Le mouvement juif Women of the Wall milite pour que les femmes puissent prier dans les mêmes conditions que les hommes au Mur des Lamentations. Rencontre avec Tammy Gottlieb, la vice-présidente de ce groupe féministe.
Hier matin, comme chaque Rosh Hodesh, le premier jour du mois du calendrier hébraïque, les femmes de Women of the Wall se réunissaient à Jérusalem au Mur des Lamentations (ou Kottel) pour prier. Depuis 29 ans, sous les sifflets, les insultes et parfois les coups, elles réclament le droit d’amener des rouleaux de prière appelés sefer torah, de porter les tefilin et le talit -les phylactères et le châle utilisés pendant la prière- et de prier à voix haute. En effet, le courant orthodoxe, qui gère le Kottel, considère que ces privilèges sont réservés aux hommes. Si le groupe Women of the Wall dit rassembler des femmes de tous les courants du judaïsme, Tammy Gottlieb, la vice-présidente de 34 ans, appartient aux Massorti, un mouvement juif égalitaire qui prône une interprétation moderne du judaïsme, dans le respect de la loi religieuse.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nous la rencontrons donc dans les bureaux de ce mouvement, à Jérusalem. Elle nous explique que sa pratique du judaïsme est à l’origine de son féminisme: “Ma mère est de Londres et mon père de Rio. Quand ils ont commencé leur vie en Israël, ils ont décidé que leur famille aurait une identité Massorti. Pour moi, le judaïsme a toujours été égalitaire, j’ai fait ma bat mitsvah. C’était un peu gênant à l’époque parce que la plupart des filles ne priaient pas publiquement, mais mes parents m’y ont obligée. Je pense que c’était un acte féministe. Cela m’a appris à faire entendre ma voix. C’est pourquoi je dirige souvent la prière de Women of the Wall.”
Une bataille pour l’égalité
Après son service militaire effectué en tant que combattante, car elle “voulai[t] faire quelque chose qui était habituellement réservé aux hommes”, elle apprend qu’une femme s’est fait arrêter pour avoir porté le châle de prière, ou talith, au Mur des Lamentations. “Je me rappelle que lorsque j’ai commencé à venir à la prière, la police nous demandait d’être silencieuses. Sans arrêt la police nous faisait ‘shh shhh’, pour que l’on se taise. Mais de l’autre côté, nous entendions les hommes prier à voix haute. Ils nous demandaient aussi de mettre nos talith en écharpe, pour que personne ne puisse les remarquer.” Aujourd’hui, les choses ont changé. Il y a quatre ans, Women of the Wall a gagné un procès et la justice les a autorisées à prier comme elles l’entendent. Seulement, le mouvement orthodoxe, qui dirige le Kottel, ne les laisse pas agir librement. “Une fois par mois, nous nous rassemblons du côté des femmes, assez loin du mur, là où la police et les autorités du Kottel nous demandent de nous tenir.”
© Danielle Shitrit
L’un des problèmes rencontré par ces femmes est qu’elles ne peuvent toujours pas utiliser les rouleaux de la Torah: “Il est interdit de faire rentrer un Sefer Torah au Mur des Lamentations car il y en a déjà 130 en libre accès. Mais ceux-ci sont réservés aux hommes. Nous voulons lire le Sefer Torah mais, parce que nous sommes des femmes, on ne nous laisse pas les utiliser. Ces dernières années, nous avons réussi à faire entrer, par magie, un Sefer Torah dans la section des femmes. Quand nous y arrivons, les autorités du Kottel ne sont pas autorisées à nous les enlever”. Depuis ces succès, une fouille au corps est systématiquement pratiquée par les autorités du Kottel pour les empêcher de recommencer.
Féminisme et judaïsme
À la question de savoir si Women of the Wall est un mouvement féministe, Tammy Gottlieb répond “définitivement, c’est du féminisme religieux”. Pour elle, judaïsme et féminisme sont profondément intriqués: “Mon féminisme est lié à mon identité juive et je pense que le judaïsme devrait être féministe. Je ne saurais être féministe en dehors de mon identité juive et je n’accepte pas les inégalités quand je pratique ma religion. Mais chaque femme le voit différemment. Mon féminisme juif n’est pas le même que celui d’une autre. Je crois que ce qui nous unit, c’est que nous nous voyons toutes comme féministes et religieuses.”
Quand on lui parle de l’avenir du judaïsme égalitaire en Israël, la jeune femme est optimiste. Les mouvements libéraux ne touchent pas d’argent de l’État, contrairement aux orthodoxes. “Nous ne nous battons pas avec les mêmes moyens, et pourtant nous rencontrons des succès. C’est pourquoi les ultra-orthodoxes ont peur de nous. Ils savent que nous sommes une bonne alternative et essaient de nous délégitimer. Mais ils font ça parce qu’ils sont effrayés, et c’est une bonne nouvelle.”
À l’heure où les ultra-orthodoxes gagnent constamment du terrain en Israël, le combat des femmes de Women of the Wall rappelle que le véritable enjeu pour le pays est de continuer à abriter un judaïsme aux identités multiples.
Yoram Melloul, à Jérusalem
{"type":"Banniere-Basse"}