Dans son essai intitulé Où sont les violeurs?, Marlène Schiappa, présidente fondatrice de l’association Maman travaille et adjointe au maire du Mans, analyse avec justesse les éléments constitutifs de la culture du viol dans laquelle baigne la société.
Ce livre, il n’a pas été facile à écrire. Ou plutôt, pas facile à faire publier. Marlène Schiappa le dit sans détours: “Ça fait trois ans que je veux écrire cet essai sur la culture du viol, j’en ai parlé à pas mal de maisons d’édition mais elles me disaient toutes que ce n’était pas un sujet ‘feel good’.” Lorsque la présidente fondatrice de l’association Maman travaille trouve enfin une maison d’édition, ce sont les représentants en librairies -auxquels l’auteure présente le livre avant sa sortie- qui tiquent sur le titre: “Ils ne voulaient pas qu’il y ait le mot ‘viol’ dedans, j’ai répondu que ce n’était pas négociable, et que c’était quand même fou de vouloir ‘invisibiliser’ une fois de plus les violeurs dans un livre qui dénonce justement cette invisibilité!” Finalement, l’essai de Marlène Schiappa sur la culture du viol met les pieds dans le plat et pose clairement la question: “Où sont les violeurs?”
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C’est “un trop plein” qui a poussé Marlène Schiappa à écrire ce livre: “En tant qu’élue adjointe au maire du Mans, je reçois beaucoup de femmes qui ont été violées, et je suis effarée par le nombre de mes amies qui ont été victimes de viols.” Elle peste contre le traitement médiatique des violences sexuelles: “On nous dit toujours que c’est un moment d’égarement, que le violeur avait trop bu, que la victime avait une jupe, qu’elle était seule la nuit dans la rue, etc.”
Trouver des excuses aux violeurs et faire porter la responsabilité du viol aux victimes constituent en partie ce que l’on nomme la culture du viol. Et si, comme elle l’écrit, Marlène Schiappa “ne croi[t] pas aux ‘pulsions biologiques’, ces montées de testostérone incontrôlables qui pousseraient les humains de sexe masculin, dans leur ensemble, à vouloir violer les femmes, dans leur ensemble, ou les hommes, d’ailleurs”, elle “croi[t] aux normes masculines du pouvoir qui leur font croire que pénétrer de force, soumettre, violer, sont des signes de domination, donc de réussite”. Elle “croi[t] à la culture du viol” qu’elle a décidé ici de décortiquer et d’analyser pour mieux pouvoir la combattre. Interview.
Qu’est-ce que la culture du viol?
La culture du viol, c’est la tolérance envers le viol, et tout ce qui peut mener au viol, comme le harcèlement de rue, les agressions sexuelles, les insultes sexistes, ou le cyberharcèlement. C’est également une question de consensus social tacite. Il y a quelques temps, on a fait une conférence avec un psychologue canadien qui nous a expliqué ce qu’était le consensus social tacite: au Québec par exemple, c’est normal qu’une femme sorte seule dans la rue à 3 heures du matin. Ce spécialiste déplorait qu’en France, les femmes ne puissent pas le faire sans qu’on leur demande ce qu’elles faisaient dehors à cette heure-là.
Le harcèlement de rue participe-t-il de la culture du viol?
Participe de la culture du viol tout ce qui part du principe que le corps de la femme est un bien public. Les hommes considèrent qu’ils ont le droit de nous parler lorsque nous sommes dans l’espace public. Et en tant que femme harcelée dans la rue, on se dit toujours à un moment donné qu’on est à la merci de la personne qui nous harcèle, on se dit qu’on peut y passer. Tout ça crée une culture du viol, ça terrorise les femmes. De façon générale, il y a une non-lutte contre le harcèlement de rue. Je suis frappée de voir aussi bien des hommes en costard avec leurs petites mallettes que des groupes de jeunes qui trouvent normal de siffler ou d’insulter une femme dans la rue. Il n’y en a pas un qui va dire quelque chose. On est de plus en plus dans une société de la non-mixité, les hommes font des choses entre eux, notamment les jeunes, et cette non-mixité amène à voir l’autre, la femme, comme une chose.
“On met la honte aux femmes qui sont victimes de viols et c’est la meilleure garantie pour qu’elles ne parlent pas.”
Et dans la culture du viol, la honte est toujours du côté des femmes…
En effet, la honte est un pilier de la culture du viol, c’est pour cette raison, entre autres, que les viols sont si peu dénoncés. Il n’y a qu’à voir ce que Flavie Flament s’est pris en pleine figure alors qu’elle a dénoncé son violeur, sans même donner son nom au début. Et quand il s’est suicidé, on l’a accusée de l’y avoir poussé! On met la honte aux femmes qui sont victimes de viols et c’est la meilleure garantie pour qu’elles ne parlent pas. Le sentiment de honte, c’est ce qui pousse les femmes à se taire et ce qui permet aux violeurs de dormir tranquillement.
Le victim blaming est également un facteur de non-dénonciation du viol, non?
Oui, en effet. Je donne toujours l’exemple suivant: quand une femme qui a bu est violée, on considère que c’est de sa faute car elle a bu, mais quand un homme qui a bu viole une femme, on considère que c’est de la faute de l’alcool. Il y a un déplacement de la responsabilité. La victime de viol est sans cesse remise en cause, on lui reproche presque d’avoir été violée.
“Il ne faut plus qu’on lise dans les journaux que Mme X a “avoué” un viol, ce sont les coupables qui avouent, pas les victimes.”
Quel travail faut-il faire autour de la sémantique du viol et des violences sexuelles?
Il y a un gros travail à faire au niveau de la presse d’abord. Il ne faut plus qu’on lise dans les journaux que Mme X a “avoué” un viol, ce sont les coupables qui avouent, pas les victimes. C’est pareil avec les verbes révéler ou confesser. On ne lit jamais “Mme X révèle s’être fait cambrioler” ou “Mme X confesse s’être fait voler son sac”. Ensuite, il faut également faire attention à l’adjectif possessif souvent utilisé quand on parle d’un violeur: ce n’est pas “son” violeur, c’est un violeur. Sinon, ça crée un lien de possession entre le violeur et la victime qui fait qu’on a l’impression que le violeur fait partie de sa vie.
Tu rappelles dans ton essai que le viol conjugal est reconnu seulement depuis la seconde moitié des années 90…
Oui, avant il n’y avait pas de devoir conjugal en tant que tel mais l’arrêt de la vie sexuelle dans un couple marié pouvait être un motif de divorce. Ça ne fait pas longtemps que l’on considère que l’on ne doit pas du sexe à un homme parce qu’on est en couple avec lui. En ce moment, il y a un schéma d’une journaliste américaine qui circule pas mal sur Internet et qui pose justement cette question: quand est-ce qu’une femme vous doit du sexe? La réponse est: jamais.
© Raquel Reichard
La responsabilité d’éviter un viol incombe malheureusement toujours aux femmes…
Quand une femme dit qu’elle a été violée, les premières questions qu’on va lui poser, c’est “violée comment?”, et on va toujours essayer de minimiser l’acte. Récemment, au Canada, un juge a demandé à une femme qui avait été violée pourquoi elle n’avait pas “serré les genoux”. C’est aux femmes d’apporter les preuves qu’elles ont été violées, alors qu’un homme qui dit qu’il n’a violé personne, on considère qu’il dit la vérité.
Tu abordes également dans un ton livre un sujet dont on parle peu, le coût du viol, quel est-t-il?
Les viols coûtent cher aux victimes et à l’ensemble de la société, mais jamais aux violeurs. Lorsqu’une femme est victime de viol, elle peut éventuellement acheter une pilule du lendemain, passer des tests pour vérifier si elle n’a pas de maladies sexuellement transmissibles (MST), avorter, etc. Tous les coûts immédiats sont pris en charge par la Sécurité sociale, donc par la société. J’ai même découvert en écrivant cet essai que des assurances prenaient en charge les frais de justice des violeurs car c’était considéré comme un dommage causé à autrui. Les viols et les agressions sexuelles génèrent également potentiellement un absentéisme, des arrêts de travail, etc. Il y a tout un impact économique réel, et aussi, je crois, un impact sur la carrière des femmes. Je travaille depuis longtemps sur les sujets égalité professionnelle et égalité dans la sphère familiale, et quand je vois que les chiffres du télétravail sont plus élevés chez les femmes, et que j’échange avec des femmes victimes de harcèlement, d’agression ou de viol, je me dis que c’est une façon pour elles de se protéger et que tout est lié.
“Le consentement, c’est simple comme une tasse de thé”
Quelles sont les pistes pour faire évoluer les mentalités?
Je pense qu’il faudrait d’abord une vraie grande campagne de communication sur le consentement qui soit visible partout, dans les écoles, les transports, les entreprises, les universités, etc. Et surtout qu’elle soit à destination des hommes. Il faut arrêter de penser que le viol est un problème qui concerne les femmes, c’est un problème qui concerne les hommes. Par exemple, je suis sceptique à l’idée d’utiliser l’expression “violences faites aux femmes” car elle invisibilise les hommes. Il faut donc dire aux garçons et aux hommes que les corps des filles, des femmes ne leur appartiennent pas. Surtout, il faudrait donner davantage de moyens à la police et aux droits des femmes. Pour l’instant, ça repose sur du bricolage et du bénévolat. C’est la double peine, ce sont les femmes les victimes et ce sont elles qui doivent s’organiser pour que les choses bougent, par exemple pour empêcher que Roman Polanski ne préside les César.
Propos recueillis par Julia Tissier
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