“Douleur et Gloire” est arrivé premier dans le classement général de nos critiques de cinéma. Il était donc normal que nous demandions à son auteur de nous parler de 2019.
Sur le plan personnel, qu’est-ce qui vous a le plus marqué, en 2019 ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
De voir comment des centaines de personnes perdent la vie en Méditerranée, un lieu de plaisir et de culture converti en fosse commune pour ceux qui fuient la guerre, l’esclavage et l’injustice. Lorsque des envoyés spéciaux ont demandé de l’aide, j’ai été horrifié par le manque d’initiative et de sensibilité de l’Union européenne.
Avez-vous apprécié la façon dont Douleur et Gloire a été accueilli à Cannes cette année ?
Je suis souvent allé au Festival de Cannes, je sais que le plus sage est de n’espérer aucun prix. Ce sont les règles du jeu. La réaction du public et de la critique a été unanimement positive et nous a beaucoup rassurés quant à la réception du film lors des avant-premières. En ce qui concerne le palmarès, pour être franc, j’en attendais plus.
Diriez-vous que 2019 a été une année très occupée, pour vous, ou seulement une année normale ?
J’ai beaucoup voyagé pour la promotion du film. En plus de Cannes, je me suis rendu aux festivals de Toronto et de New York, où j’ai l’habitude d’être très actif pour la présentation des films et les débats. Sur le marché américain, il y a peu d’avant-premières de films étrangers, généralement pas plus de deux cents et, pourtant, cela requiert autant voire plus de temps de promotion que pour toute l’Europe réunie.
Cette année, je me suis également mis à la photographie et à la peinture, et mon travail a été exposé à New York à la galerie Marlborough, puis à La Tabacalera de Madrid, où on peut le voir actuellement. Je vous invite à venir le découvrir. Ces voyages témoignent du succès du film dans le monde entier, j’en suis très heureux, mais j’ai très envie d’avoir plus de temps pour écrire et penser à ma propre vie.
Quels livres, séries, films ou musique vous ont ému ou intéressé le plus ?
J’ai adoré et découvert plusieurs romanciers que je recommande : The Art of Memoir de Mary Karr (non traduit en français) ; L’Ami de Sigrid Nunez ; Cara de pan de Sara Mesa (non traduit en français) ; Mon année de repos et de détente de la très troublante Ottessa Moshfegh ; Conversations entre amis de Sally Rooney ; Les Pérégrins d’Olga Tokarczuk, le Prix Nobel de l’an dernier.
Je pense que je dois inclure un écrivain de sexe masculin. Le voilà : Richard Stern. Les Filles des autres est un chef-d’œuvre absolu. Il a été publié en 1973 mais n’a pas été traduit en espagnol avant cette année. Le livre me rappelle le meilleur de Philip Roth ou de Richard Yates.
Je ne suis pas un spectateur assidu de séries. Cette année, mes préférées ont été Chernobyl et Years and Years. J’ai aussi apprécié, même si tous les épisodes ne m’ont pas plu, Fosse/Verdon. Et j’adore les acteurs d’Euphoria et Pose. Cette année, j’ai découvert sur une plateforme de streaming Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat, et ça m’a beaucoup touché. J’ai aussi vu pour la première fois La Prisonnière d’Henri-Georges Clouzot, qui m’a beaucoup surpris, peut-être parce que je ne le connaissais pas.
Mes films préférés cette année sont : The Irishman de Martin Scorsese, Sauvage de Camille Vidal-Naquet, Parasite de Bong Joon-ho, Les Eternels de Jia Zhangke, Marriage Story de Noah Baumbach, Monos d’Alejandro Landes, Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Le Traître de Marco Bellocchio et Viendra le feu d’Oliver Laxe. J’ai aussi adoré Renée Zellweger dans Judy de Rupert Goold (en salle en France le 26 février – ndlr).
Je n’ai pas eu le temps d’écouter beaucoup de musique cette année, en plus de celle que j’écoute tout le temps. Mes albums préférés de l’année sont : When We All Fall Asleep, Where Do We Go? de Billie Eilish, Providence de Shannon Wright, MAGDALENE de FKA twigs, et Ofertório de Caetano Veloso avec ses fils Zeca, Tom et Moreno.
Sur le plan politique, quel a été selon vous l’événement le plus marquant de 2019 ?
L’exhumation de Franco, quarante-quatre ans après sa mort. Que le dictateur n’ait pas son propre temple, dans la Valle de los Caídos, où les membres de l’ultra-droite pouvaient venir du monde entier pour lui rendre hommage. C’était une anomalie démocratique qu’on a mis beaucoup trop de temps à réparer. C’est enfin arrivé ! Pour un citoyen espagnol, c’est un événement d’une très grande importance.
>> A lire aussi : Notre grande série “Almodovar et Les Inrocks”
Vous venez d’avoir 70 ans. Est-ce que ça change quelque chose pour vous ?
Cela n’a rien changé au quotidien, mais je pense plus fréquemment à la mort qu’auparavant.
Quels sont vos projets et vos espoirs pour 2020 ?
J’ai deux projets au stade de première ébauche, l’un des deux finira par s’imposer. Le premier est fondé sur les histoires d’une écrivaine, le second est original. Je souhaite également tourner un court métrage en début d’année qui sera lui aussi une adaptation littéraire.
Sur le plan social, j’espère pour l’année à venir l’impossible, à savoir que les gouvernements chinois, indien, américain et brésilien prennent conscience de l’urgence climatique et prennent de vraies décisions sur cette question.
J’espère aussi, et ce devrait être plus simple à réaliser, que l’Espagne cessera d’être un pays ingouvernable et qu’un nouveau gouvernement progressiste se substituera au gouvernement intérimaire en place.
Exposition Flores (avec Jorge Galindo) jusqu’au 26 janvier, Tabacalera, Madrid
(Propos traduits par Lisa Trichès)
{"type":"Banniere-Basse"}