À l’occasion de la sortie de « Quelques minutes après minuit » de Juan Antonio Bayona, dans lequel elle joue une grand-mère quelque peu difficile à vivre pour le jeune héros, retour en six films sur la carrière de Sigourney Weaver, icône matricielle des spectateurs de SF.
Annie Hall, de Woody Allen (1977)
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avant de partir dériver dans l’espace en hypersommeil, Susan/Sigourney Weaver est apparue dans le film-star des débuts du réalisateur new-yorkais. On ne la reconnaît guère et sa présence à l’écran n’excède pas quelques secondes, mais c’est bien elle devant le cinéma aux côtés d’Alvy. À 28 ans, l’actrice entrait dans le monde-cinéma par une porte a priori assez distincte de celle qui signerait son accession à la notoriété. On aurait pu imaginer l’évolution possible de ses rôles dans l’œuvre d’Allen, mais c’eût été créer un manque superflu. Deux ans plus tard, après un second rôle dans un obscur thriller, disparu de la circulation (Camp 708/Madman, de Dan Cohen), et plusieurs pièces sur Broadway, Ridley Scott la choisit pour le rôle principal du film d’horreur Alien.
Alien, de Ridley Scott (1979)
Ripley. Pas de prénom avant Aliens (1986), juste un corps mené par la peur et ses réactions primaires, et dont la peau va s’assombrir, se salir, en même temps que les couloirs du vaisseau « le Nostromo » s’obscurcissent. Représentante humaine face à l’inconnu absolu et tout-puissant, Ellen Ripley devient, au fil des épisodes et malgré leur intérêt déclinant, une incarnation de l’espèce évoluante qu’est l’homme, mère de l’hybridation à l’animal dans Alien3 (1992), copie procréatrice dans Alien, La Résurrection (1997). Une « surfemme », démonstration par l’imaginaire filmique du changement réel de la place des femmes dans la société américaine des années 70. Ce rôle, plein de signifiants, Sigourney Weaver en est le visage, la matrice auxquels se réfèrent les personnages des films de la saga qui suivent – Noomi Rapace dans Prometheus (2012) et bientôt Katherine Waterston dans Alien Covenant (2017) –, prolongements opportunistes ou non. Cette aura va marquer toute la carrière de l’actrice (présence évocatrice dans des intrigues spatiales, jusqu’à la voix du vaisseau de Wall-E (2008)), dont les autres rôles restent moins mémorables, et ce malgré leur diversité.
SOS Fantômes, de Ivan Reitman (1984)
Après ce coup d’éclat, Sigourney Weaver va enchaîner les seconds rôles plus ou moins importants, notamment dans L’Année de tous les dangers (1982), cinquième film de l’australien Peter Weir, avant d’intégrer l’équipe de Ghostbusters, autre franchise célèbre aux fans incorruptibles. Deuxième rôle marquant de Sigourney Weaver dans l’imaginaire fantastique, elle y incarne Dana Barrett, réceptacle de Zuul, le cerbère serviteur de Gozer, dieu sumérien assoiffé de destruction. Une face plus fantasque de l’actrice se dévoile, qui se prête volontiers à l’outrance sexuelle de son personnage possédé. Prêtant le flanc à Bill Murray et ses tentatives de drague longtemps infructueuses, elle se change en prédatrice cherchant son double pour permettre la résurrection de son maître. Son 1m82 face à la relative petite taille de Rick Moranis (1m68) et le jeu exubérant qu’elle déploie jouent sur un humour burlesque, loin des cris que l’on n’entend pas dans l’espace.
Gorilles dans la brume, de Michael Apted (1989)
Adapté du livre de mémoires homonyme de Dian Fossey, Michael Apted y conte l’histoire de l’ethnologue, spécialiste des gorilles de l’Est, assassinée en 1985 et qui passa 18 ans de sa vie à étudier les primates. Pour les besoins du films, et par souci d’authenticité, l’actrice, qui incarne Fossey, a été obligée de se faire accepter par les animaux, déjà habitués à la présence de la chercheuse. Le tournage n’a pas été sans danger pour elle : une anecdote raconte qu’un jour de tournage, dans les montagnes rwandaises, alors qu’une femelle s’est approchée d’elle, un mâle a surgi, l’air menaçant. En adoptant une posture de soumission, elle a rassuré l’imposant gorille, qui s’est éloigné. Nommé Pablo, il apparaît d’ailleurs dans le film. Grâce à certaines astuces techniques, l’équipe du film est parvenue à prendre certains gros plans impressionnant, Sigourney Weaver étant alors équipée d’une oreillette. Elle sera nommée aux Oscars grâce à cette performance, pour la troisième fois après ses rôles dans Aliens (1986) et Working Girl (1988).
La Jeune Fille et la mort, de Roman Polanski (1994)
Le réalisateur polonais a offert à l’actrice un rôle qu’il est possible de rapprocher de l’expérience horrifique d’Alien, à quelques détails près. Weaver y incarne une femme persuadée d’avoir identifié, par le son et l’odorat, son ancien tortionnaire, alors que le pays était encore soumis à la dictature. Des thèmes très polanskiens nimbent le film, et l’affrontement victime/bourreau inversé entre Sigourney Weaver et Ben Kingsley est conduit par l’interprétation grondante de l’actrice. C’est elle qui mène désormais la danse mortelle. Prédatrice au calibre phallique, la figure féminine reprend les rennes après l’effroi, laissant de côté la bestialité divine pour un règlement de compte ne concernant que les hommes et leurs actes.
Avatar, de James Cameron (2009)
Le succès du film est dû, outre ses effets spéciaux, et à ses convocations des mythes narratifs occidentaux. Outre le récit classique des rapports de force entre civilisations, James Cameron adjoint à son univers, par le choix de Sigourney Weaver pour interpréter le docteur Grace Augustine, l’imaginaire qui entoure l’actrice. Son rôle originel d’Ellen Ripley, liant l’homme et l’alien, se lit en écho dans Avatar, où sont abordés deux thèmes connexes à la saga initiée par Ridley Scott: l’enveloppe corporelle en évolution (Grace Augustine est celle par qui l’homme est lié à l’alien, passant d’un corps à l’autre); la technologie qui permet, dans la diégèse, la circulation entre son corps et un corps étranger, dans l’extra-filmique, le passage d’un corps organique à un corps numérique. Bien que les thématiques entourant le film de Cameron soient plus conventionnelles que celles qui régissaient Alien, ce rapport à la persona de l’actrice interroge les différents devenir des êtres créés par le cinéma, les liens fondamentaux qui existent entre les entités, qu’elles soient réelles, imaginaires ou quelque part entre les deux.
L’actualité de Sigourney Weaver est apparemment prête à être réveillée. Un réveil assimilé aux franchises qui vont l’accompagner, car la suite d’Avatar est prévue pour 2018, puis un nouveau film tous les deux ans jusqu’à Avatar 4, tandis qu’un Alien 5 a été annoncé. Réalisé par Neill Blomkamp, il s’agirait de donner une conclusion digne de ce nom à Ripley. Enfin, cédant à la valse de Marvel, elle rejoindra The Defenders, énième série superhéroïque exclusive à Netflix, comme antagoniste principale. On a choisi notre camp.
{"type":"Banniere-Basse"}