« La folle journée de Ferris Bueller », l’un des meilleurs teen movies des années 80, fête cette semaine ses trente ans d’existence. L’occasion de revenir en quatre points sur cette emblématique tranche d’adolescence.
L’ado Ferris Bueller se lève et fait sa toilette. S’adressant de manière complice à son audience – face caméra – le jeune homme annonce qu’il n’ira pas au lycée aujourd’hui. Il traversera ainsi Chicago aux côtés de ses deux meilleurs amis, profitant de ce temps d’insouciance éphémère. Peut être parce que, comme dirait Julien Doinel (père de) dans Les quatre cent coups : « les vacances, on n’y pense jamais trop tôt« ….
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La folle journée de Ferris Bueller n’aurait pu être qu’un décalque dénaturé de L’attrape-coeurs, le chef d’oeuvre young adult tragicomique de Jerome David Salinger; contant l’errance urbaine d’Holden Caufield, 17 ans, fuyant le monde adulte. Il n’en est rien. John Hugues, qui avait déjà révolutionné le film pour adolescents quelques années plus tôt avec Breakfast Club, nous offre ici son meilleur film. Pourquoi donc doit-on pour ses trente bougies (re)voir La folle journée de Ferris Bueller ?
1. Parce que John Hugues
Au cours des années 80, le film pour ados (teen movie) avait pour mètre étalon commercial la saga scabreuse des Porky’s, ancêtres des American Pie. C’est en souhaitant proposer à la jeunesse américaine des films à leur image – et non à l’image que s’en font les producteurs – que John Hugues a écrit Breakfast Club. Chaque personnage y est un cliché préfabriqué par l’industrie (du voyou au nerd) qui sera in fine renversé au bout d’une journée de détention scolaire. Tout aussi malin, La folle journée de Ferris Bueller est parfait pour comprendre la recette John Hugues : pitch concis comme un refrain de Madonna, sentimentalité dépourvue de pathos, souci naturaliste dans la description des personnages, nécessité de diriger de jeunes acteurs débutants et prometteurs, mix entre humour slapstick (tonalité que Hugues développera en scénarisant Maman j’ai raté l’avion) et volonté anticonformiste qui fera des petits – dont l’emblématique Pump Up The Volume avec Christian Slater (1990) ou l’incroyable Heathers (1989).
Surtout, en sa narration pop structurée en élans incessants façon film de course-poursuite, vrillant volontiers à la chorégraphie musicale au gré d’un défilé démesuré en plein centre-ville, Ferris Bueller devient le film par excellence du coming of age, puisque de la fiévreuse gestuelle de la jeunesse. Une enivrante Fureur de Vivre se percevant comme un mouvement incessant, celui du temps qui passe. « Life moves pretty fast. If you don’t stop and look around once in a while, you could miss it » affirme Ferris. Une notion de vitesse affirmée par le John Hugues lui-même, qui fait un rapide cameo en citoyen pressé quêtant un taxi. Déjà en 1959, Barbara affirmait de même : « Ah jeunes gens, sachez profitez de vos vingt ans… » (« Les voyages »).
2. Parce que c’est une véritable cartographie du teen-movie
Lorsque Ferris Bueller sort dans les salles en 1986, Hugues a déjà signé quatre teen movies (Seize bougies pour Sam, The Breakfast Club, Une créature de rêve, Rose bonbon). Cet énième opus boucle la boucle, sorte de film-somme permettant d’établir une cartographie du genre. Il est l’inspiration directe de la série culte Parker Lewis ne perd jamais – dont la première saison sort enfin en dvd en France à la fin du mois. La cool attitude inébranlable de Parker « no problemo » Lewis en fait un cousin éloigné de Ferris Bueller, et la Proviseure Musso, qui prend un plaisir quasi sadomasochiste à le foutre en colle, est la version féminine du pernicieux Ed Rooney. Tout Ferris Bueller concentre la culture teen, jusqu’à la prestation impeccable de Jennifer Grey, qui tiendra quelques années plus tard l’affiche du classique girly Dirty Dancing. Dans le rôle furtif du blouson noir, Charlie Sheen détourne quant à lui façon junkie des bas fonds cosmopolites le bagout bad boy de Fonzie (Happy Days), la gouaille de Marlon Brando (Sur les Quais) ou celle de James Dean.
Si le decorum au coeur du John Hugues (le milieu doré de la haute bourgeoisie américaine) préfigure celui des teen dramas des années 90 comme Beverly Hills, il fait également de Bueller, fils de riche, l’avatar irrévérencieux du jeune Tom Cruise dans Risky Business. Le meilleur ami de Ferris quant à lui noie littéralement son mal de vivre rimbaldien en plongeant tout habillé dans une piscine. Cette méditation aquatique est un écho direct aux scènes similaires du Lauréat – Cameron étant un personnage hoffmanien, timide, discret, fragile – et évoque rétrospectivement le plongeon de Bill Murray dans Rushmore de Wes Anderson, autre teen movie décalé.
Plus intriguant cependant, la balade des ados au sein du Chicago Art Institute nous apparaît comme un remake troublant de la séquence de traversée du Musée de Louvre dans Bande à Part de Jean-Luc Godard. Entre émois adolescents et sensibilité artistique, La folle journée de Ferris Bueller se fait médiane entre Dawson (hommage du scénariste Kevin Williamson à John Hugues) et JLG.
3. Parce que Mia Sara
Mia Sara a un visage pur, celui d’une première de la classe, du style à être invitée par tous les jeunes loups siffleurs à l’heure du bal de promo. Pourtant sans arrogance aucune, ses traits fins suggèrent une sensibilité d’introvertie, un air effacé. Ici elle met son apparente candeur au service d’un rôle touchant – la petite amie qui rêve d’épousailles et contemple en soupirant la beauté métropolitaine. Regarder Ferris Bueller c’est en tomber amoureux. Sa carrière cependant est plutôt catastrophique, entre séries B (Timecop) et contes de fées sous cellophane (Ma fée bien aimée, L’appel de la forêt, Jack et le Haricot Magique version 2001, la mini-série Les sorcières d’Oz), cette filmo étant le fruit du succès d’un film d’héroic fantasy où elle fut princesse – le Legend de Ridley Scott.
Dans La folle journée de Ferris Bueller, Mia Sara est la petite amie parfaite, sincère et romantique. Loin de partager la notoriété de Jennifer Connelly ou Winona Ryder, l’actrice fait partie de cette bande de jolis minois en tête d’affiche des meilleurs teen movies des eighties, mais dont la carrière n’a finalement rien de l’american dream. Citons entre autres la très fashion Alicia Silverstone de Clueless, l’irrésistible Molly Ringwald de Sixteen Candles/Rose Bonbon, ou encore la so sexy Rebecca de Mornay (Risky Business). Raison de plus pour (re)découvrir Mia dans son meilleur rôle…
4. Parce que tout est politique
John Hugues a longuement oeuvré pour le National Lampoon, revue satirico-incisive dont Hara Kiri sera l’équivalent frenchie et par laquelle sont passés les meilleurs scénaristes des Simpson. Baby boomer impertinent, il fera alors de La folle journée de Ferris Bueller son film le plus politisé. Evoquant justement par sa liberté de ton Bart Simpson, ce Dennis la Malice trash, Ferris en s’aspergeant les cheveux dans sa douche se constituera une crête en mode punk, tendance no future. Nous détaillant les yeux dans les yeux les étapes d’une arnaque pour parents imbéciles, l’ado prône l’empowerement d’une jeunesse à la Mark Twain, plus maligne que les adultes. Mais cela ne l’empêche pas de déclarer tout de go : « Je ne suis pas européen, alors qui en a quelque chose à foutre des socialistes ? Ils pourraient être fascistes, anarchistes, toujours est-il que ce n’est pas comme ça que j’aurais ma voiture ». Tout de suite après ce discours je m’en foutiste, le jeune évoque un morceau rock surréaliste d’une forte subversion : « Je vais citer John Lennon : « je ne crois pas aux Beatles, je crois juste en moi. Il avait tout bon, car, après tout, il était le Walrus« .
Ferris semble prôner non sans cynisme la tendance matérialiste propre aux traders de Wall Street (c’est là le métier du père de Cameron) tout en s’opposant par sa sensibilité fuck off à la politique patriarcale de Ronald Reagan. Mais alors qu’au sein du bahut s’enclenche un mouvement quasi communautariste (des affiches « Save Ferris ») instaurant Bueller en Che teenager – il en portera d’ailleurs le bonnet – celui-ci se fera à la fois étendard du conformisme confortable de la haute classe (sirotant des cocktails en plein soleil) et parangon de l’illégalité à tendance suicidaire (séchant les cours et roulant à contresens sur l’autoroute). Enfin, son ami Cameron détruira la Ferrari paternelle (« He loves the car, he hates the wife. »dit-il de son père), renversant ainsi les diktats d’un ordre imposé, qu’il schématise au regard de sa propre demeure: « the place is like a museum. It’s very beautiful and very cold, you’re not allowed to touch anything« .
Entre acceptation des codes sociaux et subversion face aux valeurs, John Hugues traduit en cette confusion morale la perte de repères idéologiques d’une adolescence qui, au milieu des années 80, s’affuble en ses errements moraux du nom de Generation X. Ambivalent comme peut l’être la pop culture.
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