Dans son premier documentaire, Blank City, la Française Céline Danhier ressuscite le cinéma underground new-yorkais de la fin des années 70. Une ode à la mixité et à la liberté sur fond de films fabriqués avec des bouts de ficelle.
Jim Jarmusch, Debbie Harry ou Thurston Moore: on croise beaucoup de visages familiers dans Blank City. Ce documentaire, réalisé par la Française Céline Danhier, retrace l’épopée du cinéma underground new-yorkais à la fin des années 70 et au début des années 80. A cette époque, de nombreux artistes et cinéastes en devenir réalisent des films avec les moyens du bord et convertissent les squats du Lower East Side en studios de fortune. Pendant cinématographique de la no wave en musique, ce mouvement donne naissance à des œuvres singulières et parfois trash, pour la plupart introuvables aujourd’hui, mais dont l’influence sur le cinéma indépendant américain continuera de se faire ressentir des décennies plus tard. Céline Danhier nous raconte la genèse du projet.
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Que faisais-tu avant de réaliser Blank City?
Du droit. J’avais terminé mes études et je travaillais aux Enragés, une société de production, avec le réalisateur Pierre Vinour et la productrice Aurélie Bordier.
Comment as-tu eu l’idée du film?
J’ai toujours été passionnée par New York et le cinéma. J’étais familière du cinéma indépendant américain: Jim Jarmusch, John Cassavetes, Susan Seidelman et j’ai commencé à découvrir les films du mouvement no wave et à les rechercher frénétiquement… En vain! C’était quasiment mission impossible. Je me suis ainsi installée à New York pour débuter Blank City et découvrir ou redécouvrir les films d’Eric Mitchell, James Nares, Amos Poe, Sara Driver, Beth et Scott B, etc..
Debbie Harry © Rapid Eye Movies
Comment s’est déroulé le visionnage des films et la récupération des extraits?
Le travail d’archive a été long et parfois laborieux. Retrouver des films oubliés, voire même perdus, c’était un véritable travail de détective! J’ai ainsi mis la main sur Minus Zero de Michael Oblowitz. Lors de son interview, Michael évoquait ce premier film sans savoir où était le master. J’ai fini par le dénicher au British Film Institute (BFI). Autre histoire: suite à une fuite dans l’entrepôt où étaient conservés les négatifs de Sara Driver, il ne lui restait qu’une copie très endommagée de son film You Are Not I, avec Suzanne Fletcher, Nan Goldin et Luc Sante. Finalement, le print original a été retrouvé il y a trois ans au Maroc!
De Jim Jarmusch à Thurston Moore en passant par Debbie Harry, il y a du beau monde dans ton film. Les intervenants étaient-ils faciles à atteindre?
J’ai eu beaucoup de chance, car tout le monde s’est montré particulièrement coopératif avec moi et après chaque interview, je recevais le contact d’une autre personne. James Nares, par exemple, m’a recommandée auprès de Jim Jarmusch. J’ai été très persistante avec John Lurie et j’ai retrouvé Lung Leg à Minneapolis grâce à Richard Kern!
DR
Certaines personnes ont-elles refusé de participer?
Oui, mais je considère un “non” comme un “peut-être”. Eric Mitchell était réticent au départ, et j’ai vraiment dû le harceler et le prendre au dépourvu pour qu’il accepte. Ça m’a pris deux ans de communication non-stop, mais il m’était inconcevable de me passer de lui. Ses films, comme Underground USA et The Way It Is, sont inspirants, singuliers et visuellement très réussis. A part ça, je regrette de ne pas avoir interviewé Tina L’Hotsky. Elle avait accepté une interview à Los Angeles mais est décédée avant que je la rencontre.
Dans ton film, on est positivement frappé par la parité, la présence active des femmes au sein de cette scène. Comment tu expliques ça?
C’était une période de collaboration et de mixité. Sara Driver, Bette Gordon, Kembra Pfahler, Becky Johnston, Lizzie Borden, Vivienne Dick, Maripol, Tina L’Hotsky, Lydia Lunch, Pat Place, et même Kathryn Bigelow en faisaient partie. La scène était peuplée de femmes cinéastes, écrivaines, musiciennes, peintres… Il n’y avait pas de règles pré-écrites, c’était essentiellement expérimental, une période aventureuse.
DR
Un tel mouvement pourrait-il exister aujourd’hui? Y a-t-il des équivalents?
Il y a le mumblecore actuellement avec Bujalski ou Ry Russo Young, c’est la nouvelle génération du mouvement DIY. Blank City montre un monde pré-Internet, où il fallait être à un endroit précis pour pouvoir réaliser son art. Maintenant, pas besoin d’être à un endroit en particulier pour faire ce que l’on souhaite, nous pouvons le faire partout.
Comment les Américains réagissent au fait que ce soit une Française qui s’intéresse à ce pan de leur culture?
Inconsciemment, j’ai réalisé Blank City avec la même attitude DIY et je crois que ça les inspire! Le film a été très bien accueilli aux États-Unis, c’est formidable car le faire exister a été compliqué.
Quels sont tes prochains projets? Vas-tu continuer dans le documentaire?
J’aime beaucoup le documentaire et il y a tant de sujets a explorer. Je travaille actuellement sur trois autres projets, toujours aux États-Unis, dont deux documentaires et un autre mêlant fiction et réalité. Bientôt en salles, j’espère!
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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