Dans l’histoire, les femmes en ont vu de toutes les couleurs. Des suffragettes aux féministes d’Amérique latine et d’Europe, le violet a été choisi comme couleur symbole de leur combat et il est plus visible que jamais.
“Raz-de-marée violet”, “Une marée violette”, “la France se pare de violet”: au lendemain des marches contre les violences sexuelles et sexistes, organisées un peu partout en France le 24 novembre 2018 par le collectif Nous toutes, la presse ne manque pas de relever la couleur violette des cortèges. Quelques mois plus tôt, la verte Irlande avait elle aussi revêtu le violet pour réclamer la dépénalisation de l’IVG. Mexique, Nicaragua, Chili: la vague violette a également atteint les rivages de l’Amérique latine. Un peu partout, les luttes féministes brandissent cette couleur comme un symbole.
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Signe de vieillesse et même de deuil au Moyen-Âge, utilisé par l’Église pour représenter la pénitence mais aussi pour habiller ses évêques, le violet doit attendre quelques siècles avant de trouver un éclat féministe.“Comme toutes les couleurs, le violet a une symbolique ambivalente,qui évolue au fil de l’Histoire”, relève Dominique Simonnet, qui a co-écrit Le Petit livre des couleurs avec le grand spécialiste du sujet, l’historien Michel Pastoureau. Alors que le rouge évoque à la fois “le sang mais aussi la passion et l’érotisme”, le violet “représente la vieillesse et le deuil tandis que les reflets mauves évoquent eux la douceur”, précise-t-il.
Une couleur commune
Dès la fin du XIXème siècle, les suffragettes anglaises donnent au violet sa teinte féministe. La Women’s social and political union (WSPU) est un des fers de lance de la lutte pour le droit de vote des femmes.“Cette organisation a été fondée par des féministes radicales qui estimaient qu’il fallait passer à autre chose que la simple propagande. Elles se sont alors lancées dans des actions illégales: casser des bureaux de vote, s’en prendre aux bureaux des partis politiques…”, rappelle l’historienne Sylvie Chaperon, professeure d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse II. Le WSPU prend trois couleurs: le violet, le blanc et le vert. Dans son ouvrage La Psychologie de la couleur, la sociologue allemande Eva Heller cite une des membres de l’organisation, Emmeline Pethick-Lawrence qui explique leur choix: “Le violet en couleur dominante symbolise le sang royal, qui coule dans les veines de chaque femme luttant pour le droit de vote, la conscience de la liberté et de la dignité. Le blanc symbolise l’honorabilité dans la sphère privée et politique; enfin, le vert, l’espoir d’un nouveau commencement.”
“Le choix devait se porter sur des couleurs que toutes les femmes avaient dans leurs armoires et qui n’impliquaient aucune acquisition coûteuse.”
Au-delà de la symbolique de chacune de ces trois couleurs, Eva Heller révèle dans son ouvrage qu’elles ont aussi été choisies pour des raisons très pratiques: “En outre, le choix devait se porter sur des couleurs que toutes les femmes avaient dans leurs armoires et qui n’impliquaient aucune acquisition coûteuse. Enfin, il devait s’agir de couleurs qui renvoyaient à la vie de tous les jours, tout en appartenant sans ambigüité à la sphère féminine.” La sociologue rappelle notamment que chaque Anglaise à l’époque avait dans garde-robe “une jupe violette très prisée au tournant du siècle”.
Loin de se cantonner aux cortèges des manifestations, les couleurs des suffragettes se répandent à bien d’autres occasions. En effet, si les militantes de la WSPU marchent fièrement avec une grande cocarde violet, blanc et vert lors de mobilisations, les suffragettes n’hésitent pas à se vêtir au quotidien “de tailleurs verts agrémentés de liserés ou de galons violets, plumes d’autruche violettes et vertes à leurs chapeaux blancs”, précise Eva Heller avant d’ajouter qu’au “plus fort du mouvement sont aussi commercialisés des chaussures et des gants violets, verts et blancs”. Comme aujourd’hui, la mode n’hésite pas à surfer sur la lutte féministe.
Un mélange de rose et de bleu
Dans les années 1970, le violet féministe brille de nouveau aux côtés du signe du poing levé dans un symbole de Vénus. Il représente alors “le lien entre le masculin et le féminin”, analyse la sociologue Eva Heller. Aujourd’hui, beaucoup de militantes féministes soulignent l’importance de ce mélange de rose et de bleu “qui sont souvent attribués conformément à des notions de genre contre lesquelles nous nous battons. Mélanger ces deux couleurs est un symbole”, note Alyssa Ahrabare, membre du conseil d’administration de l’association française Osez le féminisme. À l’instar de nombreuses organisations féministes récentes, cette dernière a choisi le violet comme code couleur. Autre avantage: il n’est pas marqué politiquement contrairement au rouge communiste ou au noir anarchiste. “Il fallait une couleur pour incarner les valeurs du féminisme”, analyse Alyssa Ahrabare.
“C’est important la couleur comme symbole. C’est un signe de ralliement qui peut être un bel outil lorsque tout le monde arbore une même couleur dans une manifestation.”
Parmi les trois couleurs des suffragettes, la violette est celle qui a le mieux résisté au temps qui passe et s’est le mieux exportée: elle a notamment traversé la Manche et l’océan Atlantique pour déteindre en Europe et en Amérique latine. “C’est important la couleur comme symbole. C’est un signe de ralliement qui peut être un bel outil lorsque tout le monde arbore une même couleur dans une manifestation”, insiste Alyssa Ahrabare. C’est ce qu’a réussi le collectif Nous toutes le 24 novembre 2018. De son côté, le collectif 15h40, qui regroupe 37 associations féministes et syndicats, appelle depuis quelques années déjà à faire la grève le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour demander l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Dans un mail du 4 mars 2019, l’organisation exhortait les femmes à porter un “foulard violet” considéré comme “un symbole international du féminisme”.
Ravivé par l’émergence de nouvelles luttes féministes, le violet permet de créer des ponts entre les pays mais aussi avec le passé. Ainsi, beaucoup de féministes aujourd’hui se réclament de cet héritage des suffragettes: “Nous avons choisi le vert et le violet dans notre logo en hommage aux suffragettes. C’est important de montrer que les femmes ont toujours lutté pour leurs droits et que nous nous inscrivons dans cette transmission”, détaille Ophélie Latil, fondatrice du collectif Georgette Sand. Sur les traces du violet, la couleur verte est en train de réapparaître chez les féministes d’Amérique latine sous l’impulsion du mouvement pour l’avortement légal en Argentine. Membre de Georgette Sand, Valentine Sebile écrit une thèse sur les défenseures des droits humains au Mexique et a travaillé pour Amnesty international au Chili: “Au Nicaragua, au Mexique, le vert s’utilise de plus en plus dans les luttes féministes en soutien aux Argentines. Cela crée une interconnexion des luttes féministes.”
Juliette Marie
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