Les Bordelaises Berthille Moreau-Printemps et Cathy Médar ont monté Toutes à l’Abri, une association qui a pour projet d’offrir un accueil de jour aux femmes SDF de leur ville.
“À Bordeaux, comme dans beaucoup d’autres villes, répondre à ses besoins fondamentaux, comme se nourrir ou se doucher, est très difficile pour une femme en situation de précarité.” C’est en partant de ce constat que Berthille Moreau-Printemps et Cathy Médar, deux Bordelaises de 23 et 33 ans ont décidé de monter l’association Toutes à l’Abri. D’ici septembre, elles comptent proposer aux femmes SDF un accueil de jour dans un foyer qu’elles projettent d’appeler “l’Abri”. Pensé comme un espace dans lequel “elles se sentiront en sécurité”, le lieu devrait aider les femmes sans-abri à “changer le regard culpabilisant de la société ainsi que leur regard sur elles-mêmes et rétablir leur citoyenneté en leur donnant une place dans un collectif”. L’association leur proposera donc un nécessaire d’hygiène contenant des protections périodiques, un accès à une cuisine ainsi qu’à des sanitaires, et leur offrira une aide administrative. Divers ateliers devraient également voir le jour.
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L’idée du projet est venue à Berthille Moreau-Printemps et Cathy Médar en février dernier alors qu’elles discutaient de la situation des femmes dans la rue. “On s’est demandé quelles solutions existaient pour leur permettre d’avoir accès aux biens de première nécessité ou faire face aux violences sexistes, explique Berthille Moreau-Printemps. Finalement, on a découvert qu’il n’y en avait pas ou très peu.” Toutes deux féministes, elles décident de s’inspirer de l’association Femmes SDF de Grenoble, qui propose également un accueil de jour non mixte, et de partir à la rencontre des femmes SDF de leur ville pour en apprendre d’avantage sur leurs besoins.
Les sans-abri interrogées décrivent avec amertume leurs séjours en foyers, ces lieux d’aide qui peuvent se transformer en espace d’insécurité. L’une d’elles revient ainsi sur les douches communes, utilisées par “40 hommes à la fois contre 2 ou 3 filles”, et décrit son impression d’avoir été “un bout de viande” à leurs yeux. Nous avons posé quelques questions à Berthille Moreau-Printemps, l’une des fondatrices de cette association au projet inspirant et ambitieux, que vous pouvez soutenir ici.
Quels problèmes spécifiques rencontrent les femmes à la rue?
On trouve dans la rue les mêmes violences de genre que chez les personnes qui ne sont pas SDF, mais avec moins de limites: moins de personnes ou d’institutions pour “surveiller” et contenir ces dérives. Le monde de la rue est un espace complètement à part, très difficile à réguler, avec ses propres codes et ses propres règles. Le corps des femmes y est souvent marchandé et la consommation de drogue et d’alcool par certain·e·s sans-abri n’aide pas à améliorer la situation.
“Deux solutions s’offrent à elles: être protégées par des hommes -et donc manquer totalement d’indépendance- ou être invisibles.”
Il me semble important de préciser que les hommes à la rue ne sont pas les seuls responsables des agressions de femmes SDF. L’une de celles que nous avons interviewées a ainsi évoqué ces “hommes en costume, qui sortent du travail” et la traitent “comme un sac plastique qu’ils peuvent prendre, utiliser comme ils le souhaitent et jeter”.
Quelles solutions imaginent les femmes SDF pour se protéger?
Deux solutions s’offrent à elles: être protégées par des hommes -et donc manquer totalement d’indépendance- ou être invisibles. On estime que les femmes représentent 40% de la population de SDF, mais ce n’est pas ce que l’on constate dans l’espace public. On a l’impression qu’elles sont très minoritaires parce qu’elles se cachent, passent leurs journées dans les gares, les transports ou s’habillent comme Madame tout le monde pour ne pas se faire remarquer et risquer de se faire maltraiter.
Que trouveront ces femmes à l’Abri, le refuge que vous prévoyez d’ouvrir?
Nous proposons un espace dont elles peuvent faire ce que bon leur semble. L’Abri, c’est un accueil de jour qui leur permet d’être en sécurité, d’échanger, de se reposer si elles le souhaitent,… Notre objectif est d’adopter un comportement bienveillant et de leur laisser le temps de dire et de faire les choses, qu’il s’agisse de prendre une douche, de laver leurs vêtements ou de préparer à manger. Le tout dans une logique de sociabilisation dont elles sont en général exclues.
“L’Abri leur permettra de retrouver un peu d’indépendance.”
Une psychologue sera à leur disposition. Elles pourront également suivre des cours de danse, qui peuvent être vécus comme un moyen de se réapproprier leur corps. Des professionnels de la beauté seront à leur disposition pour les coiffer, ou les masser, parce que les femmes SDF abandonnent souvent leur “féminité” dans la rue, pour ne pas se faire remarquer. Rien n’est obligatoire évidement et nous savons que le terme “féminité” est très vague, mais nous espérons qu’elles pourront y trouver un moyen de retrouver leur dignité.
Dans votre communication, vous insistez sur l’idée de responsabilisation. Pourquoi?
Nous nous sommes aperçues que la responsabilisation était ce dont manquaient beaucoup de foyers destinés aux SDF. Le repas est préparé pour eux, tout est calculé pour aller le plus rapidement possible, sans avoir à ce qu’ils et elles ne réfléchissent. Les sans-abri sont bousculé·e·s, se font hurler dessus, doivent se dépêcher pour ce qui est du déjeuner ou de la douche. Nous sommes bien évidement conscientes que les grosses associations doivent gérer des problèmes de place et de temps que nous ne rencontrons pas à notre échelle, mais une telle organisation infantilise celles et ceux qui se tournent vers les foyers. L’Abri leur permettra de retrouver un peu d’indépendance, parce qu’elles pourront cuisiner, gérer leur temps pour se doucher, faire leurs lessives ou manger.
Propos recueillis par Margot Cherrid
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