L’hymne de notre génération?
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On n’est pas tout seul, de Gradur.
Le film de notre génération?
Au risque de paraître prétentieuse, je pense que ce sera Divines. Il redéfinit complètement le genre, il joue avec les codes: le rôle du caïd est interprété par une fille, le héros est une fille, l’amoureuse est un garçon. S’il y a beaucoup de filles, c’est parce que j’avais envie de dépeindre mon quotidien: tout comme, lorsqu’un homme fait des films, il a tendance à choisir des hommes en héros.
L’événement le plus marquant de notre génération?
Les attentats et la montée du terrorisme. La colère de cette jeunesse n’est pas en train de se transformer en révolte, comme c’était le cas en mai 68, mais elle est en train de devenir quelque chose de noir, de sombre, de mauvais. J’ai espoir, parce que je suis plutôt humaniste, et je crois qu’on va transformer cette colère en quelque chose de positif. Il faut des actes, et je pense que le cinéma, par exemple, peut être un acte politique, qui questionne. De l’émotion, peut naître la réflexion.
“Il y a énormément de réalisatrices avec un talent de dingue, mais en tant que femmes, il faut se battre deux fois plus que les autres.”
Ce que notre génération a inventé de plus drôle?
“Pose son clito sur la table.” C’est l’une des répliques de Divines.
Quelles sont les valeurs de notre génération?
La valeur-clé aujourd’hui, c’est l’argent: il faut revenir à des valeurs beaucoup plus humanistes. De nos jours, l’ascension sociale est compliquée, on se replie sur soi-même. On n’a plus d’exemples, on manque d’idéal. Il faut recréer nos figures et c’est en ça qu’il ne faut absolument pas être polis, il faut ouvrir notre grande gueule et ne pas se laisser faire. J’ai créé une association qui s’appelle 1000 Visages, dont le but est d’ouvrir le cinéma à des gens qui sont éloignés de l’offre culturelle. Je ne veux pas réussir toute seule, je veux emmener plein de gens avec moi.
Le genre pour notre génération, ça veut dire quoi?
Le genre est à redéfinir. Quand on est une femme, on peut porter un bas de jogging avec un top ultra décolleté, tout comme un homme peut s’habiller en slim. On voit de moins en moins de différence entre l’homme et la femme et je ne pense pas que ce soit un mal. La féminité n’est plus la même qu’au siècle dernier. Maintenant, on est un peu tout à la fois: on est à la fois brutes, sauvages, douces, etc.
Notre génération compte-t-elle suffisamment de réalisatrices?
Les réalisatrices sont nombreuses, en tout cas au moment des études. À la Fémis ou dans les grandes écoles de cinéma, il y a une parité. Sauf qu’au moment où on rentre dans la vie active, on tombe seulement à 14 % de femmes réalisatrices. La question n’est pas de savoir où elles sont passées, mais qui est aux postes décisionnaires. Et à ces postes, on trouve des hommes, âgés, qui ont du pouvoir. Il n’y a qu’à regarder les sélectionneurs cannois: dans toutes les catégories, ce ne sont que des mecs. À partir du moment où on changera les postes décisionnaires, les choses changeront. Il y a énormément de réalisatrices avec un talent de dingue, mais en tant que femmes, il faut se battre deux fois plus que les autres.
“Mes icônes sont celles qui représentent la liberté de parole.”
En obtenant la Caméra d’or, tu es quand même la preuve qu’on peut y arriver…
Moi, je pense que tout est possible. Je pense que le XXIème siècle sera féminin, que nous allons nous imposer. La marche de l’histoire le requiert, il n’y a pas le choix: si on nous ferme la porte, on passera par la fenêtre, si on nous ferme la fenêtre, on passera par la cheminée.
Selon toi, les quotas peuvent-ils être une solution?
Je crois aux quotas car je n’ai pas le temps que les mentalités changent, je veux que nous ayons le droit à la médiocrité, de la même manière qu’il y a des films médiocres réalisés par des hommes. Là, pour l’instant, on n’a que des femmes d’exception dans les 14 %, ce ne sont que des tueuses: Maïwenn, Valérie Donzelli, Céline Sciamma, Catherine Corsini etc., c’est la crème de la crème. On n’a pas beaucoup de femmes réalisatrices moyennes ou mauvaises, alors que chez les hommes, je pourrais vous en citer à la pelle! Le jour où on aura le droit à la médiocrité, je pense qu’on atteindra la parité.
Ton icône générationnelle?
Mes icônes sont celles qui représentent la liberté de parole. Parmi elles, et même si ce n’est pas spécialement une icône générationnelle, il y a Mohamed Ali (Ndlr: l’interview a été réalisée avant la mort de ce dernier). Il a été capable de dire non à la guerre du Vietnam, quitte à tout perdre. Pour défendre ses idées, il est allé en prison, il a perdu sa ceinture de champion du monde. Chez les femmes, je pense à Oum Kalsoum, Billie Holiday ou Maria Callas, des femmes libres qui ont transcendé leur art.
“La richesse de la France, c’est la diversité.”
Les défis que notre génération doit relever?
On est une génération d’humiliés, et c’est bien. Il faut se réjouir d’être tout en bas: on aurait pu être une génération tiède, mais ce n’est pas le cas, on est en colère. Et je pense qu’on est en train de transformer cette colère en quelque chose de très beau.
Le plus bel espoir pour notre génération?
La diversité. On est encore trop dans une culture de l’entre-soi, mais la richesse de la France, c’est bien la diversité. J’ai le grand espoir que nous réussissions à nous nourrir les uns des autres. Je pense aussi qu’il faut remettre le politique dans le quotidien, arrêter de considérer que tout est toujours de la faute des autres: les flics par ci, le gouvernement par là… On a élu nos représentants alors, quelque part, on est tous responsables de ce qui arrive partout dans le monde. Le chaos dans lequel on est, il doit nous remettre en question.
Propos recueillis par Myriam Levain
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