Dans une année consacrée avant tout à la sortie de son film « La guerre est déclarée », elle a eu le temps d’en tourner un autre, de s’enthousiasmer au cinéma, de s’émouvoir de la mort d’Amy Winehouse, de découvrir Hollywood, de s’interroger sur la sexualité féminine.
Une renaissance
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L’année 2011 est difficile à dissocier pour moi de mon film La guerre est déclarée. On l’a tourné en décembre 2010, le 1er janvier on commençait à le monter, en mai on le présentait à Cannes et en septembre il sortait en salle. J’ai vécu ces neuf mois passés à accompagner le film comme une renaissance. J’emploie le mot à dessein parce qu’au milieu de ces événements, j’ai perdu ma mère. C’est arrivé juste avant Cannes. A de grands moments de tristesse se sont mêlés de grands sentiments de joie. Le passage de l’un à l’autre était délirant. Quand on perd sa mère, d’un coup on n’est plus un enfant, on s’enfonce un peu plus dans l’âge adulte. J’ai l’impression désormais, dans ma vie, d’être la seule mère.
Une réparation
La reconnaissance agit toujours comme une réparation. Notamment sur le narcissisme. C’est surtout vrai pour celle que nous avons reçue avec La guerre est déclarée. Avec Jérémie, nous avons connu l’aspect douloureux et noir de cet événement (la maladie de leur enfant – ndlr) et ensuite son versant lumineux et joyeux. Les deux isolent de la même manière. C’est difficile de partager un drame personnel si violent, mais c’est également difficile de partager un succès. Les gens ne vous perçoivent plus de la même façon. Mais avec Jérémie, nous avons eu la chance d’être toujours incroyablement soudés. Dans la vie, j’ai toujours cherché mon double… J’étais convaincue qu’on n’existait vraiment qu’à deux. C’est pour ça que je suis si émue par le film Deux en un des frères Farrelly. Quand ils sont unis par le tronc, ils réussissent à préparer des hamburgers à toute vitesse. Mais si on les désunit, ils n’arrivent plus à rien. Il faut qu’ils se renouent par un système de tablier pour pouvoir continuer à faire des choses. Ça me bouleverse et je crois que c’est de cette nécessité de la fusion que parlent mes films.
Drive
Cette année, j’ai aimé beaucoup de films : Deep End, que j’ai trouvé magistral ; Super 8, totalement jubilatoire ; j’aime bien Drive… Ryan Gosling est très bien mais vraiment j’adore Carey Mulligan. Le film est très beau sur leur relation, il ne cède jamais aux stéréotypes : c’est complexe, ambivalent, très fouillé. Et, bien sûr, c’est super bien mis en scène. J’avais très envie de voir Black Swan, d’autant plus que j’écrivais à ce moment-là mon nouveau film, qui se passe à l’Opéra-Garnier dans le milieu des ballets classiques, mais beaucoup de choses m’ont fait sourire.
Le personnage de la mère y est très lourd, tout ça est un peu grandiloquent et à la limite du ridicule. Le film ne m’a pas bouleversée mais il m’a parfois troublée. Il dégage quand même un truc érotique très fort.
L’Apollonide
Ce matin, je filmais les petits rats à Garnier et j’ai pensé très fortement à L’Apollonide, de Bertrand Bonello, que j’ai adoré. L’intimité et la solidarité de ces filles, qui se font des chignons, se massent, se mettent des pansements, s’aident à accrocher leurs corsets… Il y a quelque chose de très beau sur le soin qu’elles prennent les unes des autres, opposé à la dureté de ce qu’elles vont vivre dans leurs corps. C’est pareil entre les petites filles de Garnier : elles n’arrêtent pas de s’arranger mutuellement, de se toucher pour mieux supporter ce que leurs corps vont endurer. Visuellement, L’Apollonide est un film sublime. J’adore aussi Tomboy. Je trouve ça dément, sur l’écriture, la mise en scène. Le film est un geste. J’adorerais faire un film sur l’identité sexuelle, l’indécision, mais pour l’instant j’ai trop peur de ne pas en avoir une connaissance assez intime et de le traiter faussement.
Amy Winehouse
La mort d’Amy Winehouse m’a touchée mais pas vraiment surprise. Au fur et à mesure qu’elle annulait des dates de concerts, qu’on nous annonçait qu’elle allait mal, on se préparait à apprendre ça. J’adorais sa voix, sa présence. Sa mort est tragique et en même temps nourrit son mythe. Amy Winehouse, c’est déjà un mythe.
L.A
2011 a été pour moi la découverte de Los Angeles, une sacrée expérience. Tout à coup, Hollywood prend un sens. C’est une ville étirée et basse, qui semble avoir été construite pour justifier l’invention du Cinémascope. Même chose pour la lumière : quand on voit les films tournés là-bas, on pense que les réalisateurs ont utilisé des tonnes de filtres alors qu’en fait les couchers de soleil sont vraiment les plus incroyables que j’ai vus de ma vie. Je comprends pourquoi on parle de Sunset Boulevard.
Tout transpire le cinéma à L. A. J’y suis allée pour la présentation de La guerre est déclarée aux oscars. Pour espérer apparaître dans la liste des cinq films étrangers nommés, il faut faire une sorte de campagne, rencontrer les votants, les journalistes… Pour nous, c’est à un niveau ridicule mais pour Jean Dujardin, ça dure des semaines, il fait des tournées dans les maisons de retraite…
L’affaire DSK
L’événement d’actu qui m’a le plus marquée, c’est l’affaire DSK. A un moment, on ne parlait plus que de ça dans les dîners, tout le monde avait son avis sur ce qui s’était passé. Et ce n’est pas fini. Les vidéos qui viennent de sortir sont très troublantes et démentent beaucoup de choses qui ont été dites.
Je ne me suis pas reconnue dans la façon dont un certain féminisme s’est emparé de l’affaire pour en faire le symbole de la domination masculine. Le féminisme qui m’intéresse aujourd’hui n’est pas du côté de la diabolisation du sexe, du désir. C’est plutôt celui qu’incarne Virginie Despentes. King Kong théorie, c’est remarquablement intelligent et ça me parle vraiment. De toute façon, je suis de plus en plus frappée par ce quelque chose d’irrésolu, d’intranquille dans le rapport des femmes à leur sexualité. On est prises au jeu du désir de séduire, on fait des choses qu’on ne veut pas… Moi, comme tout le monde, j’ai déjà couché par politesse. Parce que j’avais le sentiment de ne plus pouvoir faire autrement. J’étais jeune, j’ai appris.
L’acharnement à pénaliser la prostitution me scandalise. Ce débat est débile. Je ne vois pas pourquoi on interdirait aux femmes de se prostituer. Aux hommes non plus d’ailleurs. C’est une atteinte à la liberté. La prostitution doit être encadrée mais pas criminalisée. C’est un mode de sexualité qui m’intéresse – payer, se faire payer.
Une image
Si je devais retenir une image, ce serait celle de cette jeune fille égyptienne, Alia El Mahdi, qui s’est mise nue sur internet. La photo est très belle. Les collants à pois, le maquillage des yeux, tout est magnifique. C’est un geste d’émancipation très fort, très subversif et complètement bouleversant.
Recueilli par Jean-Marc Lalanne
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