Qu’importe le budget, la complexité du scénario ou la physionomie des acteurs, le comique peut surgir partout et sous mille formes. Ces vingt réalisateur·rices français·ses vous montrent comment.
Brigitte et Brigitte de Luc Moullet (1966)
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Critique aux Cahiers du cinéma depuis dix ans déjà, Luc Moullet passe derrière la caméra pour réaliser Brigitte et Brigitte, premier d’une longue série de films. Dans ce concentré d’humour décalé aux décors minimalistes, nous suivons deux jeunes filles identiques qui arrivent ensemble dans la Capitale. Un point de départ incongru et l’occasion pour le cinéaste de poser un regard amusé sur son époque : de la faculté avec son prof délirant (joué par Rohmer) aux débats brûlants qui animent le monde cinéphile. Claude Chabrol, André Téchiné ou encore Samuel Fuller seront également de la partie. Un premier geste de cinéma qui pose les bases de son œuvre à venir : viser juste et drôle avec trois fois rien. A découvrir sur UniversCiné.
Du côté d’Orouët de Jacques Rozier (1971)
Trois amies partent en vacances sur la côte vendéenne et s’installent dans une maison au bord de la mer. Quelque temps après leur arrivée, elles sont rejointes par Gilbert (Bernard Menez), le patron de l’une d’elles. Seulement septembre n’est pas août, le temps n’est pas au beau fixe et Gilbert est loin d’être un play-boy des plages. Dans une langueur propre à la fin de l’été, mélange d’ennui et de mélancolie, les trois effrontées seront prêtes à tout pour s’amuser, quitte à martyriser leur compagnon de jeu. Privilégiant l’improvisation et la spontanéité aux scénarios bien ficelés, Rozier capture avec intelligence les explosions de rires espiègles et autres coups d’éclat de nos trois amies. A découvrir sur CanalVOD.
L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune de Jacques Demy (1973)
Marco (Marcello Mastroianni) a la nausée, quelques vertiges et le ventre qui enfle… Sous les yeux étonnés de sa femme Irene (Catherine Deneuve, jolie coiffeuse de Montparnasse), il apprend qu’il est « enceint ». Demy, dont on ne se lasse pas de retrouver les intérieurs colorés, part de ce drôle de postulat pour secouer la répartition des rôles de notre société. La comédie en apparence légère, mais surtout politique et féministe, est portée par un couple d’acteurs iconiques dont la complicité crève l’écran loin des grosses productions et des studios. A découvrir sur Netflix.
Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (1974)
Julie (Dominique Labourier) est une bibliothécaire, voyante à ses heures perdues. Elle tombe sur Céline (Juliet Berto), mi-danseuse, mi-prestidigitatrice de cabaret. Toutes deux s’embarquent dans un trip hallucinogène après la prise de bonbons acidulés : entre pièce de théâtre, film et spectacle de magie. Sous le soleil d’été, Rivette transforme Paris en un grand terrain de jeu, se libère de tous les protocoles et signe peut-être son œuvre la plus enjouée : un film qui ne cesse d’en devenir un autre mais toujours en invitant son spectateur à le suivre. A découvrir sur Google Play.
Le plein de super d’Alain Cavalier (1976)
La star du road-movie culte d’Alain Cavalier est une Chevrolet break marron dans laquelle embarquent quatre jeunes hommes, tous entre la vingtaine et la trentaine, le temps d’un trajet Lille-Cannes. A chaque dizaine de bornes parcourues, s’ensuit son lot d’anecdotes et d’aventures. Le voyage, comme une réponse à Easy Rider, devient la photographie de la France des années 1970. Bernard Crombey, Xavier Saint-Macary, Etienne Chicot et Patrick Bouchitey, amis dans la vraie vie, n’ont aucun problème à se glisser dans des rôles qu’ils ont écrit eux-mêmes. Avec une vitalité folle, ils permettent au cinéaste de réaliser son rêve : se libérer enfin d’un cinéma trop conventionnel. A découvrir sur CanalVOD.
>> A lire aussi : « Être vivant et le savoir » : Alain Cavalier à la vie, à la mort
Loin de Manhattan de Jean-Claude Biette (1982)
Pourquoi le célèbre peintre René Dimanche (Howard Vernon) n’a rien produit pendant huit ans ? Christian (Jean-Christophe Bouvet), jeune critique d’art, est chargé de percer le mystère, en mission pour la revue qui l’emploie. Alors que l’entrevue tourne au fiasco, il demande l’aide de son amie Ingrid (Sonia Saviange) pour amadouer l’artiste. Dans son deuxième long-métrage, Biette (critique aux Cahiers lui aussi) démystifie le monde des intellectuels parisiens – dont le snobisme n’égale que l’ignorance – et mêle, comme toujours, sa singulière poésie à l’humour des mots. A découvrir sur UniversCiné.
Les Apprentis de Pierre Salvadori (1995)
Tous deux dépressifs et losers magnifiques, Antoine (François Cluzet) et Fred (Guillaume Depardieu, César du meilleur espoir masculin pour ce rôle) squattent un même appartement, enchaînant les petits boulots et les combines pour survivre. Entre les descentes de ski dans la cage d’escalier, les verres de vodka et les braquages ratés, ils font ensemble l’expérience d’un quotidien à la dérive, éclairé parfois par quelques apparitions féminines (et notamment celle de la regrettée Marie Trintigniant). Pour son deuxième film, Salvadori réalise une comédie noire burlesque, investissant un de ses thèmes favoris – la dépression – mais toujours avec bienveillance. A découvrir sur Arte VOD.
Dieu seul me voit de Bruno Podalydès (1998)
Pour son premier long-métrage, Bruno Podalydès met (déjà) en scène son frère Denis dans le rôle d’un antihéros, petit bourgeois versaillais prénommé Albert Jeanjean. Maladroit et piètre séducteur, ce dernier doute de tout à un degré maladif : doit-il traverser la rue ? Aime-t-il vraiment la raclette ? Ou doit-il aller battre à Cuba pour défendre le système de santé ? L’éternel indécis reviendra sur les rencontres marquantes de sa vie avec trois femmes. Versant comique du Comment je me suis disputé de Desplechin, le film brille par la justesse de ses dialogues, ses hommages à Hergé ou encore ses drôles de rêveries amoureuses. A découvrir sur Orange VOD.
Il est plus facile pour un chameau de Valeria Bruni Tedeschi (2003)
Avec sa voix fluette un brin cassée qu’on connaît maintenant par cœur, Valeria Bruni Tedeschi se met en scène pour la première fois dans son propre long-métrage en 2003. Jouant déjà avec les codes de l’autoportrait, elle incarne Federica, une femme dont le seul problème est d’avoir trop d’argent. Or l’Evangile le dit bien : « Il est plus facile pour le chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour le riche d’entrer au royaume des cieux. » Ecrasée par la culpabilité et les reproches de son entourage, la jeune femme lunaire, toujours un peu en décalage, cherchera à s’émanciper le temps d’un film à l’auto dérision certaine. A découvrir sur UniversCiné.
Eros Thérapie de Danièle Dubroux (2004)
https://youtu.be/hR32JVeGkm4
Critique des Cahiers du cinéma pendant dix ans, Danièle Dubroux a également réalisé des films marqués par la psychanalyse, mais bien loin d’être barbants, au contraire. Dans son dernier long-métrage, farce délirante, Agnès (Catherine Frot) se sépare d’Adam (François Berléand) pour vivre avec une jeune critique de cinéma (Isabelle Carré). On aperçoit également Julie Depardieu, secrétaire d’une maison close SM clandestine, accompagnée de Claire Nebout en grande dominatrice. Dans cet entrelacs de personnages marginaux, la cinéaste analyse les tabous sexuels et les désirs sentimentaux avec un humour irrésistible. A découvrir sur Amazon Prime Video.
Peau de cochon de Philippe Katerine (2004)
https://youtu.be/rpCsuDjB-p0
Il devait réaliser un court autoportrait mais Philippe Katerine ne respecte aucune règle, pour le plus grand bonheur de ses spectateurs. Le musicien s’est pris au jeu du cinéma et a filmé sa vie, caméra à l’épaule, pendant deux mois. Livrant douze plans séquences, comme douze chansons d’un album, il y intègre ses proches et ses collaborateur·rices. Tout devient léger et vivant, commenté par la voix off de l’artiste, mais les images peuvent également se faire intimes et nostalgiques, comme le trajet reparcouru du collège à la maison familiale. Avec le génie qu’on lui connaît, Katerine réalise un film drôle et poétique qui lui ressemble. A découvrir sur le site de Philippe Katerine.
Aaltra de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2004)
Deux voisins, joués par les réalisateurs eux-mêmes, se haïssent profondément. L’un est cadre, l’autre agriculteur. Alors qu’ils en viennent un jour aux mains, une benne agricole leur tombe dessus accidentellement. Désormais privés de l’usage de leurs jambes et en fauteuil roulant, ils décideront de partir ensemble en Finlande à la recherche de l’entreprise Aaltra, le fabricant de la benne. Un road-movie en noir et blanc qui entraîne moult situations désopilantes, avec deux personnages à l’humour bête et méchant. Impossible de passer à côté. A découvrir sur Cinéma[s].
>> A lire aussi : Blanche Gardin excellente dans “Effacer l’historique” de Kervern et Delépine
Gentille de Sophie Fillières (2005)
Fontaine Leglou (Emmanuelle Devos) est une trentenaire parisienne à la situation stable : un travail de médecin, un mari fidèle et un amant dévoué lui aussi. Seulement cette dernière détonne, ne rentre pas tout à fait dans les cases et lorsqu’arrive la demande en mariage, elle tombe plutôt sous le charme d’un de ses patients (Lambert Wilson). Avec ses dialogues ciselés, ses situations cocasses qui font rupture avec le morne quotidien, Sophie Fillières fait fi de tout académisme et signe une comédie qui n’a pas peur du ridicule. A découvrir sur TV5 Monde.
Steak de Quentin Dupieux (2007)
Pour intégrer la bande très sélecte des Chivers, il faut porter un blouson Teddy rouge, boire du lait, rouler en sport truck et surtout faire de la chirurgie esthétique. Alors que Georges (Ramzy Bedia) est sur le point d’en faire partie, son ami d’enfance Blaise (Éric Judor), qui sort de sept ans d’internement psychiatrique, tente désespérément lui aussi de comprendre la mode du moment. Le réalisateur s’attaque ici de manière hilarante aux éternelles bandes de mecs et à leurs codes quelque peu ridicules. Enorme flop à sa sortie, rare sont ceux qui avaient pris goût à l’humour absurde de Quentin Dupieux, à mi-chemin entre Buñuel et Blier. A découvrir sur Youtube Play.
La vie au ranch de Sophie Letourneur (2009)
Après le gang de mecs, c’est au tour de la bande de filles. Pour son premier long-métrage, Sophie Letourneur ausculte le quotidien de Parisiennes de 20 ans et de leur colocation surnommée « le Ranch ». Au milieu des tas de fringues et des cendriers improvisés, les corps s’agglutinent et les discussions s’allongent jusqu’au départ pour une énième soirée. Dans la rue, les silhouettes titubent, les rires fusent : l’âge est à la fête et aux conneries avant le grand saut dans le monde adulte. A découvrir sur UniversCiné.
Le Roi de l’évasion d’Alain Guiraudie (2009)
Le comique repose souvent sur un couple dysfonctionnel et atypique, une recette qu’Alain Guiraudie a bien comprise. Ici, il s’agit d’Armand (Ludovic Berthillot), un homme homosexuel de 43 ans et de Curly (Hafsia Herzi), une jeune fille de 16 ans qui lui court après. Tous deux s’embarquent dans une épopée amoureuse interdite à travers les champs, pourchassés par la police et le père de la demoiselle. L’évasion est ici une quête de liberté hors des cadres oppressifs de notre société : un conte hilarant et galvanisant. A découvrir sur UniversCiné.
La Reine des pommes de Valérie Donzelli (2010)
Adèle (Valérie Donzelli) vient de se faire quitter par l’amour de sa vie, Mathieu (Jérémie Elkaïm). Alors qu’elle rumine des pensées suicidaires, sa cousine Rachel (Béatrice de Staël) lui offre un plan d’attaque pour reprendre goût à la vie : coucher avec d’autres hommes pour effacer le souvenir du beau brun. Tous, pourtant, ont le visage de l’homme perdu, mais qu’importe, Adèle s’attelle consciencieusement à la tâche. Avec ses nombreux clins d’œil à la Nouvelle Vague, cette comédie rafraîchissante et sensible, se déguste sans le moindre effort. A découvrir sur CanalVOD.
Tip Top de Serge Bozon (2013)
Adaptation libre d’un roman de l’écrivain britannique Bill James, Tip Top suit deux inspectrices (duo génial formé par Isabelle Huppert et Sandrine Kiberlain) envoyées au sein d’un commissariat pour comprendre le meurtre d’un indic d’origine algérienne. Elles se frotteront à l’inspecteur Mendès (François Damiens), parti lui aussi mener l’enquête de son côté. Dans ce polar à la croisée de tous les genres, on entrevoit du Chabrol, du Mocky et même du Moullet. L’humour y est grinçant, frôle le borderline, mais arrive toujours à nous surprendre. A découvrir sur GooglePlay.
L’effet aquatique de Sólveig Anspach (2016)
Le dernier film de la regrettée Sólveig Anspach est un petit bijou d’humour décalé, l’histoire d’un amour tendre entre Samir (Samir Guesmi), un grutier qui a le coup de foudre pour Agathe, fille au franc-parler (Florence Loiret-Caille). Pour approcher cette maître-nageuse, il fait semblant de devoir prendre des leçons. La jeune femme déteste pourtant les menteurs et part sans regrets en Islande au dixième Congrès de sa profession. Dans ce film tout en délicatesse, on rit bien volontiers face à la fantaisie du quotidien d’une piscine municipale. A découvrir sur Youtube Play.
Diane a les épaules de Fabien Gorgeart (2018)
Sans hésitation, Diane (Clotilde Hesme) accepte de porter un enfant pour son meilleur ami et son compagnon. Indépendante, bordélique, elle est sûre d’elle et ne doute pas, même lorsqu’elle tombe amoureuse pendant sa grossesse. Si le sujet semble dangereux et casse-gueule, Fabien Gorgeart arrive à l’aborder avec finesse et évite tous les écueils. Loin d’en faire un film-thèse, il dresse avant tout le portrait complexe d’une femme avec sa part d’immaturité, sa force et sa fragilité. Une comédie ultra-contemporaine, dans l’ère du temps, qui fait le plus grand bien. A découvrir sur Google Play.
>> A lire aussi : Conversation avec Serge Bozon, cinéphile illuminé et réalisateur du splendide « Madame Hyde »
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