’un des plus beaux films du monde).
Filmer l’Inde réelle
Alors que le cinéma de Bombay (surnommé comme chacun·e le sait “Bollywood”) se concentre sur la production de films musicaux et dansants populaires tournés exclusivement en studio, Ray, sous l’influence du cinéma européen d’après-guerre, sort des studios, filmer les paysages, montre l’Inde réelle, avec un regard qui ne sera pourtant jamais totalement celui d’un occidental, parvenant à exprimer une vision hindoue (avec un sens de la beauté, du temps suspendu totalement unique) sans être lui-même religieux.
Des six films présentés, Charulata (que certains critiques ont qualifié de “mozartien”) est l’un des plus beaux, des plus emblématiques du cinéma de Satyajit Ray, et le plus connu – même si paradoxalement, il s’agit d’un film en chambre, presque entièrement tourné en studio. Ray lui-même le considérait comme son “moins mauvais film”.
L’art de la mise en scène
Tout l’art de Ray dans Charulata réside dans la mise en scène, la seule mise en scène. Ou comment exprimer l’essentiel de ce qui se joue entre les êtres humains non par la parole (le film est peu bavard, en réalité), mais par les visages, la musique (que Ray compose lui-même et qui semble s’enrouler autour des personnages pour en extraire les sentiments), la lumière, la nature, les décors intérieurs (la première séquence est sublime), les travellings ou les zooms.
Ray, souvent avec humour, joue constamment sur la profondeur de champ, mais aussi sur les figures, les lignes des costumes qui se confondent ou contrastent avec les courbes des décors. C’est tout un art, très précis, qui s’exprime ici à la fois avec simplicité (un enfant de dix ans comprendrait l’histoire) et un raffinement absolu. Tout ici est en réalité chorégraphié, stylisé, expressif, mais sans ostentation.
Pour paraphraser une célèbre formule truffaldienne au sujet d’Hitchcock, Ray raconte cette histoire d’amour comme il raconterait une histoire policière (ce qu’est aussi Le Dieu éléphant, film bien plus léger et moins intéressant, tourné en 1979). Avec, en arrière-plan, les pièges de la création littéraire et de la politique qui, pour le meilleur et pour le pire, distraient les hommes et les femmes de leur destinée, de leur sentiments mêmes.
Les trois autres films de la même époque (Le Lâche, Le Saint, Le Héros) sont romanesques et somptueux à souhait, mais nous insisterons sur Le Lâche (toujours avec la sublime Madhabi Mukherjee), cruel bijou de moyen métrage, l’histoire d’un homme devenu écrivain qui se retrouve “par hasard” face la femme qu’il a jadis passionnément aimée mais n’a pas su quitter…
Enfin, il faut bien avouer qu’il est très difficile de distinguer le cinéma de Satyajit Ray de l’histoire de l’Inde, et il faudrait bien évidemment un livre entier pour le faire. Merci donc aux bonus réalisés par Carlotta qui, grâce aux interventions de Charles Tesson (ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, ex-prof de cinéma à Paris 3, ex-délégué de la Semaine de la Critique), l’un des plus grands spécialistes du cinéma indien et de celui de Ray, éclairent avec limpidité et profondeur de pensée la place du cinéaste dans l’histoire de son pays et de sa cinématographie.
Coffret de six films (La Grande Ville, Charulata, Le Lâche, Le Saint, Le Héros, Le Dieu éléphant) de Satyajit Ray édité par Carlotta, disponible en DVD et Blu-ray, environ 50 euros.
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