Sous le ciel de Berlin. Trop de films à voir, pas assez à retenir lors de ce 50ème Festival de Berlin. Cependant, on a pu découvrir quelques bons cinéastes japonais, un Grec, un Indien, un Iranien, ainsi que les nouveaux et beaux films de Rudolf Thome, François Ozon et Johan van der Keuken. L’histoire se […]
Sous le ciel de Berlin. Trop de films à voir, pas assez à retenir lors de ce 50ème Festival de Berlin. Cependant, on a pu découvrir quelques bons cinéastes japonais, un Grec, un Indien, un Iranien, ainsi que les nouveaux et beaux films de Rudolf Thome, François Ozon et Johan van der Keuken.
L’histoire se souviendra plus de cette 50ème Berlinale comme celle du déménagement du Festival dans le nouveau quartier de la Potsdamer Platz que comme une véritable réussite artistique. Du point de vue de l’organisation, tout était parfait : respect des horaires, bonnes conditions de projection, séances ouvertes à la presse, désengorgées grâce à la multiplication des sites, malgré un Berlinale-Palast déjà trop petit pour les films en compétition. Si l’architecture massive et glaciale de la Potsdamer Platz faisait regretter la convivialité de la « Croisette berlinoise », le métro de Berlin permettait de rejoindre rapidement les salles historiques du Festival, maintenues en activité cette année, et le restaurant Hardtke, le rendez-vous préféré des festivaliers « grand chic ».
Mais cette incontestable réussite organisationnelle et les charmes d’une ville de plus en plus pleine d’elle-même ne parvenaient pas à faire oublier l’essentiel : la faiblesse globale d’une manifestation qui peine à conserver son lustre et qui a tendance à se transformer en un attrape-tout promotionnel. Sans trop insister sur le rituel débarquement américain, on ne peut que se gausser du nombre de « stars L’Oréal » en majesté, que ce soit au jury (Gong Li, présidente, plus un film hors compétition) ou en compétition (Virginie Ledoyen avec l’infâme La Plage, Milla Jovovich avec le désarmant The Million Dollar Hotel), alors que L’Oréal est un des principaux sponsors de la Berlinale. De toute façon, les gazettes locales ne s’intéressaient qu’à Leonardo, l’une d’entre elles allant jusqu’à offrir 1 000 marks à la Berlinoise qui parviendrait à lui voler un baiser !
Pendant ce temps, on était obligé de constater que le Stanley Kwan (The Island tales) est une catastrophe majeure à des années-lumière de Rouge, Center stage ou Hold you tight, que le Jonathan Nossiter réussit le prodige d’être lourdement insignifiant, et que le film japonais (Boy’s choir d’Akira Ogata) relève de l’académisme le plus pataud, ce qui est tout de même navrant quand on représente un pays qui produit près de deux cents films indépendants par an. Durant cette première semaine de grisaille, seuls Rudolf Thome (Paradiso-Sept jours avec sept femmes) et François Ozon (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes) ont su relever le niveau d’une Compétition presque indigne d’un festival de « classe A ». Le premier en démontrant une fois de plus qu’il était un grand cinéaste du « presque rien », capable avec une rare élégance de transformer une trame minimaliste qui aurait pu n’être que complaisante en une merveille d’ironie languide ; le second en cessant de hurler « Attention, transgression ! » à chaque plan, en faisant un détour par une pièce de jeunesse de Fassbinder pour creuser ses propres obsessions, et prouver enfin qu’il est un grand directeur d’acteurs doublé d’un metteur en scène redoutablement efficace dans l’espace clos du studio. Thome et Ozon ont livré des films intelligents et retenus, drôles et mordants, à mille lieues de la putasserie sentimentale et des effets clinquants où se vautrait la plupart des autres films de la Compétition. Là où Thome ne sait filmer que le bonheur et fait grincer sa sérénité contemplative jusqu’à la rendre tendrement suspecte, Ozon utilise le décalage entre le kitsch des décors et des costumes et l’immuable violence des rapports conjugaux pour ouvrir son film à des bouffées d’euphorie qui rejoignent parfaitement la part de grotesque à l’oeuvre chez Fassbinder. Les gentilles provocations antiféministes de Thome ont agacé le public berlinois alors qu’il a bien ri aux touches de germanité farceuse d’Ozon.
Du côté du Panorama, dont la première semaine était encore pire que la Compétition, avec en particulier des brouettes de films espagnols tous plus crétins les uns que les autres, un film iranien n’a eu aucun mal à emporter le morceau. Pendant que le CinemaxX, un multiplexe d’une quinzaine de salles, se transformait en un lieu de zapping géant et frénétique où les fauteuils situés en bout de rang devenaient les plus prisés pour cause de fréquents départs prématurés et salvateurs, et où les festivaliers hagards s’échangeaient tuyaux plus ou moins crevés dans une atmosphère de lassitude généralisée (« Je cours à l’Islandais Inutile, j’en viens, c’est atroce, allons plutôt tâter du Chinois ! N’y allez pas, c’est un remake hong-kongais de La Boum ! »), One more day de Babak Payami a calmé tout le monde par la puissance tranquille de ses plans et l’audace non trafiquée de son sujet. Enfin un film où le réel pèse vraiment, sans ostentation et sans dérobade. Loin des clichés du cinéma iranien (« Les femmes voilées et les enfants capricieux d’abord ! »), One more day s’attache à une histoire d’amour presque tout le temps silencieuse entre un petit trafiquant de médicaments et une femme dont le beau visage nu exprime la douleur de la solitude et l’attente d’une rencontre à peine rêvée. Aux arrêts d’autobus, dans les rues de Téhéran, à l’hôpital et sur des bancs, ces deux-là se suivent en prenant garde de ne pas se faire repérer, se frôlent à peine, tandis que du Viagra se vend à la va-vite sur les trottoirs. Avec une maîtrise confondante pour un premier film, Babak Payami rend sensibles la force du désir et la peur de l’exprimer en immergeant ses deux personnages dans un urbanisme chaotique mais propice à la clandestinité. Il ne filme finalement que des regards, mais ces regards suffisent à exprimer l’état d’une société qui hésite entre basculement et raidissement.
Au Forum comme ailleurs, il fallait avoir la patience d’insister pour trouver quelque chose à se mettre devant l’oeil. Là encore, trop de films (près de quatre-vingts), trop de films inutiles qui ne laissent rien à écrire ni à penser, sinon que la possession d’une caméra DV n’a jamais transformé personne en cinéaste. Bien connu pour la richesse de sa filière asiatique (on y a découvert Xiao Wu et Kiyoshi Kurosawa, choses qui ne s’oublient pas…), le Forum a lui aussi peiné à maintenir son niveau d’excellence. Pour prendre un exemple frappant, The Mission de Johnnie To est un excellent film de genre, qui sait concilier trame routinière et trouvailles plastiques. La longue séquence du centre commercial fait d’ores et déjà partie de nos grands souvenirs berlinois. Mais fallait-il pour autant présenter les deux autres To de 99, tous deux dérisoires et vite ennuyeux ? D’une manière générale, les cinémas chinois n’ont pas été à la hauteur de leur réputation, la plupart des films sombrant dans l’à-peu-près guère inspiré ou le produit de série sans intérêt.
Au rayon des découvertes japonaises perdues au milieu d’une représentation inutilement pléthorique subsistent tout de même Nabbie’s love de Juji Nakae, une comédie originale et alerte, mise en scène avec beaucoup de soin, Rendez-vous de Yamamoto Kosuke, une splendide et mystérieuse errance nocturne en forme de veillée funèbre, Homesick de Hineki Mito, un chassé-croisé gracieux quoique pas tout à fait abouti, et l’inénarrable One piece !, une suite de quinze plans-films strictement immobiles due à deux fous furieux (Shinobu Yaguchi et Takuji Suzuki) qui eux savent se servir d’une DV pour inventer une formule originale et pensée. Présentées séparément, ces quinze dragées au poivre amélioreraient grandement le niveau des Surprises de Canal+. Comme les autres festivals internationaux feraient bien de s’inspirer du Forum de Berlin et présenter au moins un film « made in Bollywood » : Straight from the hearth de Sanjay Leela Bhansali est un modèle de délire organisé. Et The Four Seasons of the law du Grec Dimos Avdeliodis a le mérite de prendre son temps afin d’installer une cosmogonie rurale qui évite tout symbolisme pour pencher vers une forme de burlesque à la fois quotidien et élégiaque à la saveur inconnue. Rouquier + Tati + Iosseliani = Dimos Avdeliodis, un mélange étonnant et détonnant, un nom à retenir…
Mais le meilleur film de cette Berlinale, toutes sections confondues, se trouvait au Forum puisque Ulrich Gregor avait l’honneur et l’avantage de présenter juste après Rotterdam l’admirable Vacances prolongées de Johan van der Keuken. Avec la justesse de regard qu’on lui connaît, sans jamais forcer le trait et sans mimer une légèreté de pose ou un pathos qu’appelle pourtant son état de santé, le grand cinéaste hollandais raconte son cancer de la prostate, ses médecins et ses voyages durant cette année de crainte et d’espoir, son film en train de se tourner et ses affaires à mettre en ordre. A chaque étape, du premier diagnostic terrifiant aux bateaux à la Turner qui dansent comme des ombres incertaines sur le scintillement de l’eau, il trouve le ton adéquat, la distance exacte, pour amener son cinéma à un point de perfection qui reste ouvert et amical. Lettre destinée à quiconque veut bien prendre le temps de la voir se déployer, ce film à la première personne du singulier embrasse l’univers entier. C’est un film qui redonne une foi gigantesque dans le cinéma. Le film dont Berlin avait grand besoin.
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