La Palme d’or roumaine du festival de Cannes 2007, l’excellent « 4 mois, 3 semaines, 2 jours », sort en DVD. Extrait exclusif des bonus et portrait du réalisateur.
> En exclusivité sur Les Inrocks.com Cinéma, découvrez l’interview de l’actrice Anamaria Marinca qui figure en bonus sur le DVD de « 4 mois, 3 semaines, 2 jours » de Cristian Mungiu :
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> Portrait de Cristian Mungiu :
Cannes 2007. Le jour où je le rencontre sur la plage d’un hôtel, Cristian Mungiu ne sait pas encore qu’il recevra une semaine plus tard des mains du président du jury, Stephen Frears, la Palme d’or pour son deuxième long métrage, 4 mois, 3 semaines, 2 jours et qu’il deviendra ainsi le premier cinéaste roumain à obtenir la récompense suprême. En revanche, Mungiu sait que son film a été bien reçu par les festivaliers. Cristian Mungiu, 39 ans, c’est un visage rond et plutôt doux, qui contraste avec une voix énergique, fébrile, speedée. Quel est le parcours de ce cinéaste inconnu à l’époque ? Avant d’apprendre le cinéma à l’université de Bucarest, Mungiu a étudié la littérature anglo-américaine et a été journaliste dans sa ville natale, Iasi. “Quand j’étais enfant, nous avions des cinémas mais nous ne voyions que des films russes ou français. A la cinémathèque, nous pouvions voir des anciens Fellini, Bergman, Rossellini. Ce qui nous manquait, c’étaient les films contemporains.” Aujourd’hui, il se souvient d’avoir adoré E la nave va de Fellini, Stalker de Tarkovsky, les films de Robert Altman. Il admire beaucoup le cinéma de Bruno Dumont. A la sortie de l’université, Mungiu devient assistant réalisateur sur Capitaine Conan de Bertrand Tavernier, puis Train de vie de Radu Mihaileanu. Entre 2000 et 2002, il réalise trois courts métrages, des publicités. Son premier long, Occident, une comédie, est présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs en 2002, où il passe plutôt inaperçu. A l’origine de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, il y avait l’envie de parler des dernières années du communisme : “Je voulais réaliser un film dramatique, sobre, qui se déroulerait simplement, sur une journée. Je cherchais une histoire vraie. Et puis un jour, j’ai revu une fille qui m’avait raconté cette mésaventure à l’époque, et j’ai été tellement bouleversé, jusqu’à la colère, par cette histoire, quinze ans après l’avoir entendue pour la première fois, que j’ai compris qu’il fallait que j’en fasse un film.” Dans sa pratique, le stade de l’écriture tient une place prépondérante : “Mon travail consiste à chercher la meilleure façon de raconter. Les messages naissent d’eux-mêmes, après coup. Je sais que ça parle d’amitié, de solidarité, de moralité, d’avortement, de liberté personnelle, et aussi de l’égoïsme qui naît de la dictature. Mais je ne voulais pas être didactique ou juger. Ce que je cherche, c’est à créer la tension. Quand j’introduis un couteau dans le film, par exemple, c’est pour qu’on se dise qu’il va peut-être servir, pour montrer aussi la peur éprouvée par Otilia, mon héroïne. Je n’ai pas besoin que ce couteau serve réellement… C’est toujours plus fort de ne pas montrer que de montrer ! Dans la scène où Otilia se trouve chez les parents de son petit copain, je ne filme qu’elle, je laisse les autres hors champ, et je montre qu’elle pense à ce qui se passe à l’hôtel pendant ce temps-là. Alors le spectateur est avec elle… Je dois dire aussi qu’Anamaria Marinca est une très bonne actrice : tout ce qu’elle pense se voit immédiatement sur son visage.” Pour la mise en scène, Mungiu a donc opté pour la simplicité : “Quand l’héroïne ne bouge pas, je pose la caméra, quand elle bouge, je bouge. Pas de très gros plans, pas de musique ! J’avais au départ prévu une fin moins abrupte, que j’ai tournée : un plan long, un travelling arrière qui s’éloignait du restaurant… C’était tellement beau ! (rires) Jeté au montage ! Mais j’ai encore besoin d’apprendre, de simplifier, d’être plus humble, de manipuler de moins en moins le spectateur.” Cristian Mungiu apprécie de rencontrer ce qu’il appelle la “presse cinéphile”. Dans son pays, la nouvelle vague roumaine n’a pas encore atteint la plage du grand public. Seule la critique soutient ces jeunes cinéastes, nés entre 1965 et 1975 (Cristi Puiu, Corneliu Porumboiu), qui tentent de faire renaître un cinéma plutôt moribond. La nouvelle vague roumaine n’est donc pas un mythe journalistique inventé à l’ouest ? Mungiu s’enflamme : “C’est avant tout un problème de financement. Avant, le système d’aide à la production était noyauté. On retrouvait, parmi les membres de la commission qui octroyait les aides, des candidats à cette subvention ! Et puis on a commencé à parler de nos films à l’étranger. Nous nous sommes engagés pour lutter contre le système, avons organisé une conférence de presse pour dire qu’il était immoral et illégal ! Après, ça a été une vraie guerre. Nous avons créé une association de jeunes cinéastes. Pendant les trois dernières années, j’ai passé un temps fou, au Parlement, au ministère de la Culture, pour que la loi soit revue ! Nous n’avons pas totalement gagné, mais il y a aujourd’hui assez de fonds pour que nous puissions tourner nos films.” “Et je crois, poursuit le jeune cinéaste, que c’est ce qui fait de nous effectivement une génération. De plus en plus de gens auront la possibilité de faire des films. Quatre ou cinq cinéastes par an peuvent désormais tourner un premier film ! Ce qui est encore mieux, pour moi, c’est que tous ces cinéastes aient des styles différents. Mais la lutte n’est pas terminée. L’ancienne génération considère que ce que nous faisons n’est pas du cinéma. Pour eux, le cinéma, ce sont leurs films, des mélos où tout le monde meurt, ou des reconstitutions historiques… Les spectateurs ne sont pas encore habitués à nos films, ils ne sont pas assez éduqués pour cela. Un des gros problèmes, aussi, c’est qu’il n’y a pas assez de salles de cinéma, ou alors des multiplexes… C’est très décevant d’appartenir à un cinéma qui est apprécié à l’étranger et méprisé dans son propre pays.”
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