Le réalisateur de « Saint Laurent » fait le bilan de son année et nous parle de son projet de film pour 2015, « Paris est une fête ». Explosif.
Saint Laurent est votre sixième film, celui qui aura fait le plus d’entrées et qui aura aussi fait couler le plus d’encre. Que représente-t-il dans votre parcours artistique ?
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Bertrand Bonello – C’est un projet particulier quand même. D’abord parce que l’idée ne vient pas de moi, parce qu’il s’inscrit, à la base, dans un genre plus classique, celui du biopic, parce qu’il y a eu un second film (ndlr. Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert) et parce qu’on a eu des soucis… Bref, tout était réuni pour que ce soit assez particulier. Après, ce qui a changé, c’est que, financièrement, je n’avais jamais eu accès à un budget aussi gros, presque trois plus fois élevé que pour L’Apollonide. Donc j’ai pu tenter des choses que je n’avais jamais tentées avant, faute de moyen. Je ne suis pas persuadé que ça se reproduise non plus mais c’était très excitant. Maintenant, sur la perception des gens, il est certain que la médiatisation autour de Saint Laurent était nouvelle pour moi. Même à Cannes, pour la première fois, je sentais que le film était attendu. Alors que les autres étaient plutôt des outsiders. Il est passé le samedi soir et il y avait déjà eu beaucoup de papiers avant, etc. Mais je ne suis pas forcément à l’aise avec ça. On a peur de décevoir quand il y a une telle attente.
La promotion a donc été plus intense pour ce film ?
Oui, parce qu’il s’agit d’un nom connu et qu’il y a des stars au casting. C’est sûr que j’ai fait plus de promotion que pour mes autres films. Mais je suis aussi conscient que cela passe par là. Sortir un film aujourd’hui, c’est une guerre. L’année a été difficile pour les distributeurs. Je pense aux distributeurs indépendants de taille moyenne, ceux qui, sans avoir les ressources des grands groupes, sont obligés de s’engager financièrement dans un film de manière très forte. Si les entrées ne sont pas au rendez-vous derrière, cela fragilise immédiatement leur trésorerie. S’ils sont fragilisés, ils deviennent alors peureux, frileux et ça bloque d’autres films. Le cinéma français est bâti sur un équilibre avec de petits, de moyens et de gros films et tout le monde tient un peu grâce aux autres. Cet équilibre est fragile.
Est-ce que le résultat au box-office du film (356 438 entrées) par rapport à son coût et par rapport au succès du film de Jalil Lespert (1,6 million d’entrées) est problématique selon vous ?
Le film va finir à 400 000 entrées, ce qui était ce qu’on espérait en le mettant en production. C’est plus que ce qu’ont fait tous mes films réunis. C’est peut-être un biopic sur Saint Laurent mais c’est avant tout un film personnel, ce qui fait que le nombre d’entrées n’est pas du tout décevant, qui plus est, dans un marché compliqué. Et puis, il est toujours difficile de passer en deuxième quand il y a deux films sur le même sujet. On le savait. Ça n’a pas du tout empêché le film d’exister. Bien au contraire.
Avec L’Apollonide et Saint Laurent, on a l’impression que vous avez pris un virage plus esthétique et moins abrupt, est-ce quelque chose que vous désirez poursuivre dans vos prochains films ?
Non, le prochain sera très diffèrent. L’Apollonide et Saint Laurent sont deux films presque jumeaux. Ils sont un peu pensés de la même manière, ils ont le même sens du temps. Ce sont deux huis clos et deux films d’époque qui s’inscrivent dans un univers assez riches ; d’un côté, les maisons closes, et de l’autre, la haute couture. Ils fonctionnent tout deux comme des opiacés. Le prochain sera très différent ; extrêmement contemporain, plus court et son geste sera assez radical.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Mon prochain film s’intitulera Paris est une fête et suivra des jeunes qui posent des bombes à Paris, de nos jours. Il sera traité beaucoup plus comme un film d’action que comme un film sur le temps.
Donc une sorte de terrorisme pratiqué par la jeunesse. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
C’est quelque chose que je sens dans l’air. Après, je ne veux pas donner de justification politique ou sociale à ce geste qui est en lui-même politique. Ces jeunes seront uniquement dans l’action. Le film sera vraiment centré sur ces jeunes âgés de 18 à 21 ans, joués par des acteurs non-professionnels. Ces personnages seront issus de milieux sociaux divers, car je veux éviter toute stigmatisation du type « c’est la banlieue » ou « c’est l’islam ».
Mais prendraient-ils cette décision face à une certaine forme de détresse ?
Je n’ai pas l’impression qu’on soit obligé de justifier ce geste parce qu’il s’exprime face à une tension qui est de toute manière extrêmement palpable. J’ai l’impression que, si on le justifie, on en diminue presque la portée. Alors que ce qui m’intéresse c’est quelque chose de beaucoup plus général, plus universel. Après, le film n’est pas encore financé. Il est déjà écrit mais il est en cours de financement. Ca m’excite beaucoup de partir ailleurs en terme de cinéma, de tenter d’autre chose. J’espère pouvoir tourner cet été.
Quels films vous ont marqué en tant que spectateur cette année ?
Cette année, j’ai beaucoup travaillé. Il y a eu le film et sa promotion, un bouquin, un disque et l’exposition à Beaubourg donc je n’ai pas eu le temps de tout voir. Je me rattrape un peu maintenant. J’ai beaucoup aimé le Glazer (ndlr. Under the skin) même si je suis moins ému que sur son précédent, Birth. Parmi les premiers films, j’étais assez impressionné par celui de Virgil Vernier, Mercuriales. Hier, j’ai vu le film d’Assayas (ndlr. Sils Maria) que je trouve très beau. Il y a aussi Adieu au langage de Godard qui est magnifique.
Est-ce que la série est un format qui vous intéresse ?
Je n’en regarde pas beaucoup car c’est chronophage et on ne peut pas tout faire. Mais ce que je trouve très intéressant dans la série, c’est le temps. A l’époque, j’avais écrit sur The Wire. Dans ce type de série, on peut se permettre de passer un quart d’heure sur un personnage secondaire ou de faire des digressions. Je n’aime pas beaucoup les séries récurrentes. En revanche, celles qui se déroulent comme un long fleuve offrent des possibilités d’écriture incroyables. La série américaine est pour moi beaucoup plus impressionnante que la série française. Mais je pense que cela s’explique par le fait que les américains ont un cinéma beaucoup plus verrouillé, que ce soit le cinéma de studio ou le cinéma indépendant où il n’y a pas d’argent. Du coup, c’est vrai que les acteurs, les réalisateurs et surtout les scénaristes vont chercher une liberté et de l’argent dans la série. En France, nous avons un cinéma très libre. On a donc moins besoin d’aller chercher une liberté à la télévision.
La réalisation d’une série vous intéresserait-elle, éventuellement à la manière de Bruno Dumont, sur une mini-série par exemple ?
Oui, parce que c’est vrai qu’au cinéma, nous ne pouvons plus faire ça. Déjà quand on arrive avec un film de 2h30, tout le monde vous hurle dessus. Donc si on a envie de développer quelque chose de long, c’est vers ça qu’il faut se diriger. Dans un bonus du DVD de The Wire, je me rappelle que David Simon (ndlr. créateur de The Wire) disait qu’il pensait la série comme un film de cinéma de 13 heures, sauf que ça ne peut pas exister au cinéma.
Le côté littéraire de la série vous intéresse-t-il également ?
Oui,c’est vrai qu’il y a dans la série quelque chose du grand roman. La véritable vedette de la série, ce n’est pas le réalisateur mais ce qu’on appelle le showrunner. La forme importe peu. A la limite, il vaut mieux les concevoir et les écrire que les réaliser. Je pense que tout le potentiel est dans l’écriture.
Une série qui s’illustrerait par sa forme ne pourrait pas exister à votre avis ?
C’est vrai que c’est rare. Il y a Twin Peaks qui a une vraie identité formelle mais autrement je ne vois pas. Concernant P’tit Quinquin, j’ai un peu de mal à appeler ça une série. C’est une mini-série mais ça s’apparente plus à un long film de trois heures et demie. Pour moi, la véritable série se développe vraiment sur une longueur plus importante.
Au niveau politique maintenant, comment avez-vous vécu l’année qui s’est écoulée ?
Je redoute le pire pour 2017. Après je ne vois pas comment un gouvernement peut s’imposer dans un monde à ce point-là mondialisé. Politiquement, j’ai l’impression qu’il faut des dizaines d’années pour se remettre d’une crise comme celle qu’on a vécue. Il faut qu’on arrive au bout, qu’on arrive à un essoufflement total pour pouvoir basculer sur autre chose. C’est certain que les gens ont totalement perdu confiance en la politique parce qu’on voit bien à quel point un politicien, qu’il soit de droite ou de gauche, peut changer de discours pour gagner dix ou quinze voix. Nicolas Sarkozy peut virer très à droite ou plutôt au centre s’il voit qu’il pourrait y récupérer des voix. Je ne comprends même pas pourquoi il y a encore tellement de presse là-dessus, ça n’a plus de sens et ça devient inintéressant. Je pense que les vraies questions sont économiques et d’une complexité qui nous échappe.
Votre prochain film semble complètement lié à ce contexte.
Pour moi c’est sûr, c’est maintenant qu’il faut le faire. J’avais pensé le faire après L’Apollonide mais il avait été mis entre parenthèse quand on m’a proposé Saint Laurent. J’ai envie d’enchaîner rapidement car c’est vraiment maintenant qu’il doit être fait.
Il y a quelque chose d’extrêmement violent dans ce sujet.
Oui, je pense que, paradoxalement, c’est souvent quand on atteint des sommets au niveau technologique et scientifique que se produisent les choses les plus barbares. Drôle de paradoxe humain. On a vu ça dans les années 30 en Allemagne. Comme si une civilisation qui arrive au sommet de son développement devait ensuite sombrer dans la destruction. Peut-être que nous ne sommes pas loin de ça.
Dans Paris est une fête, cette destruction se manifestera donc sous la forme du terrorisme.
Plus que du terrorisme, c’est le désir d’un geste face au questionnement : est-ce que la parole est encore entendue? La parole politique, on ne l’entend plus. La parole des gens, on ne l’entend plus. Même les manifestations sont totalement inclues dans un système où elles finissent par passer inaperçues. Après la parole, il ne reste plus que le geste. Je crois beaucoup en ces trois temps : la parole, l’écrit et puis l’action.
Peu de films contemporains s’emparent à ce point-là de la détresse de la génération des 18-25 ans.
Oui, j’ai remarqué ça parce que j’ai commencé à faire du casting sauvage avec plein de jeunes gens et ça leur parle incroyablement. Au moment où je leur raconte l’histoire de mon film, ils me répondent calmement : « Ben ouais! ». Le fait de poser des bombes ne les énerve pas et cela ne les choque pas du tout.
Qu’aller-vous faire sauter alors ?
Ca, c’est un secret. Non, je n’ai pas encore tout à fait arrêté mon choix.
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