ar Son Grand Prix à Cannes pour Des hommes et des dieux lui a ouvert les portes de l’Elysée. Ça tombe bien, il est curieux.
réveillon chez les moines
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Mon année 2010 a commencé le 31 décembre 2009 avec le tournage de la scène du repas sur la musique du Lac des cygnes. Il me manquait les gros plans. Je n’en avais fait encore aucun pour ne pas griller mes cartouches et mieux faire surgir ces plans de visages. On a commencé ces prises avec Champetier (Caroline, directrice de la photo – ndlr) vers minuit moins le quart, qu’on a terminées vers 2 heures du matin, le 1er janvier donc.
On a réveillonné après. On n’avait pas le temps de retourner à l’hôtel alors on a transformé le scriptorium (l’atelier des copistes – ndlr) en boîte de nuit ! Après, je ne me souviens plus trop de ce qui s’est passé.
On a fini le tournage le 22 janvier, je suis rentré directement chez moi en Normandie, sans même passer par Paris.
to Cannes or not to Cannes ?
Le montage s’est passé chez moi puisque la monteuse, Marie-Julie Maille, est ma compagne et désormais ma femme. C’est allé tellement vite ! Tu finis de tourner le 22 janvier, et le 23 mai t’as le Grand Prix. Pendant le montage, je n’avais pas du tout la pression de Cannes.
C’est surtout Caucheteux (Pascal, producteur – ndlr) qui s’excitait sur le festival. Moi, je voulais faire un bon film, c’est tout. Pour Le Petit Lieutenant, je m’étais fait jeter en deux secondes par le comité de sélection, donc ça sert à rien de speeder pour Cannes si t’es même pas sûr d’y être.
Au montage, je ne suis pas là tous les jours. Pas besoin d’être sur le dos de la monteuse ni de s’abîmer les yeux. Si tu restes l’oeil collé à ton film sans arrêt, il finit par te faire vomir. A un moment critique du montage, on est parti quinze jours à la montagne chez Doudouche (Jean Douchet, éminence critique et père cinématographique de Beauvois – ndlr). Il fallait prendre du recul. Après, on voit mieux le film, c’est évident.
menotté par les flics
Je suis allé trois jours au mixage à Paris. C’était en banlieue, pas question d’aller m’enfermer là-bas pendant deux mois. Après le mixage, avant de rentrer en Normandie, je m’arrête vingt minutes dans une église afin de repenser à tout ça au calme – dans un bistrot, y a trop de bruit.
Deux videurs de l’église me disent de dégager. Le ton monte. Paf ! En deux secondes, je me retrouve menotté par les flics. Je dit “C’est quoi ce délire ?” J’étais pas bourré, j’avais bu quatre whiskies, pour moi c’est rien, un p’tit déj ! Je me suis retrouvé en garde à vue, en cellule de dégrisement, j’ai pas compris.
C’était la veille de Cannes ! Je leur disais que j’étais sélectionné, ils n’en avaient rien à foutre ! A poil, fouille, empreintes, test ADN, la totale ! Après, on est devenus potes avec le commissaire, mais quand même, je suis passé au tribunal, j’ai eu 3 700 euros d’amende…
Ils cherchent vraiment à faire du chiffre, à remplir des quotas. J’étais à pied avec un gramme d’alcool dans le sang, y avait aucun danger pour personne… Putain, ils peuvent vraiment ruiner la vie de quelqu’un en deux secondes !
palme d’argent
Je suis allé à Cannes en me disant que j’allais essayer d’en profiter un peu. Je ne me souviens plus trop de ce qui s’y est passé, on a tellement déconné avec Roschdy (Zem – ndlr) ! Avant la grande projo du soir, on a vu la presse du matin, enthousiaste. On était rassurés, avec une première indication que ça allait bien se passer.
Mon grand stress pendant la projo, c’est que j’ai eu envie de pisser tout le long et j’osais pas déranger les gens. A la fin, les vingt minutes d’ovation en présence de tous les acteurs, c’est inoubliable. Un gars comme Jacques Herlin n’était jamais allé à Cannes. Ça a été tout un truc pour lui faire essayer un smoking !
Pour la montée des marches, j’avais choisi Ennio Morricone, Il était une fois dans l’Ouest. Ensuite, comme je pensais que j’allais avoir un prix, j’ai appelé Louis Garrel pour passer le reste du festival au cap Nègre, chez Valeria et Carla. On se serait cru dans Le Mépris tellement ça ressemble à Capri.
J’étais très heureux d’avoir le Grand Prix, pas du tout déçu. Faut jamais nourrir d’attentes trop grandes dans ce métier. Le Grand Prix, excuse-moi, c’est quand même pas mal ! J’ai regardé la liste de ceux qui ont eu ce prix : ça va, je suis en bonne compagnie ! C’est bien de ne pas avoir reçu la Palme, comme ça, j’ai toujours envie de l’avoir. Oscar Wilde disait qu’il y a deux tragédies dans la vie : la première, ne pas réaliser ses rêves ; la seconde, les réaliser.
passe ton bac d’abord
Mon fils Arthur a eu le bac, c’est important pour moi. C’est le premier Beauvois qui a eu le bac ! En plus, il avait la pression : je lui avais dit, moi, j’ai déjà eu un prix à Cannes (pour N’oublie pas que tu vas mourir – ndlr), par contre, on n’a jamais eu le bac dans la famille ! A la limite, je préférais ne pas avoir de prix et qu’il ait le bac. Juste après Cannes, je me suis marié avec Marie-Julie. Ensuite, en juin et juillet, j’ai tourné dans deux films : celui de Jean-Marc Moutout (De bon matin) et celui de Bertrand Bonello (L’Apollonide).
Sur le Moutout, je me fais flinguer par Darroussin, et sur le Bonello, je suis “ les flics m’ont mis en garde à vue. J’étais pas bourré, j’avais bu quatre whiskies. Pour moi c’est rien, un p’tit déj !” entouré de putes à poil.
Arthur est venu me voir sur les tournages. Après, c’est dur pour les mômes de pas avoir envie de faire ce métier.
star à trois millions d’entrées
Je voulais faire un million d’entrées. Le Petit Lieutenant s’était arrêté à 750 000, je voulais faire mieux. C’est comme le sport, faut progresser. A chaque film, on apprend, après, il faut utiliser ce qu’on a appris.
Avec Des hommes et des dieux, j’ai fait le score de tous mes films réunis plus deux millions. Mais ça n’a pas changé ma vie. Un succès comme ça, faut le digérer aussi vite qu’un échec. Faut refuser plein de trucs, ne pas se faire bouffer, ne pas devenir un people. Moi, je reste en Normandie, j’en bouge peu.
Le Parisien me classe parmi les “stars”, avec des gens comme Deneuve, Canet, Cotillard, tout ça parce que j’ai fait plus de trois millions d’entrées, pas parce que mon film est bon. C’est dommage. L’agréable avec ce succès, c’est qu’on se dit qu’on peut faire confiance au public.
Moi, j’ai jamais fait de concessions, j’ai jamais fait la pute, les gens ont fait l’effort de venir voir mes films. Ça prouve qu’il faut arrêter de prendre les gens pour des cons. Le dernier Jason Bourne, je suis resté dix minutes, j’ai pas supporté cette caméra qui bouge sans arrêt. Mais pourquoi, putain ? Je ne comprends pas. Dans The Shield, ils font de grands travellings en arabesque juste pour faire un plan de visage ! Ça me rend dingue.
allô, c’est Nicolas
Le président a demandé un DVD du film. Il n’en existe pas, donc c’était projo à l’Elysée et dîner. En tant que cinéaste, je dois tout voir, tout vivre, même si je ne suis pas d’accord avec les idées de Sarkozy. Un jour, je peux me retrouver à jouer ou mettre en scène un ministre ou un président. Il faut rester curieux, ouvert. En plus, je portais un film où il est question de liberté, d’égalité et de fraternité.
Faut admettre qu’en privé, Sarkozy est très sympa. Il a bien regardé le film, après on a parlé pendant plus d’une heure, il connaissait bien l’histoire des moines. Je lui ai filé Le Petit Lieutenant en lui disant que c’était un film aimé des flics. Il a apprécié que j’utilise le mot “flic” devant lui.
Trois jours plus tard, mon portable sonne, c’était l’Elysée. Petite musique d’attente puis : “Allô, c’est Nicolas, on a vu Le Petit Lieutenant avec Carla.” Il a adoré. Ce coup de fil m’a plus impressionné que la soirée à l’Elysée.
Marrakech express
J’ai été reçu royalement au Festival de Marrakech. J’étais dans une suite à La Mamounia : la plus belle chambre de ma vie, avec les oiseaux qui entrent dans la piaule. C’est là qu’Hitchcock a tourné L’homme qui en savait trop. C’était sublimissime. Le soir, je me retrouvais à papoter avec Eva Mendes et Keanu Reeves.
Puis j’ai fait quatre cents bornes pour aller voir frère Jean-Pierre, le survivant (de Tibhirine – ndlr), dans son monastère. Après La Mamounia, on était dans une cellule de six mètres carrés ! C’était drôle. On a revu les gens du coin, rencontrés pendant le tournage. Frère Jean-Pierre m’a écrit une petite carte qui est la plus belle critique de mon film.
Propos recueillis par Serge Kaganski.
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