Alors que la Cinémathèque rend hommage au mythe des vampires avec son exposition Vampires, de Dracula à Buffy, on a voulu comprendre pourquoi cette figure effrayait particulièrement au féminin. Décryptage.
Là où le vampire passe, la femme trépasse. C’est du moins ce qui a infusé dans la culture populaire, qui a fait du vampire une figure le plus souvent associée au genre masculin, du bel Edward de Twilight au mythique Dracula, en passant par Tom Cruise et Brad Pitt dans Entretiens avec un vampire. Pourtant, dans l’ombre de tous ces hommes, triomphent aussi des femmes vampires. On pense au personnage de Bella incarné par Kristen Stewart dans Twilight mais aussi aux héroïnes des séries True Blood et Vampire Diaries ou encore à la magnifique Tilda Swinton dans Only Lovers Left Alive. Belles et puissantes, leur réputation est pourtant beaucoup moins séduisante. La vampire fait peur, la vampire questionne.
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Et pourquoi? Tout d’abord parce qu’elle est désirante. “Les dents symbolisent la possession sexuelle, tant chez les femmes que chez les hommes, explique Jacques Finné, critique littéraire, spécialiste de la démonologie et des récits fantastiques. Il y a un renversement de pouvoir quand la femme devient vampire, en accédant à ce rang, elle se virilise.” Non seulement la femme vampire est sexy mais en plus, elle prend les commandes. Quoi de plus effrayant pour un homme qu’une femme qui est maîtresse de ses désirs? Le film érotique Spermula, réalisé par Charles Matton (1976), souligne cette angoisse masculine face au personnage de la vampire: les spermulites, superbes créatures aux formes généreuses et aux pouvoirs surnaturels, se nourrissent de la semence des hommes pour qu’ils ne puissent plus se reproduire. Le message est explicite: ces vampires femmes au pouvoir castrateur vident les hommes de leur substance, elles les dépossèdent littéralement de leur virilité. Se faire assaillir par une vampire, aussi belle soit-elle, est donc avant tout une humiliation.
La vampire, entre vierge et putain
Mais leur indépendance va bien plus loin que ce fantasme de castration. Les vampires femmes n’ont plus besoin des hommes: non seulement elles désirent, elles pénètrent, mais elles affirment également leur liberté sexuelle en s’affranchissant des hommes dans des relations lesbiennes. “Au cinéma, comme en littérature, quasiment toutes les femmes vampires ont un physique de rêve et sont souvent bisexuelles ou lesbiennes”, souligne Jacques Finné en faisant notamment allusion au personnage de Miriam, interprété par Catherine Deneuve en 1983 dans Les Prédateurs, de Whitley Strieber. Déjà dans le roman éponyme de Joseph Sheridan Le Fanu, Carmilla tombait amoureuse de Laura, jeune aristocrate anglaise. Le livre tourne autour la thématique de l’amour interdit et le dénouement est tragique: Carmilla va aspirer toute la substance de vie de la jeune femme dont elle est éprise.
En somme, le danger des vampires femmes vient de la menace qu’elles représentent pour les hommes. Méfiez-vous des femmes trop belles et volontaires, elles vont vous dévorer. Mais avant de devenir vampire, n’oublions pas que, dans la plupart des cas, la jeune femme était une vierge effarouchée et fragile. Cette chute si brutale n’est pas sans nous rappeler celle d’Eve tentée par le serpent aux longs crochets. Plus la jeune fille sera frêle et pâle, plus elle représentera une proie idéale pour le vampire et deviendra à son tour une vampire sexualisée et buveuse de sang. Devenue femme fatale, elle n’en sera pas moins une femme déchue, en marge de la norme. Dans le roman Dracula de Bram Stoker, deux figures féminines s’opposent: Lucy est la vaniteuse, mangeuse d’hommes et Mina la femme courageuse et fidèle à son époux. Des deux, seule Mina s’en sort, sauvée in extremis par sa vertu alors que Lucy devient vampire, dévorée par la luxure.
“Les récits de vampires et de loups garous sont des contes pour enfermer les petites filles à la maison et leur faire peur.”
Ces histoires seraient-elles des leçons de morale pour préserver les jeunes filles du péché? C’est en tout cas l’avis de Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition de la Cinémathèque Vampires, de Dracula à Buffy, qui se réfère à Delphine Seyrig, actrice et vampire principale du film Les Lèvres rouges de Harry Kümel. “Pour l’actrice féministe, accepter ce rôle de vampire a été un dilemme car elle trouvait que les récits de vampires et de loups garous étaient des contes pour enfermer les petites filles à la maison et leur faire peur.” Il y a donc quelque chose de profondément réactionnaire dans ce personnage fantastique puisque devenir vampire est une punition. Les hommes qui réalisent ces films ou racontent ces histoires ne laissent aux femmes que deux choix, malheureusement classiques: la jeune fille pure ou la femme tentatrice.
La puissance du male gaze
Une fois devenue vampire, la femme, soumise à ses pulsions, n’est plus qu’un objet de plaisir, dont le male gaze a achevé de forger une représentation ultra sexualisée. En témoigne l’affiche de l’exposition Vampires, de Dracula à Buffy: une bouche sensuelle et sanguine, laissant entrevoir des canines pointues, montre bien l’ambivalence de cet objet de fantasme.
© La Cinémathèque
Dangereuse, sexy, on ne la perçoit que comme victime ou bourreau, vierge ou femme fatale. Ce regard masculin est non seulement intériorisé par le public mais il l’est aussi par les vampires elles-mêmes.
Car contrairement à leurs pendants masculins, elles ne sont jamais fières de leur transformation, vécue comme une déchéance. Obligées de dormir dans un cercueil, dégoûtées par l’ail, se repaissant de sang frais, “les vampires femelles se détestent” comme le rappelle Jacques Finné: “Après sa transformation, la femme vampire a gagné en puissance et en séduction. Elle a aussi gagné l’immortalité mais à quel prix!” Passer de jeune fille pure à vampire désirante est un déclassement insupportable pour elle et pour la société, et dans de nombreux films, ces femmes interrogent leur part de “vampirité”. Mae, héroïne du film Aux frontières de l’aube de Kathryn Bigelow, cherche par tous les moyens à redevenir humaine. Le personnage d’Elena Gilbert, dans la série Vampires Diaries, après sa métamorphose, éprouve une honte de ses instincts sanguinaires allant jusqu’à une haine de soi et une pulsion d’autodestruction. “Elles ont un rapport complexe à leur part vampire. Elles veulent en sortir, se posent des questions, elles sont de vraies héroïnes modernes, des femmes qui questionnent le rôle qu’on leur assigne et essaient de s’en libérer”, décrypte Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition à la Cinémathèque, qui explore ces questions de genre et de société. Et nous rappelle qu’on ne naît pas vampire, on le devient.
Alice de Brancion
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