La chanteuse Emi Hanak, jusque-là connue sous le pseudo de Milkymee, se mue en Yelli Yelli et fait son retour avec Terre de mon poème. Un album hybride et enivrant, qui mêle avec brio folklore kabyle et rock indé. L’occasion de (re)découvrir l’univers de cette artiste qui ne cesse de surprendre.
Emi Hanak a l’âme d’une voyageuse. Depuis le début de sa carrière sous l’alias Milkymee, elle balade son public au gré de ses pérégrinations, qu’elles soient spatiales -avec des disques composés en Suède (To All the Ladies in the Place with Style & Grace en 2010) et au Japon (Borders en 2013)- ou stylistiques, lorsqu’elle réalise la bande originale du film Domaine, de Patric Chiha avec Béatrice Dalle. Mais cette fois, c’est au cœur de ses origines qu’elle a choisi de voyager, sous le nom de Yelli Yelli. “Avant, j’avais la bougeotte, j’allais partout, puis j’ai eu besoin d’opérer un retour aux sources en composant cet album sans faire mes valises, mais en restant en France”, confesse la chanteuse. Une virée introspective donc, au cœur de ses racines maternelles algériennes.
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Les chantiers de la liberté
Son enfance, Emi Hanak la traverse paisiblement dans un petit appartement de la région parisienne, entourée de ses parents et de ses trois frères (dont deux d’entre eux forment aujourd’hui le groupe dDamage). Sa mère, kabyle, et son père, d’origine tchèque et chti, les élèvent dans un souhait d’intégration profonde: les traditions du Maghreb sont transmises uniquement via la cuisine et la musique. Petite, Emi a déjà des rêves de liberté, qu’elle explore sur les chantiers de démolition dans lesquels travaille son papa. “On courait, on pouvait tout casser puisque tout était voué à être détruit, on s’amusait à briser les vitres, c’était la liberté”, se rappelle-t-elle. Déconstruire pour mieux se construire et apprendre à se connaître, un adage auquel elle semble avoir adhéré très jeune: “Chez nous, chaque membre de la famille a énormément de charisme et prend beaucoup de place, alors j’ai eu besoin de respirer et de partir très loin pour découvrir qui j’étais sans eux.” C’est le point de départ des nombreux périples qui vont rythmer sa vie personnelle et sa carrière musicale.
Trouver son identité dans l’exil
Ses deux premiers albums, Emi Hanak les concocte donc loin de la France, et choisit d’y chanter dans la langue de Shakespeare. Rien d’étonnant pour cette polyglotte qui manie le suédois et l’anglais presque aussi bien que le français, et avoue humblement que, pour elle, “les langues sont un véritable hobby”. Mais, peu à peu, ses envies d’exode s’amenuisent, pour laisser place à un besoin d’exploration plus intime: “Pendant longtemps, je ne me suis sentie nulle part chez moi, alors j’ai beaucoup voyagé, mais j’ai fini par comprendre que les réponses que je cherchais se trouvaient en moi. Tu peux voyager partout en te regardant le nombril, et rester en banlieue parisienne et t’ouvrir au monde.” C’est ainsi que naît son désir de sonder ses origines, notamment celles de ses ancêtres kabyles. Cette fois, le pèlerinage sera introspectif et transgénérationnel, comme elle le dévoile dès l’incipit de l’album: “Terre de mon poème/Que je ne connais pas/Tu brûles sous ma peau/Et je chante pour toi.”
© Alexandra Reghioua
Un disque aux multiples facettes
Pour ce nouveau projet qu’elle souhaite entamer, elle pense à Piers Faccini. Emi Hanak aime sa musique, et tout comme elle, le chanteur-auteur-compositeur est un enfant de migrants. Le binôme se forme et réalise un album à l’ADN mélangé. Car Terre de mon poème, c’est avant tout un patchwork de genres. Un univers dans lequel les mélodies orientales se confrontent sans cesse aux riffs de guitare. Le kabyle susurré par Emi Hanak croise des envolées rock et provoque des envies compulsives de roadtrip, comme dans les très beaux titres They Grin ou Achnou. Sous l’impulsion des deux artistes, la rythmique traditionnelle kabyle renaît pour se fondre dans un univers brut, alternatif, voire garage, qu’Emi Hanak maîtrise si bien depuis ses débuts. “Avec Piers, on est partis du constat qu’on ne voulait pas faire de musique traditionnelle classique, on ne voulait pas faire quelque chose qui existait déjà”, explique-t-elle. Pari réussi. Car à l’image d’un voyage que l’on ferait sac au dos et sans destination précise, on parcourt le disque comme on découvrirait une contrée méconnue. “J’ai voulu mêler des éléments autobiographiques de ma famille, de mon passé, de mes ancêtres, avec des faits totalement inventés, des hallucinations, des choses pop.”
“Plus qu’un album, c’est un manifeste résolument moderne pour la liberté et l’ouverture au monde.”
Yelli Yelli déroute, intrigue, mais tient fermement la barre tout en bondissant aisément de l’anglais au français, puis au kabyle qu’elle a travaillé avec un coach linguistique pour améliorer sa prononciation, mais guère trop non plus: “C’est un passé qui ne m’appartient pas, une culture que je ne connais pas bien, et je voulais retranscrire cette méconnaissance dans les paroles et la musique, c’est pour cela que j’ai beaucoup d’accent français lorsque je chante en kabyle, cela fait aussi partie du projet.” Au-delà de la dimension musicale, Terre de mon poème résonne intensément en chacun de nous, peut-être parce qu’il cristallise des aspirations chères à notre société actuelle où l’exil tient une place prépondérante. Plus qu’un album, c’est un manifeste résolument moderne pour la liberté et l’ouverture au monde.
Julie Pujols Benoit
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