Le dernier film de François Ozon, actuellement en salle, raconte la première histoire d’amour d’un lycéen, le temps d’un été eighties. A cette occasion, on vous propose onze autres « coming-of-age-movies » qui mettent en scène les tâtonnements sexuels et sentimentaux des adolescents sous le soleil des grandes vacances.
Un été avec Monika, Ingmar Bergman, 1953.
Le film de l’idylle amoureuse estivale par excellence, Un été avec Monika, est signé Ingmar Bergman, l’immense cinéaste suédois que l’on a tendance à réduire à ses drames psychologiques et métaphysiques. Jeux d’été (1951), premier film qu’il assume artistiquement, ouvre cette période sensuelle, jeune et estivale du cinéaste. Les deux films mettent en scène des échappées sur des îles suédoises. Comme « à l’origine », un homme et une femme se retrouvent seuls sur une île, et sans le regard des autres, ils peuvent y vivre presque nus, d’amour et d’eau fraîche. Or, ces parenthèses amoureuses au soleil représentent à la fois l’isolement social des amants (ils se suffisent l’un l’autre), mais également le caractère éphémère et utopique de toute relation fusionnelle. Chez Bergman, la passion est brève dans un monde douloureusement absurde et grave. Dans ce film, on plonge avec délectation dans les bras de la brûlante Monika… jusqu’au retour abrupt à la société, aux faits et gestes médiocres du quotidien et aux sentiments pauvres. Là-bas, sur une île, attend la perfection des jeux d’été, attend la Monika délestée du poids du monde.
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Bonjour Tristesse, Otto Preminger, 1958.
Comme le film de Bergman, Bonjour Tristesse d’Otto Preminger (et avant lui, le fameux premier livre de Françoise Sagan publié en 1954) provoqua un scandale à sa sortie. La représentation de la vie sexuelle des adolescents passe mal dans les années 1950. Il est difficile pour les parents d’imaginer leurs petits anges torturés par le désir, ou les pensées possessives, jalouses et la frustration qui peuvent l’accompagner. La jeune héroïne de Sagan (qui a elle-même écrit ce roman à 18 ans) est incarnée par Jean Seberg. En vacances sur la Côte d’Azur, la douce blonde aux cheveux courts ne supporte pas la présence d’une femme auprès de son père adoré. Les sentiments complexes qui l’habitent et qu’elle comprend mal la poussent dans les bras d’un jeune homme du coin, et finiront par provoquer un accident dont elle ne se remettra jamais. Le passage à l’âge adulte se réalise dans la violence, comme pour le jeune héros d’Eté 85. L’insouciance adolescente laisse place au sentiment de responsabilité, et la tristesse qui va avec. Est-ce un hasard si la jeune Anglaise dans le film d’Ozon, incarnée par Philippine Velge, n’a cessé de nous rappeler Jean Seberg ?
Une histoire d’amour suédoise, Roy Andersson, 1970.
Une histoire d’amour suédoise de Roy Andersson se situe en marge du monde des adultes, à hauteur de ses deux jeunes héros, Pär et Annica, 15 ans. L’intrigue se déroule au cœur d’une foule d’adultes, mais ceux-ci occupent l’arrière-plan de ces images en longue focale, centrées sur les adolescents. L’innocence de leurs visages, la pureté de leur désir d’aimer, sont prises très au sérieux par le cinéaste. Déjà, l’amour, dans toute sa gravité, masque leurs traits poupins d’une solennelle sagesse. Les enfants détiennent ce secret oublié par les adultes. En effet, le cinéaste suédois immortalise avec tendresse l’éphémère perfection des émotions naïves.
Un Eté 42, Robert Mulligan, 1971.
Du mélodrame de Robert Mulligan on retient essentiellement la musique de Michel Legrand (qui lui a d’ailleurs valu un Oscar en 1972). Un Eté 42 est le ressassement d’un souvenir de jeunesse, une nuit d’amour de l’été 42 qui marqua le passage à l’âge adulte du personnage principal. Et cette mélodie inoubliable, déclinée en mille variations tout au long du film, donne corps à la persistance du souvenir. Tout le charme suranné du mélodrame tient (si on veut bien y céder) dans ces effets kitsch à souhait : des ralentis, une voix off rétrospective et narrative, l’aspect rétro du film historique… Comme à l’âge d’or de la composition de musique de films, le thème musical accompagne les apparitions de Jennifer O’Neill à l’écran. Celle-ci incarne Dorothée, une femme d’une trentaine d’années, dont le mari est parti à la guerre. Le jeune héros, Herbert, n’a que 15 ans et l’idée de perdre sa virginité l’obsède cet été-là. Ses maladresses avec les filles de son âge ne mènent à rien tandis que s’installent avec Dorothée de réels sentiments. Dans ses bras, il la consolera du pire ; elle lui offrira l’image précise et inoubliable de cet été où il a brusquement quitté l’enfance et connu le monde complexe, plein de contradictions de l’émoi amoureux : « Personne, depuis la première fois que je l’ai vue, ni rien de ce qui m’est arrivé ensuite, ne m’a donné une telle sensation de peur et de confusion. Aucun des êtres que j’ai connus n’a autant fait pour me rendre plus sûr de moi et plus incertain, plus persuadé de mon importance et de mon insignifiance. »
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American Graffiti, 1973, George Lucas.
« Where were you in 62 ? » ne cesse d’interroger l’affiche et la bande-annonce d’American Graffiti, un film qui s’adresse autant aux adultes qu’aux adolescents et qui a remporté pas moins de deux Oscars. George Lucas, à la veille du succès planétaire de Star Wars, signe cette comédie très américaine dont l’histoire se situe l’année de ses propres 18 ans. Toute l’intrigue a lieu le temps d’une nuit, la nuit ultime, la dernière nuit avec les amis du lycée avant de prendre l’avion pour l’université. La bande de lycéens – le personnage principal, Curt, et ses amis – va passer une folle nuit à courir après des filles, les séduire, les perdre de vue, les retrouver… Le ton de ce teenage movie, son humour bon enfant, la jovialité des personnages et même sa structure temporelle nous rappellent un autre film américain, tout aussi culte, La Folle journée de Ferris Bueller de John Hughes (1986). Des cartons à la fin du film annoncent comment se finiront les vies des personnages et [attention spoiler] certaines s’achèveront bien vite après 1962, fauchées notamment par la guerre du Viêt Nam. American Graffiti, ou la dernière nuit de l’innocence.
Pauline à la plage, Éric Rohmer, 1983.
Pauline est une adolescente en vacances chez sa cousine plus âgée, Marion, interprétée par Arielle Dombasle. Elle a l’âge de découvrir les premiers échanges amoureux. Les adultes le sentent. Marion pense ainsi que Pauline « a mieux à faire que de ramasser tous les p’tits crétins sur la plage » tandis que son amant déclare au contraire qu’« il est temps qu’elle connaisse le loup ». Des jeux de marivaudage en bord de plage deviennent, dans les mains de Rohmer, un véritable petit précis cinématographique du discours amoureux. Pauline à la plage n’est que discussions, rapports de force courtois, réflexion méta sur la séduction, conquêtes et tromperies. Tout le cheminement de Pauline dans ce grand jeu de dupes sera bien sûr de trouver sa voie, faire ses premiers choix en matière de relations amoureuses, en observant, jugeant et s’inspirant des adultes autour d’elle. Une éducation sentimentale en maillot de bain.
Les Roseaux sauvages, André Téchiné, 1994.
André Téchiné reçoit 4 César en 1995 pour Les Roseaux sauvages, version longue du téléfilm Le Chêne et le Roseau de la collection commandée par Arte, Tous les garçons et les filles de leur âge. Le récit se déroule l’été 1962 dans le Sud-Ouest, juste avant le retrait des troupes françaises en Algérie. Les deux personnages principaux sont deux adolescents, François et Maïté (interprétés par la toute jeune Elodie Bouchez et Gael Morel), en visite dans la région pour un mariage. Ils rencontrent deux autres jeunes, Serge et Henri, qui chacun à leur manière déboulonneront leurs préjugés et les aideront in fine à mieux se connaître. Serge, parce qu’il préfère les garçons aux filles. Henri, parce qu’il est pied-noir et défend coûte que coûte la guerre. Les adolescents se tournent autour, s’attirent et se rejettent, dans cette France des années 1960. Ils reprennent à leur compte les conflits des parents (homophobie, nationalisme colonial…) avant de se laisser aller et de tous se retrouver au bord de l’eau, dans la simplicité des jeux d’été.
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Beauté volée, Bernardo Bertolucci, 1996.
On se souvient au moins du film de Bertolucci pour le simple fait qu’il a découvert la belle Liv Tyler. Reposant sur la beauté de la Toscane et celle de la jeune héroïne. Beauté volée serait probablement mal reçu aujourd’hui car, comme le résume de manière très sarcastique Serge Kaganski dans son article de l’époque, sous couvert d’un récit initiatique il est tout de même beaucoup question du corps de l’actrice, de sa beauté et – surtout — du regard affamé des hommes qui la regardent, Bertolucci le premier. La jeune Américaine en vacances en Italie, Lucy Harmon, trouble donc de sa dangereuse beauté le quotidien tranquille de cette campagne. Elle incarne l’irrésistible jeunesse, ce désir brûlant qui réveille les adultes endormis, les couples encroûtés et les règles bien établies. Mais elle est aussi l’innocence, la pureté féminine confrontée aux trahisons masculines, l’irrésistible vierge. Les expériences qu’elle vivra cet été-là lui apprendront donc surtout à se méfier des hommes, à prendre conscience du désir qu’elle leur inspire, et du danger qui va avec.
À ma sœur ! Catherine Breillat, 2001.
À ma sœur ! a créé le scandale à sa sortie. Anaïs, 13 ans, est grosse tandis que sa sœur Elena, 15 ans, est belle comme un cœur. Lors de cet été en bord de mer, ce qui devait arriver arriva. Elena – interprétée par Roxane Mesquida – rencontre un mec et perd sa virginité sous les yeux de sa sœur qui, du lit voisin, observe tout dans les moindres détails. La mise en scène sans concession de Catherine Breillat, le naturalisme cru des scènes de sexe ou de famille, dérange forcément. On décortique les non-dits, les frustrations et les désirs, dans la violence de la confusion adolescente. Breillat se situe dans le cinéma français à mi-chemin entre Maurice Pialat et Virginie Despentes. La fin, dont on ne dit rien, est l’une de celles dont on ne se remet jamais.
Naissance des pieuvres, Céline Sciamma, 2007.
Le premier long-métrage de Céline Sciamma, Naissance des pieuvres, est basé sur son scénario de fin d’études à la Fémis. Il s’agit aussi du film qui permit à la réalisatrice de rencontrer la jeune Adèle Haenel (17 ans à l’époque du tournage) qui interprète l’une des élèves de natation synchronisée. Selon des propos de la réalisatrice : « la pieuvre est ce monstre qui grandit dans notre ventre quand nous tombons amoureux, cet animal maritime qui lâche son encre en nous. C’est ce qui arrive à mes personnages dans le film, trois adolescentes, Marie, Anne et Floriane. Et justement, la pieuvre a pour particularité d’avoir trois cœurs. » Selon Jean-Marc Lalanne, le film traite moins d’amour que de « la sidération des premiers émois sexuels ». En effet, les 3 adolescentes de 15 ans s’observent d’abord de loin dans les douches de la piscine, puis se rapprochent, se touchent et se trouvent. Du point de vue du personnage principal, le corps d’Adèle Haenel, moins juvénile, est observé sous toutes ses coutures, avec fascination.
Call Me by Your Name, Luca Guadagnino, 2017.
Hit de 2017, Call Me by Your Name a remis sur le devant de la scène la patte de James Ivory, cinéaste du désir frustré par excellence dont les films les plus connus datent des années 1980/1990. L’action se déroule en 1983 soit à quelques années près, à la même époque qu’Eté 85 et Pauline à la plage. Comme dans le film d’Ozon, on en profite pour infuser au film une ambiance vintage très dynamique, faite des couleurs et rythmes musicaux de l’époque. Le personnage principal, un adolescent de 17 ans (Timothée Chalamet, révélation du film), tombe peu à peu sous le charme d’un doctorant de 24 ans de passage dans sa maison familiale en Italie. L’initiation est double : il s’agit à la fois d’assumer un désir homosexuel dans un contexte où cela n’est pas forcément évident, et de s’abandonner à une passion d’avance condamnée par la fin de l’été. On retient évidemment du film la grande sensualité des scènes de sexe et de tendresse, mais aussi la séquence de discussion avec le père (le formidable Michael Stuhlbarg) qui accompagne son fils avec sagesse vers l’âge adulte.
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