Elle était exceptionnelle dans “Rien à foutre”, un premier film fulgurant et hyper-contemporain sorti en mars. On a depuis revu Adèle Exarchopoulos dans “Les Cinq Diables” et “Fumer fait tousser”. Elle nous raconte son année.
Rien à foutre
“Le succès du premier film de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre a été une vraie surprise. Rien à foutre est un film qu’on a fait dans l’urgence, avec les moyens du bord. Le tournage a été coupé par le premier confinement. Il est sorti dans des conditions dures, dans un marché encore très impacté par le Covid, et pourtant il a réuni près de 150 000 spectateurs. On ne s’y attendait pas, mais on peut comprendre a posteriori pourquoi le film a touché. Il est vraiment hyper-contemporain. L’épidémie a rendu plus flagrantes encore les différences sociales. On s’est tous retrouvés face à nos failles et nos privilèges. Et le propos anticapitaliste du film, exprimé dans une forme poétique, résonne avec ce moment de forte conscience des inégalités.
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Rien à foutre est aussi un film très juste sur une génération, la mienne, son rapport à la consommation. Tout se consomme, les corps, l’amour, la communication… J’ai rarement vu aussi bien filmé le rapport qu’on entretient avec son téléphone, cet attachement très fort, organique à un objet, comme s’il était un reflet de soi-même. Le film raconte aussi quelque chose de très puissant sur la capacité de cette génération à passer d’une chose à une autre, à tout bouleverser si un truc ne va pas. On a intégré quelque chose de l’instabilité croissante du monde. Alors que tout s’obscurcit, que c’est de plus en plus compliqué de se projeter, il y a une urgence de vivre.
Et puis, cela faisait longtemps, disons depuis La Vie d’Adèle, que je ne m’étais pas trouvée sur un film d’une telle liberté, fondé à ce point sur l’improvisation, où on trouvait l’essentiel de la matière au moment du tournage. Je me suis embarquée dans ce projet comme dans une aventure et je me suis sentie d’un bout à l’autre en adéquation avec Julie et Emmanuel.
Léa Mysius
Je rêvais de travailler avec elle et j’étais trop heureuse quand j’ai eu le casting des Cinq Diables. Léa a une façon très ludique d’embarquer tout le monde dans son histoire un peu mystique. Avec Sally Dramé, l’actrice enfant qui joue ma fille, elle nous faisait travailler la relation fusionnelle des deux personnages en faisant plein de trucs d’entraînement physique. Des sortes de jeux où Sally devait s’accrocher à moi comme si j’étais un arbre ou comme si elle était un animal. Le tournage était très intense parce que Léa travaille avec une petite équipe de gens très soudés, dont son chef op’ Paul Guilhaume qui est pour moi un des meilleurs, et que cette proximité se sent. Un film, c’est une énergie générale, ça se construit à plein et on sent vraiment, sur les films de Léa, qu’il suffirait qu’un élément manque pour que tout soit un peu bouleversé.
Cannes
J’y suis allée cette année pour Les Cinq Diables et Fumer fait tousser. Depuis La Vie d’Adèle, j’ai eu l’occasion d’y retourner très régulièrement, et c’est toujours un honneur. Mais cette année, il y avait quelque chose d’un peu particulier parce que c’était la première édition à peu près normale après deux années où le festival avait été annulé ou décalé. On sentait un désir brûlant de montrer son travail, de le partager.
“J’ai pu éprouver tout le plaisir et toute la difficulté qu’il y a à être drôle”
Quentin Dupieux
J’ai juste une participation dans Fumer fait tousser mais c’était un plaisir de retrouver Quentin Dupieux. À chaque fois, il pousse le curseur un peu plus loin et un peu plus profond dans l’originalité de son univers. Et ce film-là regorge vraiment de performances d’acteurs hilarantes : Jean-Pascal Zadi, Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Oulaya Amamra sont à hurler de rire. Quentin est le premier cinéaste qui m’a donné l’occasion de travailler sur un registre comique avec Mandibules. Et la même année, j’ai tourné La Flamme. J’ai pu éprouver tout le plaisir et toute la difficulté qu’il y a à être drôle. Et aussi la gratification que ça procure de voir les gens rire à quelque chose qu’on a fait. Tout est tellement anxiogène aujourd’hui que ce qui produit de la distraction, de l’amusement a un prix particulier.
Santé mentale
Je ne regarde pas en boucle les chaînes d’info ni ne lis la presse chaque matin. Ce n’est pas du tout que je veuille faire l’autruche ou que je cherche à me protéger de la violence de l’info et du monde. Mais il faut quand même trouver la bonne distance. Tout va tellement mal : la guerre, le désastre climatique… On se sent parfois menacé dans sa santé mentale. Parfois, j’essaie de regarder le monde à travers les yeux de mon enfant qui peut passer une heure à contempler une abeille ou se demander si les éléphants sont nos amis. Tout devient alors un peu plus doux.
Des œuvres
Au cinéma cette année, j’ai beaucoup aimé le premier long de Lola Quivoron, Rodéo. Et aussi Leila et ses frères de Saeed Roustaee. En séries, je suis complètement accro à Succession, dont j’ai dévoré la saison 3. J’ai beaucoup aimé la série française Miskina, la pauvre sur Amazon avec Mehla Bedia. En musique, j’ai beaucoup aimé le dernier Kendrick Lamar, Mr Morale… Je suis toujours impressionnée par ses textes. Il écrit tellement bien ! Et puis, bien sûr, Motomami, l’album de Rosalía. J’adore tout chez Rosalía : son univers, sa voix, qui est intemporelle… C’est mystique quand elle chante ! Elle peut tout incarner.”
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