Les plateformes de vidéo à la demande se multiplient et le catalogue composite qu’elles proposent peut sembler labyrinthique. Quelques conseils ciné pour le mois de février, entre nouvelles acquisitions et pépites à dévorer avant leur retrait.
Uncut Gems, de Josh et Ben Safdie (2020, sur Netflix)
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Après avoir conquis le grand public avec Good Time, virée électrique chevillée à la course folle de Robert Pattinson, les frères Safdie, figures incontournables de la scène indépendante new-yorkaise, poursuivent sur leur lancée en plongeant Adam Sandler dans un thriller urbain bouillonnant. L’acteur, taulier de tout un pan de la comédie américaine potache et grand public, y trouve son meilleur rôle en incarnant Howard, un bijoutier accro au risque entraîné dans une spirale de magouilles infernale. Virtuose et tragique, Uncut Gems embrasse dans un même mouvement le chaos et le cosmique, l’intime (le personnage est inspiré par le père des deux cinéastes) et le politique (le film peut-être envisagé comme une métaphore implacable du capitalisme).
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Le Château dans le ciel, de Hayao Miyazaki (1986, sur Netflix)
Il y a quelques semaines, le géant de la vidéo à la demande a annoncé à grand bruit l’ajout à son catalogue d’une partie des films du studio Ghibli, référence incontournable en termes d’animation japonaise. Moins connu que Mon Voisin Totoro ou Le Voyage de Chihiro, Le Château dans le ciel est une fable bouleversante dans laquelle l’innocence aventurière des enfants se heurte à l’avidité destructrice des adultes. Inspiré notamment des Voyages de Gulliver et du Roi et l’oiseau, le film est travaillé par une éthique communiste réjouissante.
Dernier train pour Busan, de Sang-ho Yeon (2015, sur Netflix)
Seok-woo, homme d’affaires débordé, ramène sa fille chez sa mère, dont il est séparé. Lorsqu’un virus transforme la population en créatures assoiffées de sang, leur train devient une échappatoire empoisonnée. Soutenu par une mise en scène débordante d’inventivité qui déplie l’horreur dans l’horizontalité confinée du train (on pense parfois au Transperceneige, son contemporain et concitoyen), le film de Sang-ho Yeon redonne à la figure du zombie toute sa charge politique en en faisant le révélateur des tensions sociales qui rongent la société coréenne.
Qu’a fait Jack ? de David Lynch (2017, sur Netflix)
Dans la pénombre étouffante d’un commissariat décrépi, un singe doué de parole est interrogé par David Lynch himself. Troussé comme une parodie de film policier dont les répliques archétypales se télescopent jusqu’à l’absurde, leur face-à-face révèle en creux un amour hors du commun aux conséquences tragiques. Faussement désinvolte et chargé de réminiscences à l’œuvre du cinéaste, Qu’a fait Jack ? avait été réalisé dans le cadre d’une commande pour la fondation Cartier.
No Country for Old Men, de Joel et Ethan Coen (2007, sur Amazon Prime Video)
Lorsque Llewelyn Moss (Josh Brolin) ramasse une mallette pleine d’argent au milieu des cadavres d’une bande de trafiquants de drogue, il signe sans le savoir son arrêt de mort. Poursuivi par un ange fatigué (Tommy Lee Jones en shérif désabusé) et un démon impitoyable (Javier Bardem en tueur psychopathe), il est happé dans une spirale de violence aussi absurde que sanglante. Adapté d’un roman de Cormac McCarthy, No Country for Old Men croise le western au film noir et délivre une méditation intense sur le devenir violent de l’Amérique.
Star Trek, de J. J. Abrams (2009, sur Amazon Prime Video)
Avant que J.J. Abrams ne relance Star Trek au cinéma, la saga de science-fiction, vieille d’un demi-siècle, commençait à sentir la naphtaline. Dynamisé par les codes télévisuels qu’il maîtrise à la perfection, son reboot parvient à en dépoussiérer les figures sur la forme comme sur le fond : à la réinvention des personnages de la série originale sur fond d’univers parallèle s’ajoute un feu d’artifice formel tout en diffraction d’ombres et de lumières. Et si le film souffre d’un certain manichéisme et d’un méchant un peu tiède, le suivant, sous-titré Into Darkness, placera la barre encore plus haut.
Mirai, ma petite sœur, de Mamoru Hosoda (2018, sur OCS Go)
Acclamé à juste titre pour ses longs-métrages La Traversé du temps ou Les Enfants loups, Mamoru Hosoda incarne depuis une quinzaine d’années un renouveau de l’animation japonaise émancipé des studios Ghibli (il se montre en interview particulièrement critique envers l’influence écrasante de Miyazaki). Mirai, ma petite sœur part d’une histoire banale (la jalousie d’un petit garçon à la naissance de sa sœur) et la déplie en boucles oniriques à l’imaginaire débridé : à hauteur d’enfant, humble et étincelant.
>> A lire aussi : Miraï, ma petite sœur
Gabriel et la montagne, de Fellipe Barbosa (2017, sur OCS Go)
C’est un road movie qu’on entame par sa fin tragique : la découverte du corps sans vie de Gabriel Buchmann, un étudiant brésilien idéaliste et fantasque, quelque part sur les pentes du mont Mulanje au Malawi. Son périple à travers l’Afrique de l’Est et hors des sentiers touristiques sera recomposé par un ami d’enfance devenu cinéaste, qui mêlera habilement la fiction (et notamment le jeu éruptif de João Pedro Zappa) au documentaire (il y utilise des objets et vêtements ayant appartenu au défunt, et filme les gens qui ont croisé sa route). Un hommage vibrant qui embrasse le personnage dans toute sa complexité et ses contradictions.
The Intruder, de Roger Corman (1962, sur Arte.tv)
À la fin des années 50, un agitateur raciste s’oppose violemment à l’application des lois de déségrégation, et particulièrement à l’intégration scolaire des enfants noirs. Mis en scène par Roger Corman, réalisateur et producteur prolifique de cinéma bis ayant contribué à lancer les carrières de Coppola, Scorsese ou Joe Dante, ce film extrêmement personnel tourné en noir et blanc offre à William Shatner, le Capitaine Kirk de la saga Star Trek, un rôle à contre-emploi. Saisissant de réalisme et soutenu par les convictions politiques progressistes de son auteur, The Intruder, récemment restauré, a été l’un des plus grands échecs de sa carrière…
Les Chaussons rouges, de Michael Powell et Emerich Pressburger (1948, sur Arte.tv)
Tiraillée entre deux hommes possessifs, son amant compositeur et son imprésario tyrannique, une danseuse sombre peu à peu dans une folie tragique. Inspiré d’un conte d’Andersen, ce drame stylisé conjugue la violence psychologique à la flamboyance plastique, et figure parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma : malgré les années et les re-visionnages, le saisissement procuré par ses scènes de ballet entre rêve et réalité est intact.
https://youtu.be/eh_ih948XVU
Le Procès, d’Orson Welles (1962, disponible sur Mubi)
L’adaptation par le plus insaisissables des cinéastes américains du plus retors des écrivains européens (Kafka) n’a ni la flamboyance de Citizen Kane, ni la virtuosité de La Soif du Mal, mais elle pourrait figurer la quintessence de son style. Exilé en Europe suite à une succession d’échecs commerciaux et malgré un manque de moyens évident, Welles trouve dans le cauchemar judiciaire du Procès un terreau idéal à l’expression de sa virtuosité formelle, trouée par des visions oniriques et soutenue par les interprétations convaincantes d’Anthony Perkins et de Jeanne Moreau.
Kaboom, de Gregg Araki (2010, disponible sur Mubi)
Si Kaboom n’est ni le film le plus trash de Gregg Araki, ni le plus émouvant, il est peut-être l’un de ses plus généreux. Enlaçant dans le sillage candide du beau Smith (Thomas Dekker) la chronique étudiante hyper queer et le cauchemar sous acides, le film s’offre comme une réminiscence de sa « Trilogie de l’Apocalypse » pondue dans les années 90. Gorgée de désir et complètement high, la rêverie hédoniste se noue d’inquiétude, celle d’un paradis qui se sait bientôt perdu, comme une vanité chatoyante.
>> A lire aussi : Kaboom, chronique de la vie sexuelle au campus
Le Grand Sommeil, de Howard Hawks (1946, sur La Cinetek)
Humphrey Bogard, usé comme toujours, et Lauren Bacall, magnétique comme jamais, reforment le couple du Port de l’angoisse dans ce qui pourrait être considéré comme la quintessence du film noir. Adapté d’un roman de Raymond Chandler par William Faulkner et mis en scène par Howard Hawks, qui deviendra pour la critique française l’un des cinéastes emblématiques de la « Politique des auteurs », Le Grand Sommeil déplie son histoire de manipulation et de chantage en boucles narratives obscures, séquences étincelantes et dialogues à double sens.
Wassup Rockers, de Larry Clark (2005, sur La Cinetek)
Lassés du quotidien de leur ghetto de Los Angeles, une bande de skateurs d’origine latino-américaine décide d’aller squatter les quartiers huppés de Beverly Hills et de se lier aux jeunes filles aisées qui y vivent. Porté par un casting incroyablement photogénique, Wassup Rockers est l’un des films les plus lumineux de Larry Clark, qui y capte comme rarement l’énergie tourmentée de la jeunesse. Entre hédonisme solaire et inégalités crasses, cette virée endiablée au croisement de la fiction et du documentaire a été ajoutée au catalogue de La Cinetek sur recommandation d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.
Bovines, d’Emmanuel Gras (2012, disponible sur Tënk)
Qu’est-ce que ça fait d’être une vache ? De brouter l’herbe fraîche, de mettre à bas un veau, de lutter contre les mouches qui envahissent nos yeux ou d’observer l’atterrissage d’un sac plastique dans notre champ ? Pour approcher avec justesse l’expérience animale, Emmanuel Gras s’est débarrassé de tous les encombrements d’ordinaire attachés au documentaire animalier : pas de voix off pédagogique, pas de musique lénifiante et surtout pas de storytelling anthropomorphique. Méditatif, poétique et sensoriel, Bovines est un film – trip, sur lequel plane l’ombre inquiétante des humains.
>> A lire aussi : Notre critique de Bovines
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