Les rêves spatiaux d’un enfant qui veut aller sur la Lune, l’angoisse matinal d’une femme, la maternité fantastique d’un homme, la relation amoureuse entre un poète et sa voisine ou alors entre une androïde et un programmateur : quelles sont les pépites à ne pas manquer sur la plateforme ?
Apollo 10 ½ de Richard Linklater (2022)
Troisième film d’animation du cinéaste utilisant la technique de la rotoscopie, Apollo 10 ½ se déroule au cœur des États-Unis de la fin des années 1960. À hauteur d’enfant, on y vit les grands événements qui ont marqué cette période : la guerre du Vietnam, la naissance de la société de consommation de masse, les luttes pour les droits civiques, la culture hippie et surtout la conquête spatiale. Stanley, un pré-ado dont le père travaille en tant que petite main à la NASA, assiste aux différents programmes spatiaux avant d’être lui-même recruté par l’agence américaine. On retrouve dans ce film produit par Netflix la capacité de l’auteur de Boyhood à raconter l’enfance, sa temporalité particulière et son rapport encore enchanté au réel.
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120 Battements par minutes de Robin Campillo (2017)
Si le film de Robin Campillo nous a tant marqué, c’est en partie grâce à sa capacité à imprimer des affects et des partis pris de mises en scène très forts et contradictoires. 120 Battements par minute porte en lui le poids du deuil de la mort des malades du sida et l’incurie dont ont fait preuve les pouvoirs publics, mais ce mausolée a aussi des airs de grand dancefloor. Parce qu’entre deux AG d’Act Up, les vivants s’ébrouent dans l’existence avec une vigueur folle. Elles sont retranscrites dans un style presque documentaire, et contrebalancées par des scènes beaucoup plus oniriques, comme une très belle scène d’amour entre deux des principaux personnages, ou cette vision de la Seine en rouge sang.
Cléo de 5 à 7 de Agnès Varda (1962)
Sorti en 1962 et second long métrage d’Agnès Varda, Cléo de 5 à 7 suit, en temps réel, les pérégrinations parisiennes de Cléo (Corinne Marchand), une jeune chanteuse qui attend les résultats d’un examen médical. Hanté par la mort, le personnage va peu à peu s’ouvrir au monde. Entre la Nouvelle Vague et le cinéma-vérité, le film est à la fois d’une incroyable modernité (expérimentations sur la narration, découpage en chapitres, narration en temps réel), mais également un film doté d’une rare attention envers son héroïne. La finesse et l’intelligence de Cléo de 5 à 7 vaudra à Agnès Varda d’être l’une des premières femmes à concourir pour la Palme d’or lors de la quinzième édition du festival de Cannes.
L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973)
Suite à un mystérieux dérèglement hormonal, Marco (Marcello Mastroianni) découvre qu’il est enceinte de quatre mois. Sa femme (Catherine Deneuve, à l’époque en couple avec l’acteur) et lui se retrouve propulsé dans une célébrité immédiate. Si ce film non-musical est considéré comme un des échecs, tant commercial qu’artistique, de Jacques Demy, le revoir aujourd’hui est particulièrement savoureux pour le renversement des rôles assignés au genre que cette comédie propose.
Hippocrate de Thomas Lilti (2014)
Doté d’une grande précision documentaire, Hippocrate suit la trajectoire quelque peu chaotique d’un interne à peine débarqué aux urgences (Vincent Lacoste) dans le service de son père. Pour réaliser le film, Thomas Lilti s’est nourri de son expérience (comme médecin généraliste), d’anecdotes personnelles et de témoignages au plus près du terrain. Par une mise en scène fonctionnelle et inspirée, et grâce à un casting excellent (notamment les personnages secondaires), Lilti offre le portrait ambivalent d’un univers aseptisé seulement en surface, où romanesque et comique ne cessent de poindre entre les coutures du film-dossier.
Us de Jordan Peele (2019)
Mélange entre le mythe de la caverne de Platon et Alice aux pays des merveilles, Us s’ouvre sur une séquence prodigieuse. La petite Adélaïde y erre dans un parc d’attractions. Elle échappe un instant à la vigilance de ses parents et pénètre dans un inquiétant palais des glaces où elle fera une rencontre traumatisante, celle de son double. Des années plus tard, Adelaïde a fondé une famille. Pour les vacances, elle revient sur les lieux de son traumatisme enfantin. C’est alors que son double, devenu adulte comme elle, refait son apparition, cette fois à la porte de sa maison et assorti des doppelgängers de son mari et de ses deux enfants. Par rapport à Get Out (2017), l’enjeu idéologique de Peele s’est déplacé. Il ne s’agit plus de figurer la dualité entre l’Amérique d’Obama et celle de Trump, mais d’imaginer le dérèglement que produirait la révolte des classes pauvres contre les classes aisées. L’impossibilité du vivre ensemble (“there is no us”) est la même, mais le film racial a muté en film de classe.
Ex Machina d’Alex Garland (2014)
Considéré à l’époque de sa sortie comme un petit film de SF plutôt bien tourné, le premier long métrage d’Alex Garland a rétrospectivement révélé un acteur et une actrice devenu incontournable à Hollywood : Oscar Isaac et Alicia Vikander. Mais aussi un cinéaste qui vient d’être sélectionné à La Quinzaine des Réalisateurs pour son troisième film, Men. Dans Ex Machina, un programmateur gagne un concours qui l’envoie rejoindre le mystérieux PDG d’une des plus importantes entreprises technologiques. Vivant à l’écart du monde, ce dernier confie au programmeur la réalisation d’un test du Turing, visant à savoir si, oui ou non, le prototype d’androïde qu’il a inventé est doté d’une conscience.
Sorry to bother you de Boots Riley (2018)
Le premier film de Boots Riley est une farce, mais c’est aussi l’un des films les plus réalistes jamais produits par Hollywood sur le fonctionnement du capitalisme. Il se déroule dans un monde que l’on croit d’abord être le nôtre, avant de glisser vers la dystopie, d’abord légère, comme un petit épaississement du trait, pour sauter finalement à pieds joints dans le cauchemar éveillé. On y suit le parcours de Cassius Greene, misérable télémarketeur qui monte en grade le jour où il comprend comment parler avec une “voix de Blanc”, une voix qui le fait passer au téléphone, lui le mec noir toujours à la ramasse, pour le vendeur le plus convaincant du monde. Fort de son humour loufoque et de ses bricolages visuels, évoquant autant Michel Gondry que Spike Jonze, Riley démonte parfaitement les rouages de l’exploitation socio-économique, mais aussi culturelle, puisque tout finit par être récupéré.
The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal (2021)
Connue jusque-là comme actrice, Maggie Gyllenhaal signe un film assez tortueux sur la maternité, centré sur une universitaire quadra, borderline mémère, en vacances sur une île grecque (rôle taillé pour l’entre deux âges vibrant d’Olivia Colman). Si le film a reçu à La Mostra de Venise un prix du scénario, c’est plutôt dans la mise en scène et la direction d’acteur·trices que Gyllenhaal montre son talent, articulant son film autour de situations de déséquilibre, de petites conflictualités vacancières, de coexistences physiques, de choses grouillantes et vivantes : des bandes d’ados turbulents, des vieux locaux libidineux, des mômes en pleurs et des femmes qui ne veulent pas se voir vieillir – que de choses qui ne peuvent se filmer autrement qu’en écoutant leur respiration propre, ce que la réalisatrice parvient indéniablement à faire. Le thriller psychologique est plus bringuebalant, mais le film de vacances ratées est, lui, bien réussi.
Bright Star de Jane Campion (2009)
Noué autour de la relation amoureuse entre le poète John Keats et sa voisine, Fanny Brawne, Bright Star explore, comme à chaque fois avec la cinéaste néo-zélandaise, les effets de la rencontre entre deux mondes. De la friction entre le monde abstrait de Keats et le monde concret de Brawne, Campion tire un récit sublime sur la façon d’habiter le monde en se laissant pénétrer par l’autre. Porté par deux excellent·es acteur·trices (Ben Whishaw et Abbie Cornish), Bright Star repose sur ce qui a fait et fera le succès de La Leçon de Piano et de Le Pouvoir du chien : un cinéma profondément ancré dans la nature et une dynamique de trio (au couple il faut ajouter Tom, le jeune frère malade de Keats), mêlant rapports familiaux et amoureux. Si Campion a toujours filmé les deux visages de la passion, celui de la brûlante exaltation mais aussi celui de la froide emprise, Bright Star est sans doute son film le plus romantique, le plus “fleur bleue” (à l’image des parterres de jacinthes qui donne au film une de ses plus belles scènes), c’est celui qui croit le plus dans le pouvoir métamorphosant de l’amour.
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