Première réalisatrice juive ultra-orthodoxe, Rama Burshtein signe avec Le Cœur a ses raisons un film pudique et romanesque touché par la grâce et auréolé du prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise 2012.
On pensait frôler – l’expérience mystique en rencontrant Rama Burshtein, 46 ans, fidèle depuis 20 ans à un judaïsme ultra-orthodoxe dont elle respecte les préceptes à la lettre. Pourtant, si cette religieuse réalisatrice (et pas l’inverse, elle insiste) malmène nos convictions profondes – elle est, entre autres, convaincue de la supériorité de la femme mère sur celle de la femme artiste, juste ciel ! -, c’est face à une personnalité joviale et terre-à-terre, adepte de l’interlude café/cigarette entre deux interviews, que l’on se retrouve installée cet après-midi d’avril dans un accueillant canapé club. Robe longue et foulard assortis, Rama Burshtein vient défendre son premier long-métrage, Le Cœur a ses raisons. Inspiré d’une histoire vraie, il suit le combat intérieur de la jeune Shira (Hadas Yaron), 18 ans, incitée à épouser son beau-frère suite au décès de sa sœur aînée. Au-delà de l’ambiance confinée de la communauté hassidique de Tel-Aviv, dont il offre une occasion rare d’observer les coutumes, le film témoigne de la difficulté à trouver sa propre vérité sous la pression sociale.
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Pourquoi avoir attendu si longtemps pour réaliser votre premier long-métrage?
Je suis devenue religieuse quelques mois après avoir terminé mes études de cinéma, il y a vingt ans. J’ai vécu cette expérience de façon tellement intense qu’artistiquement, je n’avais plus rien à dire. Et puis j’ai eu quatre enfants: les mettre au monde et les éduquer m’a pris du temps.
Vous avez dit “élever des enfants est plus compliqué que de réaliser un film”…
C’est vrai. Faire un film, c’est des vacances. Vous rencontrez des gens qui apprécient votre travail, on vous déroule le tapis rouge. Il est plus facile de sortir de chez soi dans ces conditions que d’être à la maison, de préparer le repas pour toute une fratrie et d’apprendre aux enfants la politesse.
Par le passé, vous avez réalisé dans votre communauté des films uniquement destinés aux femmes. Pourquoi?
C’est ainsi que ça se passe chez nous. Seules les femmes font des choses. Les hommes ne “font” pas. On n’a même pas à les combattre, puisqu’ils sont absents du débat. Toute l’industrie de l’art est régie par les femmes. C’est très différent du monde extérieur. Tout y est fait par des femmes, pour des femmes.
“J’ai rencontré beaucoup de filles qui avaient vécu des mariages arrangés et mon scénario représente la somme de ces recherches.”
Le scénario du Cœur a ses raisons est basé sur une histoire vraie. Jusqu’à quel point vous en êtes-vous inspirée?
J’ai effectivement rencontré quelqu’un qui avait épousé son beau-frère suite au décès de sa sœur. Mais en fait, le film ne raconte pas seulement son histoire. J’ai rencontré beaucoup de filles qui avaient vécu des mariages arrangés et mon scénario représente la somme de ces recherches. Cependant, dans ma communauté, le mariage arrangé n’est pas la règle. Ça arrive, mais ce n’est pas si fréquent.
Il y a dans votre film deux femmes qui ne sont pas mariées: l’une est au bord du désespoir et l’autre est manchotte. Manière de signifier que le célibat est un réel handicap dans votre communauté?
Et dans la vôtre, n’est-ce pas un handicap de ne pas trouver l’amour? Il me semble que si, et chez nous, c’est pareil. Sauf que pour nous, l’amour va de pair avec le mariage. Si vous êtes célibataire à l’âge où tout votre entourage est en couple et se met à fonder une famille, vous êtes dans une position d’outsider. Sauf que, dans votre communauté, vous avez les moyens de vous sentir un peu mieux: vous pouvez par exemple passer une nuit avec quelqu’un. Chez nous, il faut faire face. Soit vous avez la totale, soit vous n’avez rien.
Hadas Yaron a reçu le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour le rôle de Shira. Comment l’avez-vous choisie?
Réunir le casting m’a pris une année complète. Non pas que les gens manquaient de talent, mais je ne savais pas exactement ce que je voulais. Puis, un jour, elle est entrée dans la pièce. À la minute où elle a commencé l’audition, je me suis mise à pleurer, car j’ai su que je l’avais trouvée. Elle n’est pas religieuse et vit dans le Tel-Aviv laïc, mais il y a quelque chose de très naïf en elle, jusque dans les expressions de son visage. Elle ne porte pas de masque.
Vous avez dû respecter certaines règles pour réaliser votre film: votre scénario devait être validé par votre mari, vous ne pouviez pas rester seule avec un homme en salle de montage. Comment l’artiste que vous êtes réagit-elle à ces contraintes ?
Pour moi, ces règles ne sont pas un frein, au contraire: elles me donnent des ailes. La passion, c’est le manque, ça découle de la privation. Ces contraintes font à mon avis toute la force du film. Si j’avais essayé de les contourner, j’aurais perdu cette puissance.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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