Dans Vita & Virginia, en salles mercredi 10 juillet, les autrices Virginia Woolf et Vita Sackville-West sont amantes et muses. Ce film devient le sixième biopic à mettre en scène des femmes lesbiennes ou bis en moins d’un an. Une mode?
Virginia Woolf et Vita Sackville-West se sont rencontrées en 1922. La première était une femme de lettres socialiste, la deuxième une aristocrate mondaine qui n’en faisait qu’à sa tête. Elles vécurent une relation passionnelle qui fit fi des conventions sociales et de leurs mariages respectifs et leur inspirera leurs plus grands ouvrages. Vita & Virginia raconte cette histoire d’amour improbable et complexe avec urgence, modernité et sensualité. Le film permet d’appréhender le génie d’une virtuose de la littérature tout en dessinant la réalité des personnes queers et lettrées de l’époque. Il est loin d’être le seul.
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Avalanche de biopics saphiques
En moins d’un an, nous avons eu le droit à Gentleman Jack, une série sur l’intrigante Anne Lister, connue pour ses journaux intimes écrits dans les années 1830. À un film sur l’amour secret de la poétesse Emily Dickinson pour son amie d’enfance dans la seconde partie du XIXème siècle avec Wild Nights With Emily (pas de sortie annoncée en France), à un autre sur l’émancipation littéraire et sexuelle de Colette dans les années 1900 avec Colette et à un troisième sur les arnaques de la biographe lesbienne Lee Israel dans les années 70 avec Les Faussaires de Manhattan, film nommé aux Oscars et Golden Globes, en salle le 31 juillet. À cette liste, il faut ajouter le merveilleux La Favorite, carton au box-office maintes fois récompensé, qui met en scène le triangle amoureux supposé entre la reine Anne et deux de ses courtisanes au début du XVIIIème siècle. Ces films et séries ont en commun de mettre en scène des aspects tus de la vie de ces femmes qui ont changé l’histoire et de montrer comment les personnes LGBTQ+ vivaient dans le passé. Ils nous rappellent que les femmes queers ont toujours existé, que leurs vies étaient riches, qu’elles vivaient des histoires d’amour, qu’elles pouvaient compter sur leurs proches, qu’elles pouvaient être heureuses. Dans cet article, on parle d’ailleurs de femmes “queers” et de personnes “LGBTQ+” par souci de simplicité mais jusqu’au début du XIXème, elles ne se définissaient ni lesbiennes ni bisexuelles ni trans car ces mots, ces concepts n’existaient pas. Elles étaient simplement en couple avec des femmes, souvent avec l’accord de leurs maris. Alors, pourquoi cette mode des biopics “saphiques”, comme on disait au XIXème siècle? Pourquoi cette déferlante sur nos écrans?
La diversité impose sa voix
Si ces histoires apparaissent maintenant, c’est en partie parce que le monde du cinéma était trop conservateur avant. Il y a encore 20 ans, peu de films mettaient en scène des personnes LGBTQ+ et quand ils le faisaient, c’était souvent en taisant leur homosexualité, comme Hercule, Shakespeare in love, Troie, Lincoln ou Un Homme d’exception. Après le succès de Brokeback Mountain en 2005, les studios ont, progressivement et timidement, autorisé une meilleure représentation des histoires non-hétéros sur nos écrans. Mais, l’homophobie étant couplée au sexisme, les biopics se limitaient souvent à raconter des histoires d’hommes. Sans femmes en position de pouvoir, pas de films montrant une autre vision de la féminité, rendant hommage à des icônes féministes ou mettant en scène des histoires d’amour entre femmes. Heureusement, petit à petit, et dans la douleur, des femmes se sont fait une place dans cette industrie très masculine et ont insisté pour faire les biopics qui leur parlaient. Ainsi Gentleman Jack a été créé par Sally Wainwright, Wild Nights With Emily a été écrit et réalisé par Madeleine Olnek, Vita et Virginia a été réalisé par Chanya Button qui a co-écrit le film avec Eileen Atkins, tandis que Les Faussaires de Manhattan ont été écrit par Marielle Heller et co-écrit par Nicole Holofcener. The Guardian rappelle aussi que les “méga-succès” de films comme Moonlight, Black Panther et Crazy Rich Asians ont permis aux studios d’obtenir la confirmation que la diversité vendait. Maintenant que les feux sont au vert, les réalisatrices et scénaristes peuvent enfin rattraper le temps perdu et mettre en scène des histoires qu’elles auraient aimé raconter plus tôt.
© Pyramide distribution
L’histoire cachée révélée
Mais les médias ne sont pas les seuls à blâmer pour l’invisibilisation des liaisons lesbiennes de nos figures historiques. Si l’on vous dit “Emily Dickinson”, vous aurez probablement en tête une vieille fille antisociale et recluse. C’est normal. Quand une chercheuse a osé émettre, en 1951, la théorie selon laquelle ses poèmes étaient dédiés à une femme, elle fut huée, humiliée et sa carrière fut détruite. Il fallut attendre les années 90 et l’évolution de la spectographie pour prouver, science à l’appui, que les lettres et poèmes de la poétesse avaient été modifiés pour cacher son homosexualité, ôtant au passage toute trace d’humour. Cette censure nous provient de Mabel Loomis Todd, l’amante du frère de la poétesse qui a publié son œuvre de façon posthume: elle voulait à la fois rendre Emily Dickinson plus acceptable et se venger de la femme de son amant qui n’était autre que l’amante de la poétesse -vous suivez? Les histoires d’amour d’Anne Lister, l’héroïne de Gentleman Jack, ont elles aussi longtemps été cachées, mais cette fois-ci, il s’agissait d’une volonté de l’écrivaine elle-même. Pour se protéger de l’homophobie, elle utilisait un langage codé pour parler des ses (nombreuses) histoires avec des femmes. C’est la découverte de ce code par une historienne dans les années 90 qui a permis de mettre en lumière sa vie cachée. “Avant que l’on décrypte les passages relatant sa vie sexuelle, les gens ne croyaient pas que les femmes aient des rapports sexuels entre elles à cette époque. Ils pensaient que deux femmes proches étaient des amies romantiques”, rappelle Sally Wainwright, la créatrice de la série.
Attention, fiction
Cette folie pour les histoires d’amour lesbien en costumes est en train de passer un nouveau cap. Dans Ammonite, un biopic prévu pour 2020, Mary Anning (Kate Winslet), la chasseuse de fossiles, vit une histoire d’amour avec une femme (Saoirse Ronan) alors que rien n’indique qu’elle ait été attirée par les femmes. Alors que certaines personnes parlent de fétichisation, le réalisateur (gay) du film, Francis Lee (God’s Own Country), défend son choix: après avoir vu l’Histoire queer “hétéro-isée” pendant des années, pourquoi pas “queer-iser” une histoire dont l’aspect hétéro n’a pas été prouvé?
Aline Mayard
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