A l’occasion de la programmation Manger ! au Forum des images, sélection de moments de cinéma appétissants, ecoeurants, faméliques, anthropophages.
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1968 – 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick
Dans la navette spatiale, le docteur Heywood Floyd déguste son plateau-repas. Il aspire à la paille une variété de liquides provenant de briques labellisées par le logo d’un aliment de base : carottes, maïs, petits pois… Plus tard, les spationautes Bowman et Poole prennent aussi leur plateau-repas à bord du paquebot spatial Discovery : une série de barquettes de purées colorées… Le plus ancien des films sélectionnés ici envisage la nourriture la plus futuriste et prophétique, préfiguration de nos denrées synthétiques, de nos lasagnes au cheval, de nos OGM et autres frankensteineries alimentaires. Kubrick était visionnaire jusque dans les moindres détails quotidiens.
https://www.youtube.com/watch?v=4fzLb1_kxs8
1973 – La Grande bouffe de Marco Ferreri
Quatre amis se réunissent dans une maison de campagne pour s’y adonner à un banquet orgiaque, un gueuleton rabelaisien jusqu’au-boutiste. Leur objectif : crever par indigestion, crise de foie, embolie intestinale… Ferreri déroule une fable aussi rageuse que désespérée sur la société consumériste, sa culture mortifère du toujours plus, sa production de gâchis et de déchets, et tente de soigner le mal par le mal, faisant coïncider jouissance et perdition, petite mort et grande faucheuse.
1983 – Le sens de la vie de Terry Jones
Dans un sketch pas éloigné du film de Ferreri et qui pourrait s’intituler La Grande bouffonerie, l’énorme M. Creosote vient souper d’un repas gargantuesque dans un restaurant chic. Il vomit toutes les cinq minutes, répandant ses gerbes sur les serveurs distingués qui ne mouftent pas – humour british et gag récurrent. A la fin, il semble repu, les babines ruisselantes de ses rots. Le serveur lui propose un ultime After Eight (chocolat à la menthe) pour digérer. M. Créosote hésite, renâcle, puis engouffre l’ultime chocolat… de trop. M. Créosote explose. Comme chez Ferreri, épinglage du consumérisme bourgeois vu comme un gavage, mais par le biais du rire hénaurmissime.
1984 – Indiana Jones et le temple maudit de Steven Spielberg
Au cours de ses aventures, Jones est convié à un dîner officiel chez un jeune maharadjah. Au menu, bouillon d’yeux de bœuf et sorbet de cervelle de singe servi à même le crâne ouvert. Spielberg et ses auteurs ont fait preuve d’une imagination très exotique et propre à choquer les habitudes alimentaires occidentales. Mais leurs plats ne sont pas si imaginaires : il parait que la cervelle de singe vivant est un plat qui se déguste en Chine. Peu ragoûtant mais après tout, nous mangeons bien des escargots, des cuisses de grenouilles, de la moelle osseuse ou des embryons de poule plus communément appelés des œufs.
https://www.youtube.com/watch?v=2WU1aHHWMME
1984 – Il était une fois en Amérique de Sergio Leone
Pour coucher avec Betty, ses jeunes voisins du Lower East Side doivent la payer en pâtisserie. Patsy achète une charlotte russe bien crémeuse, espérant ainsi perdre son pucelage. Mais Betty est sous la douche, alors Patsy attend sur le palier. Il attend… mais cette charlotte est bien tentante. Il prend un surplus de crème avec son doigt et s’en pourlèche. Et encore un… Betty se faisant toujours attendre, Patsy engouffre gouluement toute la charlotte. Merveilleuse scène d’enfance et merveilleuse scène érotique où le gâteau crémeux remplace le sexe de Betty comme objet de désir puis de plaisir.
1990 – Les Affranchis de Martin Scorsese
Les affranchis font un tour en prison où ils vivent (presque) comme dans un 3 étoiles, notamment question pitance. Ils ne plaisantent pas quand il s’agit de faire les pastas avec la recette de sauce de mama Scorsese, décrite par les dialogues : ail coupé ultrafin à la lame de rasoir, boulettes mixant trois viandes (veau, bœuf et porc pour la saveur)… C’est papa Scorsese lui-même qui joue le gangster préposé à la sauce tomate et qui utilise trop d’oignons. A travers la nourriture passe tout le rapport charnel que le cinéma de Scorsese entretient avec son enfance, ses parents, sa culture italo-américaine.
1994 – Salé sucré de Ang Lee
Chaque dimanche soir, le vieux père veuf et cuisinier (le meilleur de la ville) prépare un repas somptueux pour ses trois filles. Ang Lee y consacre toute sa séquence d’ouverture : coups de lames précis, variété des cuissons (vapeur, grill, cocotte…), beauté de la présentation… La cuisine asiatique est un rituel, un art martial, une poétique qui ne tolère pas l’approximation (on aurait pu choisir d’autres exemples multiples comme Le Festin chinois, L’Empire des sens ou Tampopo…). Au cours du film, du portrait approfondi des trois filles, on constate que la cuisine est une pudeur pour le père, son seul moyen d’expression, le biais par lequel il communique avec ses filles et leur transmet son amour indicible.
2001 – Trouble every day de Claire Denis
Claire Denis invente les successeurs de la féline, beau couple de succubes (ils ont les traits avantageux de Béatrice Dalle et Vincent Gallo) qui jouit en dévorant ses partenaires, ou qui les dévore pour jouir. Manger l’autre, c’est un fantasme amoureux et sexuel, que la cinéaste transmute en passage à l’acte, mixant la série Z, le gore le plus absolu, le suspens érotique hitchcockien, la menace latente lynchienne, l’inquiétante étrangeté à la Franju et la poésie coctaldienne.
2003 – La Fleur du mal de Claude Chabrol
Bon vivant, Chabrol était connu pour choisir ses lieux de tournage en fonction de la gastronomie locale. Il y a aussi de nombreuses scènes de repas dans sa filmo, la salle à manger (du domicile ou du restaurant) étant selon lui un marqueur important de la francité et de la bourgeoisie. C’est le cas dans ce film qui commence par un déjeuner familial grand bourgeois où l’on sert de la baudroie à la bordelaise, recette classique des tables de la haute société girondine. A ce repas formel de cuisine en sauce fait écho une plus simple et fraîche dégustation d’huîtres au cap Ferret. La sauce au vin, c’est la tradition, la famille et toutes ses pesanteurs. Les huîtres, ce sont les jeunes amants en désir d’écart du roman familial.
2013 – La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche
Kechiche est un récidiviste des scènes de bouffe exhalant leurs arômes sensuels et leur fumet socio-politique. On se souvient des grandes et longues séquences de couscous dans La Graine et le mulet. Ici, deux plus brèves séquences de repas ont marqué, à tel point que certains spectateurs les ont jugées caricaturales : une spaghetti bolognaise party chez les parents prolos d’Adèle et un plateau d’huîtres (encore) chez les parents bourgeois d’Emma. Bourdieu et sa notion de capital social et culturel n’est pas loin. La nourriture est d’ailleurs liée à une certaine gestuelle : on s’empiffre de pâtes jusqu’à se tartiner les babines de sauce tomate alors qu’une huître se dépiaute avec délicatesse et un filet de citron. Les pâtes, c’est simple et convivial. Les huîtres, c’est plus rare et chic. La nourriture comme signe économique, social, culturel et comportemental.
Serge Kaganski
Le cycle Manger ! c’est du 2 mars au 14 avril au Forum des Images!
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