Sous le nom d’emprunt de U.S. Girls, l’Américaine installée au Canada Meghan Remy produit une pop aussi inspirée qu’engagée. À l’occasion de la sortie de son nouvel album, Half Free, nous l’avons rencontrée.
U.S. Girls n’est pas seulement la révélation musicale de cette rentrée: c’est aussi une excellente nouvelle pour la pop, la preuve que ce monstre tout puissant sait encore créer de la bizarrerie et du fond. La musique de Meghan Remy, la singulière Américaine qui se cache derrière ce nom d’emprunt au pluriel, ne ressemble à rien de ce que vous avez déjà entendu. Ses chansons épousent un format bien connu -couplet/refrain, trois ou quatre minutes-, mais explosent pas mal de conventions, notamment par leurs thèmes, comme par exemple les règles, mais aussi parce qu’elles sont portées par une voix unique, très drama queen, qui les imprègne d’une émotion particulière. C’est un perpétuel numéro d’équilibriste entre l’étrange et l’évident, un aller-retour permanent entre un mainstream perverti et un underground pailleté, entre un passé sublimé et un présent anxiogène. C’est aussi un projet musical assorti d’une conscience féministe sans contradictions: sur ce point, Meghan Remy adopte une posture claire, précise et réfléchie, qui tranche avec la légèreté -la vacuité?- du “pop féminisme” actuel.
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Née en 1985 près de Chicago, Meghan Remy a construit son identité “par opposition”. Élevée dans une famille de Républicains, c’est en déménageant à l’autre bout du pays que la jeune femme s’est émancipée: “Après le lycée, je suis partie aussi loin que je pouvais, à Portland, pour faire une école d’art. Et là, ça été le début de la fin. (Rires.) Me retrouver toute seule et rencontrer des gens, découvrir des photographes, des réalisateurs, la politique, apprendre la vraie histoire des États-Unis… Ça m’a ouvert les yeux”, nous raconte-t-elle un matin dans un salon de sa maison de disques parisienne. C’est là-bas, dans cette ville progressiste, bastion du féminisme, que Meghan Remy a démarré le projet U.S. Girls, qui existe depuis plus de dix ans et compte déjà plusieurs disques à son actif.
“Le féminisme est le seul moyen de continuer à faire tourner le monde.”
Dans le parcours de Meghan Remy, musique et féminisme ont toujours été intimement liés. Seule artiste de sa famille, elle s’est choisi des grandes sœurs sur mesure dans les années 90: les Riot Grrrls. Ce sont ces dernières qui lui ont donné envie d’être dans un groupe. “Avant elles, je n’avais pas conscience que je méritais d’être bien traitée, que j’avais le choix, que je pouvais dire non”, se souvient-elle. Adolescente torturée, attirée par la mort et aux avant-bras scarifiés, elle a trouvé dans l’exemple de ces groupes de filles qui jouaient fort et militaient pour les femmes une possibilité de vie. Et si elle a quitté Portland depuis plusieurs années -elle réside désormais au Canada avec le musicien Slim Twig, son mari-, elle a gardé intacte sa fibre militante: “Le féminisme est le seul moyen de continuer à faire tourner le monde. Car c’est l’égalité pour tous, ce n’est pas juste à propos des femmes. Je ressors cette citation de Yoko Ono dans toutes mes interviews: ‘La femme est le nègre du monde’ (Ndlr: ‘Woman is the nigger of the world’ en VO). C’est tellement vrai. Quand les noirs sont persécutés, qui est en plus mauvaise posture? Les femmes noires. Dans toutes les cultures, les ethnies, c’est toujours la femme qui subit le plus. Si ce n’était pas comme ça, ça changerait beaucoup de choses: le racisme, les problèmes inter-religieux, etc…”.
Trouve-t-elle pour autant la vague de “pop féminisme” actuelle constructive? Pas vraiment… À l’heure où les pop stars américaines -de Beyoncé à Miley Cyrus, en passant par Nicki Minaj ou Taylor Swift-, affichent leur féminisme en étendard, Megan Remy craint une récupération.“À chaque fois que le mot ‘féminisme’ est prononcé, je trouve que c’est une bonne chose, mais je pense que ça va très vite être récupéré et vendu aux filles chez Urban Outfitters”, déplore-t-elle. Selon elle, le culte de l’apparence reste l’ennemi juré de l’émancipation féminine et les réseaux sociaux, un terrain d’oppression idéal. “Je ne pourrais pas m’imaginer être une ado de quinze ans de nos jours, avec Facebook, Twitter, les smartphones et toute cette pression sur la mode, le sexe… Les filles ont pour modèle une Rihanna très sexuée qui dit ‘Bitch Better Have My Money’, mais je pense qu’en réalité, beaucoup de femmes n’arrivent pas à avoir d’orgasme, ne sont pas assez à l’aise pendant le sexe pour se laisser aller… C’est pourtant là que se joue la vraie libération sexuelle, pas en montrant ses seins ou en disant ‘bitch’”.
“Nous vendre des images de femmes sans défauts, c’est un problème.”
Dans le même ordre d’idée, elle dit trouver “problématique” les nouvelles techniques de maquillage adoptées par les chanteuses précitées, comme le contouring -qui redessine les traits du visage-, mais surtout l’airbrush -qui dissimule les pores et le grain de peau. “Ok pour le maquillage, j’aime ça, j’aime le style, le glamour, tout ça est très amusant. Mais nous vendre des images de femmes sans défauts, c’est un problème. Ces filles devraient dire non à ça. Beyoncé n’a pas besoin d’être airbrushée, elle est sublime. Pareil pour Miley Cyrus, elle est belle comme un bouton de rose; quel mal y a-t-il à avoir des pores? Sur les photos où elle pose topless, elle est maquillée à l’airbrush. Donc elle est féministe en dessous du cou, mais au-dessus, c’est du bullshit capitaliste”, estime Meghan Remy.
Au-delà du féminisme, Meghan Remy aime à dénoncer le capitalisme qui régit le monde du spectacle. Elle grimace en repensant à son dernier concert parisien en date, donné au Silencio, un endroit où, dit-elle, elle n’avait même pas de quoi se payer un verre. Après des années passées dans l’indépendance la plus totale, elle a rejoint cette année 4AD, un label réputé aussi bien pour son excellence que pour la liberté totale qu’il laisse à ses artistes. Si cette nouvelle écurie devrait permettre à l’artiste de s’épanouir au sein d’une structure plus solide, elle lui donnera aussi l’occasion d’atteindre davantage d’auditeurs. Mais point trop n’en faut: Meghan Remy abhorre aussi la notion de célébrité. “La célébrité est un problème car il y a une ligne qui divise les gens célèbres des autres. C’est un moyen de garder les gens en bas. Le capitalisme se nourrit de ça”, assène-t-elle. Piédestal ou pas, on a trouvé notre nouvelle idole.
Faustine Kopiejwski
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