Loin des campagnes glauques ou victimisantes, la journaliste et militante Eloïse Bouton a décidé de sortir Contre Coups, une compilation pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Pour parler des violences faites aux femmes sans tomber dans le pathos, mieux vaut encore chanter. C’est la conclusion à laquelle est parvenue Eloïse Bouton, journaliste dont quelques brillants papiers ont déjà été relayés dans ces pages, et militante aguerrie de la cause féministe. À 32 ans, cette fine connaisseuse de rap et de métal fut aussi la première Française à rejoindre les rangs des Femen -avant de les quitter début 2014 et d’en tirer un livre.
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Passée aussi par Osez le féminisme, La Barbe ou Ras l’front, Eloïse Bouton milite désormais “sans étiquette”, mais pas complètement solo. La preuve, pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, elle a réuni autour d’elle 12 artistes féminines pour chanter sur ce thème particulièrement délicat. Le résultat, une compilation éclectique où tous les genres et les sensibilités sont représentés, intitulée Contre coups et disponible dès aujourd’hui sur BandCamp contre 10 euros.
Les sommes récoltées, tout comme celles réunies sur la campagne Ulule qui accompagne le projet, seront intégralement reversées à l’Institut en santé génésique de Saint-Germain-en-Laye, un centre d’accueil unique en son genre pour les femmes victimes de violences, marrainé par Florence Foresti. Eloïse Bouton explique la genèse du projet.
Qu’est-ce que l’Institut en santé génésique?
C’est un lieu d’accueil pour les femmes victimes de tout type de violences. Cet endroit polyvalent, cofondé par Frédérique Martz et le chirurgien urologue Pierre Foldès, compte une vingtaine de bénévoles -juristes, assistantes sociales, infirmières, etc… Il y a tout sur place et, pour les femmes excisées, il y a une branche médicale à quinze mètres de là, dans la clinique de Saint-Germain-en-Laye, où Pierre Foldès pratique la chirurgie réparatrice.
Combien d’instituts assurent ce type d’accueil en France?
C’est le seul! En général, tout est clivé, alors qu’eux font le lien entre tous les services. Au lieu que la femme aille d’abord chez l’assistante sociale, puis porter plainte, puis chez le médecin etc., tout est là. C’est transversal. Les femmes avec lesquelles j’ai parlé trouvent toujours très difficile de se déplacer et là au moins, elles n’ont à le faire qu’une seule fois. Tous les intervenants parlent entre eux, connaissent les dossiers.
“J’ai voulu faire quelque chose de positif, montrer que les femmes font des choses et dénoncer ces violences de manière plus constructive.”
Pourquoi as-tu décidé de les aider avec la campagne Contre coups?
Je les connais bien et je sais qu’ils ont besoin d’argent. Ils ne veulent pas avoir de subventions publiques, car c’est un enjeu politique très fort. En ce moment, ils sont complètement débordés, notamment en raison des migrations. Ils accueillent entre autres des réfugiées qui se font violer pendant la migration.
Par qui ces femmes se font-elles violer?
Par d’autres réfugiés, par des passeurs ou par des gens qu’elles croisent sur leur chemin, comme certains habitants des pays qu’elles traversent. Des hommes qui profitent de la vulnérabilité de ces femmes, qui sont parfois déjà dans un état de santé assez précaire.
Pourquoi avoir choisi l’angle de la musique pour sensibiliser à cette cause?
Chaque année, je trouve la journée contre les violences faites aux femmes assez anxiogène. Les campagnes me paraissent soit hyper culpabilisantes pour les hommes, soit hyper victimaires pour les femmes. Je me suis dit que si j’avais de l’argent à donner pour une cause, ça ne me ferait pas envie. J’ai voulu faire quelque chose de positif, montrer que les femmes font des choses et dénoncer ces violences de manière plus constructive. Vu que la musique est le domaine que je connais le mieux, je me suis naturellement dirigée vers ça (Ndlr: Eloïse Bouton a aussi une casquette de musicienne et signe elle-même un titre sur la compilation, sous son alias Eloïse Elle).
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Comment as-tu réuni les artistes présentes sur la compilation?
J’ai lancé un appel sur Facebook avant l’été, auquel plein de femmes que je ne connaissais pas ont répondu positivement. En tout, une trentaine de personnes se sont manifestées à ce moment-là.
Quels étaient les critères pour participer?
Qu’il s’agisse d’une composition originale, et de préférence d’une création destinée à la compilation. C’est génial, car les 12 qui sont allées au bout du truc ont toutes joué le jeu. J’adore me dire que ça les a fait créer, c’est extrêmement positif et quelque part, rien que pour ça, c’est déjà gagné. En plus, par le plus grand des hasards, c’est très éclectique, tous les styles sont représentés: électro, rock, folk, variété, rap, même des choses presque un peu musette. J’étais très émue en recevant les premiers morceaux!
C’est pourtant super risqué comme thème pour composer une chanson, non?
Oui, totalement! Surtout que je connaissais certaines artistes -en lesquelles j’avais totale confiance-, et d’autres pas du tout. Mais bon, jusque-là, je n’ai eu que des bonnes surprises. J’avais super peur de recevoir 50 chansons de meufs qui disent “la violence c’est pas bien” , en mode Les Enfoirés. (Rires.)
D’ailleurs, est-ce que vous allez toutes vous réunir sur scène comme ces derniers?
C’est compliqué, car on est très nombreuses et beaucoup habitent aux quatre coins de la France. Vu que c’est un projet bénévole, je n’ai pas envie de demander aux musiciennes de payer leur billet. Alors on verra si on arrive à dégager un budget pour ça. Qui sait, je me dis que le 8 mars pourrait être une bonne date. (Sourire.)
“On sait qu’en France en 2014, 134 femmes sont mortes suite à des violences.”
Parlons un peu des chiffres qui fâchent: ceux qui concernent les violences faites aux femmes sont-il en augmentation?
On ne sait pas. On sait qu’il y a en France une plainte pour viol toutes les 40 minutes, mais tous les viols ne sont pas signalés: on sait qu’il y a seulement 19% de reports. Il n’y a pas de chiffres transversaux, de statistiques globales qui regroupent toutes les violences faites aux femmes: les violences sexuelles sont séparées de l’excision, des violences conjugales, du harcèlement au travail ou des meurtres au sein du couple. On sait en revanche qu’en France en 2014, 134 femmes sont mortes suite à des violences.
Parmi les artistes qui ont répondu à l’appel, certaines ont-elles déjà été victimes de violences elles-mêmes?
Toutes ne m’en ont pas parlé mais pour certaines, je le soupçonne fortement. Et puis, parmi celles que je connaissais déjà, je sais qu’il y en a, notamment un cas de harcèlement au travail qui a mené à une dépression, ou une autre qui a été battue par son ancien petit ami. En revanche, si toutes n’ont pas été victimes, toutes ont été témoins ou ont une histoire à ce propos. Alors qu’elles sont de milieux sociaux et d’âges très différents.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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