“Loving” de Jeff Nichols vient rappeler l’enfer que les Blancs infligèrent aux Noirs aux Etats Unis. Un film qui fut précédé par bien d’autres œuvres progressistes. Quelques exemples.
Parmi les films foncièrement antiracistes, les plus évidents (visuellement) sont ceux qui mettent en scène un couple formé d’une personne dite “de couleur” et d’une autre dite “blanche”. C’est le sujet du film Loving de Jeff Nichols, situé dans les années 1950. Faisons le point sur les amours noires et blanches au cinéma avec une dizaine d’exemples…
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Princesse Tam Tam de Edmond T. Gréville – 1935
Métisse américaine, Joséphine Baker fut adoptée par la France et, après avoir chanté les mérites de notre pays, elle en acquit la nationalité. Vedette de music-hall, elle devint assez naturellement actrice. Évidemment, les personnes de couleur, si elles n’étaient pas l’objet d’une ségrégation aussi violemment formalisée en France, car elles étaient plus rares, étaient avant tout traitées comme des curiosités exotiques. C’est le cas dans ce film situé en Tunisie, où la chanteuse tient cependant un rôle important. Elle joue la maîtresse du héros, dans une optique proche du Pygmalion de Shaw. Tout cela reste ambigu car d’une certaine manière elle n’est que le piment d’une comédie de remariage. Elle reste donc un élément exogène, une passade. Cela dit, les Etats-Unis étaient très loin d’avoir une telle tolérance à la même époque…
https://www.youtube.com/watch?v=ItLszKEG4Hc
Les Lâches vivent d’espoir de Claude-Bernard Aubert – 1961
Réalisé par un cinéaste assez inclassable (plus connu pour sa carrière ultérieure dans le X) à l’époque de la Nouvelle Vague, et dans un style proche, ce film débute par une scène choc : la naissance d’un enfant noir dont la mère est blanche. Aux États-Unis, où le film fut distribué, on en fit un film d’exploitation, rebaptisé My baby is black !, en l’assimilant au cinéma trash de l’époque. Grâce à quelques habiles ajouts, on le fit passer pour une œuvre délibérément choquante. Mais dans le fond et à l’origine, son propos était totalement antiraciste et très progressiste pour l’époque en mettant en scène les amours libres d’un couple mixte formé par deux étudiants à Paris, ainsi que la façon dont la société les rejetait. La bande annonce américaine (raciste).
https://www.youtube.com/watch?v=Dff5R0D39e8
Un coin de ciel bleu de Guy Green – 1965
Sans doute une des premières œuvres quasi-idylliques sur les amours entre blacks et whites. Evidemment, l’héroïne, qu’un jeune Noir aimable et prévenant sauve d’un horrible milieu familial, est aveugle. Donc on pourrait dire que le processus est un peu biaisé. Mais cela peut aussi signifier que l’amour étant aveugle, il ignore le racisme. Ce film sorti dans la foulée du mouvement des Droits civiques, qui allait révolutionner le sort des Afro-américains aux Etats Unis, en annonce un autre avec le même acteur, Sydney Poitier, le jeune premier black de l’époque : Devine qui vient dîner ce soir, œuvre également progressiste, mais un peu plus lourde et théâtrale. Soit tout le contraire de cette magnifique séquence de supermarché…
https://www.youtube.com/watch?v=reT3MnE0VI0
La Permission de Melvin Van Peebles – 1968
Conçue un peu sur le même principe que le film de Claude-Bernard Aubert, cette romance charmante sur la rencontre à Paris d’un militaire noir américain (Harry Baird) et d’une jeune Française (Nicole Berger) a, elle, un tour nettement plus festif, ambiance jazz-pop. Mais le fond reste le même, celui de la lutte contre les préjugés et la mentalité étriquée des Blancs imbus de leur culture et allergiques à toute singularité.
https://www.youtube.com/watch?v=ALJqmAWu1pI
Flipper City de Ralph Bakshi – 1973
On nage dans le trash psychédélique avec cette histoire de freaks, classée X à l’époque, réalisée par Ralph Bakshi, qui avait révolutionné le cartoon avec Fritz the Cat. Faisant alterner images réelles et dessin animé, le film se passe dans les bas-fonds de New York, où un Italo-Américain fils de mafieux file le parfait amour, malgré diverses interférences croustillantes, avec une barmaid black. Certainement le plus chaotique du lot, pour le meilleur et pour le pire.
The Human factor de Otto Preminger – 1979
Tourné en partie au Kenya d’après un roman de Graham Greene, l’ultime film du grand Preminger (Laura, Tempête à Washington…) n’est pas le plus connu ni forcément le meilleur. Cependant, cette histoire d’agents secrets du MI6 britannique et de taupes au service des Soviétiques est enluminée par la présence de la belle Iman, future madame Bowie, mariée dans le film à un grisâtre espion british. Dans ce cas, le film porte un regard critique, déconstructiviste, sur le désir de l’homme blanc (et puissant) pour la femme noire..
Jungle Fever de Spike Lee – 1991
L’idée d’une attirance presque chimique des contraires est clairement inscrite sur l’affiche du film, avec une certaine puissance graphique, qui montre des mains d’une femme blanche entrelacées avec celle d’un homme noir. Le film décline le concept avec une certaine grâce mais n’a peut-être pas la force explosive de Do the right thing, fondé moins sur l’amour que sur les conflits intercommunautaires (et donc sur le racisme).
Jackie Brown de Quentin Tarantino – 1997
Un hymne à la femme black option Milf, pour lequel Tarantino fit sortir de l’oubli la “panthère noire de Harlem” elle-même, alias Pam Grier, reine de la blaxploitation des années 1970. Dans ce thriller emberlificoté, mais non dénué de mélancolie, celle-ci file le parfait amour avec un autre revenant, Robert Forster. Ou comment Tarantino gagne sur deux tableaux en faisant d’une part triompher la cause des femmes et celles des Afro-américains. Il ne cessera dès lors de réhabiliter les Blacks dans son cinéma. Séquence-écrin, mettant en scène la fascination de l’homme de loi au visage pâle pour la belle black sortant de prison.
https://www.youtube.com/watch?v=tgw-G8IFAwo
Loin du paradis de Todd Haynes – 2002
Décalque évident et revendiqué de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, et du remake allemand de ce film par Fassbinder (Tous les autres s’appellent Ali), qui introduisait une notion de mixité ethnique dans cette histoire de femme mûre amoureuse d’un homme d’un autre âge et d’une autre classe. Ici, le nœud dramatique est encore compliqué par le fait que le mari officiel de l’héroïne, incarnée par Julianne Moore, est lui-même homosexuel. C’est d’ailleurs ce qui la pousse à entamer une relation amoureuse avec son jardinier (comme chez Sirk), un bel Afro-américain. Haynes colle parfaitement au style du mélo des fifties en lui adjoignant une critique cinglante de la société de l’époque.
Vers le Sud de Laurent Cantet – 2005
Le film de Cantet traite d’une autre sorte de jungle fever, celle des “sugar mamas” européennes, femmes d’un certain âge s’offrant des vacances érotico-exotiques avec de beaux et jeunes gigolos africains (ou haïtiens en l’occurrence). L’Autrichien Ulrich Seidl reprendra le sujet avec un regard plus clinique et cruel dans Paradis : amour. Cantet, lui, aborde le thème sans verser dans le jeu de massacre satirique, ce qui ne l’empêche pas de mettre le doigt où le sujet fait mal.
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