Parmi les nombreuses belles promesses du Festival de Cannes 2008, nous en avons retenu quinze, prétendants à la palme, revenants miraculés et très probables révélations.
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> De très sérieux prétendants à la Palme d’Or
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Changeling de Clint Eastwood (E.-U.)
Avec Clint Eastwood, la Croisette accueillera le dernier représentant du cinéma hollywoodien classique, l’incarnation ultime d’une époque du cinéma américain en train de disparaître. Clint n’est pas un des plus grands habitués de Cannes. Pendant longtemps, il fut considéré comme un cinéaste de série B crypto-fasciste et pas exactement bienvenu dans un endroit aussi auteuro-chic que Cannes. Sa dernière venue remonte à 2003 pour Mystic River, et son avant-dernière à 1990 pour Chasseur blanc, cœur noir.
Pierre Rissient fut de ceux (avec Philippe Garnier) qui défendit le cinéaste contre les a priori négatifs des cinéphiles français et contribua à l’imposer dans notre pays. Grand connaisseur et ami de Clint, Rissient nous dévoile quelques pans du nouveau Eastwood, Changeling, dont il venait juste de terminer le sous-titrage. « J’étais là quand Clint a découvert le scénario de Changeling. Son agent pensait que ce scénario ne l’intéresserait pas et que ce n’était même pas la peine d’en lire une ligne. Mais Clint qui avait un long trajet en avion s’est dit que ça lui occuperait un peu le temps. Et ça l’a tellement captivé qu’il a lu l’intégralité d’une traite pendant le voyage ! ». Pourquoi avoir cru que cette histoire d’une mère qui se fait enlever son fils n’intéresserait pas le pale rider ? Peut-être parce qu’elle semblait sur le papier trop mélodramatique, trop féminine, pas assez hard-boiled ? Il est d’ailleurs notable qu’Eastwood dirige ici une star féminine de premier plan comme Angelina Jolie, lui qui a plutôt l’habitude de se caster lui-même, ou des stars masculines, ou des actrices féminines de second plan pour des seconds rôles (les exceptions étant la « menagère de 40 ans » Meryl Streep pour Madison, et la garçonne Hilary Swank pour Million dollar). « C’est vrai que Clint n’a pas souvent dirigé des vedettes féminines de ce calibre, poursuit Rissient. Angelina Jolie est remarquable. Elle est très juste et travaille ici par petits détails très subtils. Elle a une délicatesse de touche remarquable, au milieu d’un casting excellent. Il y a ici une relation mère-fils très présente, mais dans un film par ailleurs très vaste, très ample, plein de surprises narratives. Par certains aspects thématiques, Changeling me fait d’ailleurs penser à Secret sunshine ».
Quand Rissient a découvert le film, il ne ressemblait pas tellement à l’idée qu’il s’en faisait à la lecture du scénario. Il s’attendait à un film noir, un thriller, dans la lignée de Mystic River. Or, si Changeling présente certains aspects rappelant Mystic River, il s’en éloigne aussi selon Rissient. « Comme dans Mémoires de nos pères, on part sur une première histoire, puis une seconde histoire vient s’enchâsser dans la première et prend le relais. Changeling est pour moi une fresque sociale d’époque, avec des éléments très contemporains. Le film me fait penser à une certaine littérature américaine, aux romans de Dos Passos. C’est aussi un film assez violent par les situations décrites, mais c’est filmé avec sécheresse sans putasserie ».
Quand on demande à Pierre Rissient comment il situerait le film dans le corpus eastwoodien, il n’hésite pas : « il est dans la top list de ses films. Beaucoup de grands cinéastes américains détellent en dépassant la soixantaine. C’est le cas de Coppola, de Scorsese aussi à un degré moindre. Pas Eastwood. Ce film va montrer qu’il reste plus que jamais un grand cinéaste qui continue à être ambitieux et à se renouveler. Quand on pense qu’il n’a jamais eu la Palme… cette année est peut-être l’occasion ».
S.K
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Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin (Fr.)
Les membres d’une famille pas très unie se retrouve dans leur grande maison de Roubaix à l’occasion de Noël. Or la matriarche, atteinte d’une maladie incurable, doit subir une greffe de moelle pour espérer survivre. Lequel de ses enfants est le plus compatible ? Avec ce film de troupe mené tambour battant par une Catherine Deneuve vipérine, Arnaud Desplechin, quatre ans après l’extraordinaire Rois et reine, raconte une fois de plus la famille, ses haines et ses rivalités, ses grandes jalousies bergmaniennes, romanesques et mythiques, à l’aide d’un montage tourbillonnant et nerveux qui lui permet de fouiller toujours plus profond dans les blessures qui ne cicatrisent jamais. Et paradoxalement, plus Desplechin semble faire de l’autofiction, travailler la matière autobiographique, plus son cinéma paraît fantasmatique… On en reparle plus longuement dans le prochain numéro, à l’occasion de la sortie en salles de ce film hors normes.
J.-B. M.
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Two Lovers de James Gray (E.-U.)
Appelé de dernière minute, James Gray étonne en faisant une deuxième apparition cannoise coup sur coup alors que huit années s’étaient écoulées entre The Yards (00) et La nuit nous appartient (07). Les aléas de la production expliquent sans doute ce changement de rythme, de même que le statut bankable de Joaquin Phoenix depuis le succès de son interprétation de Johnny Cash dans Walk the line. Phoenix incarne ici un homme tiraillé entre la femme qu’il aime et celle que choisissent pour lui ses parents. Ce dilemme entre le plaisir et le devoir est le thème central d’un Gray que l’on espère revoir au niveau de ses précédents opus.
S.K.
La frontière de l’aube de Philippe Garrel (Fr.)
Quarante ans, c’est le temps qu’il aura fallu au Festival de Cannes pour accueillir un de ses plus grands artistes sur ses marches. Familier de la Quinzaine dans les années 70 (Le lit de la vierge 69, Le révélateur 70, Le berceau de cristal 76), puis de l’éphémère sélection Perspectives du cinéma français dans les années 80 (Liberté la nuit 84, Elle a passé tant d’heures sous les sunlights 85), Philippe Garrel réservait ces dernières années la primeur de son œuvre à la Mostra de Venise. Présenté en fin de festival, La frontière de l’aube sera l’instantané d’une passion de quelques jours entre une star de cinéma et le photographe de presse devant réaliser un sujet autour d’elle dans une suite d’hotel. La star, c’est Laura Smet. Le photographe, Louis Garrel.
J-M.L
24 City de Jia Zhang-ke (Chine)
Il y a sur chaque continent de la planète cinéma quelques auteurs si demandés qu’il leur faut choisir qui de Cannes ou de Venise présentera son dernier né au reste du monde. Plus rares sont ceux qui, comme Jia Zhang-ke, s’offre le luxe d’enchaîner ainsi Mostra en septembre – avec Useless – et Croisette en mai – avec ce 24 City, donc. Avec ce dernier film, le prolifique JZK revient à la fiction pour un récit dont le devenir concept évoque The World, celui de l’implantation au cœur d’une ruche ouvrière du vaste luxueux complexe immobilier 24 City en lieu et place de l’usine 420.
J.Ge
My Magic d’Eric Khoo (Sing.)
Lors de la Quinzaine des réalisateurs 2005, Eric Khoo était parvenu à placer Singapour au centre de la carte cinéphilique mondiale avec son stupéfiant Be with me, traité sur la solitude urbaine, manifeste de cinéma numérique, film solaire en pleine nuit, éclairé en son milieu par une ahurissante scène de confection culinaire, muette. Promu cette année en Compétition officielle avec cette histoire de père magicien tentant de renouer des liens affectifs avec son fils, Khoo devrait, on l’espère, confirmer tout le bien qu’on pense de lui.
J.Go
> De très probables révélations
Serbis de Brillante Mendoza (Bré., Can.)
Remarqué l’année passée à la Quinzaine pour le très beau John John, le philippin Brillante Mendoza passe cette année en première division, comme une forme d’hommage de la Sélection officielle aux talents de dépistage de sa petite cousine de 40 ans. Consacré à des gigolos qui vendent leurs services aux clients d’un cinéma porno, Serbis semble aborder le même sujet que La Chatte à deux têtes de Jacque Nolot. On est surtout content que le cinéma continue sa belle mission de nous donner des nouvelles de mondes lointains – ici, les quartiers chauds de Manille.
S.K.
Ce cher mois d’août de Miguel Gomes (Port.)
Il se passe assurément quelque chose au Portugal. Après la découverte il y a quelques années du précieux João Pedro Rodrigues (O Fantasma, Odete), on a vu paraître dans les festivals les films courts et longs de la société de production O Som a a Furia, délicatement inventifs, ludiques et faussement indolents, où il est surtout question de trentenaires en douce dépression. En tête, il y a Miguel Gomes et son très beau La Gueule que tu mérites, sorti trop discrètement il y a deux ans. Dans ce film et ses courts-métrages, Gomes a élaboré un style fragmenté et composite, où il ébranle avec fantaisie la frontière entre documentaire et fiction. Son nouveau long, Ce cher mois d’aout, dont le tournage s’est improvisé au fil de deux étés, décrit les fêtes aoûtiennes et les désastres qui animent une région désertique dans une effervescence estivale toute portugaise.
J.Ge
Hunger de Steeve McQueen (Ang.)
Tandis que fusent les vannes de bureau des collègues ignares (« Steve McQueen, il est pas mort ? », « Ah ouais, c’est un western j’espère »), rappelons donc que Steve McQueen n’est pas seulement l’immarcescible interprète de Bullitt et Au nom de la loi, mais aussi un vidéaste anglais parmi les plus reconnus de son champs, travaillant à la confluence du documentaire et du cinéma expérimental (lauréat du Turner Prize en 99). Son premier long-métrage pour le cinéma, précédé d’un important buzz, fait le récit des dernières semaines d’incarcération de Bobby Sands, membre de l’IRA mort à l’issue d’une grève de la faim de 65 jours.
J-M.L
Je veux voir de Khalil Joreige & Joana Hadjithomas (Lib., Fr.)
Suite à la guerre de juillet 2006 au Liban, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se retrouvent désemparés, comme tous les Libanais de leur génération, et se demandent ce que peut faire le cinéma face à la brutalité du monde. Le couple de cinéaste décide de tenter une expérience, quasiment au sens chimique du terme : prendre une icône du cinéma international, Catherine Deneuve, et la confronter au paysage après la bataille d’un Liban sud dévasté. L’acteur libanais Rabih Mroué sera le lien entre l’actrice et le pays. Les cinéastes filment ici autant leur pays que le visage de la star passant au révélateur de ce qu’elle voit et que le travail de deux acteurs apprenant à se connaître au fil du voyage et du tournage. Remarquable d’intelligence conceptuelle et cinématographique, Je Veux voir (peut-être un rebond tardif au « tu n’as rien vu à Hiroshima » de Duras-Resnais ?) propose un autre regard sur une région si présente aux JT du monde entier – un regard qui évoque Kiarostami ou Nobuhiro Suwa, dont la beauté et la force émotionnelle reposent en partie sur la fragilité de son pari.
S.K.
> De grands retours
Tokyo ! de Bong Joon-ho, Leos Carax, Michel Gondry (Jap., Corée-du-Sud, Fr., All.)
Les films à sketch sont souvent plus excitants sur le papier que sur pellicule, prétextes à distribuer des court ou moyen métrages qui, sans la béquille d’un thème vaguement rassembleur (Eros, Paris, l’Etat du monde…), peineraient sans doute à trouver le chemin des salles. Comme à chaque fois, on se demande quel est le point commun entre les trois réalisateurs conviés à cette ronde tokyoïte ; et à vrai dire, on s’en moque, trop heureux de reprendre des nouvelles de Leos Carax (absent depuis Pola X, accueilli par les sifflets à Cannes en 1999), fou de joie à l’idée de découvrir ce que Bong Joon-ho a trafiqué depuis The Host, et, enfin, curieux de voir comment Michel Gondry va se dépêtrer dans l’empire des signes.
J.Go
De la guerre de Bertrand Bonello (Fr.)
Quarante ans après mai 68, Bertrand Bonello réinvente une communauté utopique où chacun pourrait jouir sans entrave, mais aussi en permanence. Un beau programme, auquel ne reste pas insensible Matthieu Amalric, qui passe des bras de sa compagne (Clotilde Hesme) à ceux d’une des prêtresses de ce monde parallèle, Asia Argento. Guillaume Depardieu, Michel Piccoli, Aurore Clément, Lea Seydoux sont aussi de la partie. Cela faisait cinq ans que Bertrand Bonello n’avait pas tourné de long-métrages (Tiresia 2003), le beau court-métrage Cindy, the doll is mine venant se substituer à deux projets avortés. C’est la première fois qu’il dirige Matthieu Amalric et Asia Argento, qui eux-même tournent ensemble pour la première fois.
J-M.L
Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski (Fr.)
Le retour d’un grand cinéaste, après dix-sept ans d’absence. Compagnon des nouvelles vagues cinématographiques des années soixante (le superbe Le Départ avec JP Léaud), auteur de classiques singuliers tels que Deep end (1970) ou Travail au noir (1982, avec Jeremy Irons, ce Polonais grand voyageur a fait des films dans son pays natal, puis en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis. Récemment, on avait été étonné de le voir dans Les Promesses de l’ombre de Cronenberg, où il jouait l’oncle russe raciste de Naomi Watts (sans doute la connection Irons). Tourné au fin fond de la Pologne avec des acteurs du cru, Quatre nuits avec Anna raconte avec une maîtrise et belle économie de moyens l’histoire d’un homme timide et solitaire qui épie secrètement sa voisine. Dangereux criminel pervers ou histoire d’amour sans issue ?
S.K
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La femme sans tête de Lucrecia Martel (Arg.)
Le grand retour de Lucrecia Martel dont on n’avait rien vu depuis La nina santa en 2004. La Femme sans tête raconte l’histoire d’une femme qui heurte quelque chose au volant de sa voiture et semble ensuite se déconnecter du monde qui l’entoure. Un synopsis qui semble tourner autour des thèmes de la subjectivité et de la perception de la réalité qui étaient déjà au cœur des précédents films de Martel. De même que l’on retrouve un casting très féminin, autre marque de fabrique de la cinéaste. Avec Pablo Trapero, Lucrecia Martel est cette année à la tête d’une forte délégation argentine (7 films toutes sections confondues), rappelant que ce pays demeure une place forte de la vitalité cinématographique mondiale.
S.K.
Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal de Steven Spielberg (E.-U.)
Professeur Jones ? Contents de vous revoir (pluriel de rigueur au nom de vos millions de fans). Vingt ans après, écart temporel digne de Dumas, votre retour suscite un tas d’interrogations passionnantes. Comment avez-vous vieilli ? Comment vos aventures de serial vont-elles prendre leur place à côté de toutes les nouvelles distractions électro-digitalo-informatiques de notre temps ? Un cinéma d’aventures à grand spectacle est-il encore pertinent sans la 3D ou l’interactivité ? Vos pères Steven Spielberg et George Lucas ont-ils toujours la main mise sur le trône de l’entertainment mondialisé ? L’esprit de Dwan, Feuillade, Harry Dickson, Hergé peut-il encore souffler au XXIème siècle ? Avez-vous toujours la phobie des serpents ? Plus que 8 jours avant de connaitre toutes les réponses. Dépêchez-vous, professeur, on ne tient plus.
S.K.
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