En plein tourbillon pré-César et post-Oscars, ce documentaire qui donne la parole aux poids lourds féminins d’Hollywood est une démonstration implacable que le sexisme continue d’isoler les femmes dans l’industrie du cinéma. À voir sans faute.
Voilà un film qui fera date et on le doit à la comédienne Geena Davis qui travaille sans relâche depuis 15 ans sur le sexisme dans le cinéma. La protagoniste du film culte Thelma et Louise a en effet créé le Geena Davis Institute en 2004 pour combattre l’absence de parité dans cette industrie. Lasse d’entendre qu’Hollywood avait changé et que les femmes avaient conquis l’égalité, elle a décidé de collecter de la donnée afin de prouver par les chiffres qu’il n’en était rien. Mission accomplie: ses résultats sont implacables, et ils ont même conduit la chaîne américaine FX à revoir de fond en comble sa politique de recrutement en direction des minorités. Le début d’une révolution, enfin? On a envie d’y croire et on vous donne trois bonnes raisons de foncer en salles vous laisser convaincre aussi.
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De Reese Witherspoon à Sharon Stone: le tout Hollywood témoigne
Jessica Chastain, Natalie Portman, Meryl Streep, Lena Dunham, Chloé Moretz, Shonda Rimes, Ellen Pompeo, Cate Blanchett… et tant d’autres. L’équipe de Geena Davis a obtenu face caméra des témoignages de comédiennes “A-List” inédits, qui doivent sans doute beaucoup à l’effet #MeToo. Cela fait des décennies que les femmes attendant ce moment, mais l’onde de choc qui traverse le cinéma depuis deux ans achève de les convaincre qu’elles doivent parler et qu’elles doivent être nombreuses à le faire. À l’instar de Sharon Stone qui raconte qu’un réalisateur a voulu qu’elle s’assoie sur ses genoux pendant tout un tournage, Reese Witherspoon qui se souvient de ses débuts sur un plateau exclusivement masculin, ou encore Natalie Portman qui lance “J’ai travaillé avec deux réalisatrices et l’une d’elles, c’est moi”: l’effet d’empilement de toutes leurs anecdotes est efficace. Ces femmes sont actrices, scénaristes, réalisatrices, productrices, elles ont tous les âges et toutes les origines ethniques et elles se heurtent quotidiennement aux mêmes difficultés. Et le pire, c’est qu’on leur assène régulièrement que le problème du sexisme est réglé.
Non, le monde n’a pas (encore) changé
C’est pour ne plus entendre que tout allait bien dans le meilleur des mondes que Geena Davis a décidé de collecter des données depuis quinze ans. À force d’observer des personnes influentes convaincues qu’il n’y avait aucun problème d’égalité dans l’industrie du cinéma, elle a voulu leur mettre cette évidence -que c’était faux- sous le nez. Son postulat: quand une petite fille ne se reconnaît pas à l’écran, elle ne développe pas les mêmes ambitions que les petits garçons pour sa vie d’adulte. 80% des films mondiaux étant produits aux Etats-Unis, le modèle de masculinité blanche, qui y est omniprésent, écarte de facto des représentations une bonne partie de notre planète. Comme le dit très bien Catherine Hardwicke, la réalisatrice de Twilight: “Les gars deviennent écrivains, astronautes, et les femmes deviennent la petite amie qui se fait larguer.” La scénariste Chris Nee rappelle d’ailleurs que “nous avons tou·te·s grandi en pensant que c’était normal qu’il y ait des séries sans personnage féminin”. Si les décisionnaires ne sont pas conscients de cette absence, rien ne peut bouger. Meryl Streep enfonce le clou dans ce sens: “Quand une moitié de cinéastes et scénaristes seront admises, notre vie culturelle changera. Rien ne bougera tant que ce n’est pas le cas.” Geena Davis elle-même est interviewée et admet être très sceptique quand elle entend que la révolution arrive. Forcément, elle l’entend depuis le carton de Thelma et Louise en 1991… qui n’a strictement rien fait bouger. “Quand la presse annonce que tout va changer, je suis un peu sceptique. La Reine des neiges, Les Figures de l’Ombre… Ça a généré tellement d’argent. Et rien.” Avec quinze ans de données à son actif, et désormais ce film choc, elle va peut-être enfin réussir à renverser la vapeur.
La diversité, c’est bon pour le business
Au cas où l’on en doutait, le Geena Davis Institute a produit quantité de chiffres montrant que la diversité était avant tout synonyme de rentabilité. En 2017, les films faits par les femmes ont rapporté 38,1% plus d’argent. Sans compter qu’à travers l’histoire, nombre d’entre eux ont été des succès surprise dont les recettes ont été nettement supérieures à la mise de départ. C’est le cas de Boy’s Don’t Cry, premier film de Kimberley Pierce, qui confie à quel point elle a galéré pour monter son deuxième long métrage, malgré les deux Oscars que le premier lui avait assurés. C’est aussi le cas de Daughters of the Dust, qui proposait une histoire afro-américaine sortant des clichés du ghetto et qui n’a été distribué que dans 13 salles à sa sortie. Comme sa réalisatrice Julie Dash, les actrices asiatiques, noires et latinas qui témoignent dans Tout peut changer racontent à quel point il est encore difficile de voir des personnages de femmes racisées qui ne soient pas caricaturaux. Mais les lignes commencent à bouger grâce à des personnalités comme Shonda Rhimes et son Grey’s Anatomy, qui, en 2005, a choqué par son épisode pilote montrant une femme médecin en pleine gueule de bois après un coup d’un soir. Surtout, Grey’s Anatomy a imposé un casting estampillé diversité, ce qui était encore avant-gardiste dans les années 2000.
Tout peut changer revient également sur la longue bataille juridique engagée par la Directors Guild of America (DGA) en 1983 pour faire reconnaître l’inégalité systémique sexiste qui règne à Hollywood; ce n’est qu’en 2015, après de multiples démarches engagées par les femmes de l’industrie, que cette bataille juridique a abouti sur la reconnaissance d’une discrimination, condamnable par des sanctions. Désespérant. Toutefois, un exemple sort du lot et prouve que tout le monde peut changer: celui de la chaîne FX, dont le patron John Landgraf raconte à l’écran comment il a pris conscience des injustices qui structuraient Hollywood. Il se définit lui même comme un homme blanc hétéro qui n’ a eu “que des avantages sans mérite”, et il explique comment il a imposé que son entreprise embauche des auteur·e·s de tous horizons pour que leurs contenus soient à l’image de la société: paritaire et divers. C’est désormais le cas, et les excellentes performances de sa chaîne achèvent de démontrer que le boy’s club, c’est tellement XXème siècle. Alors, tout va enfin changer? Pour commencer à y croire, il ne reste plus qu’à filer voir ce film au cinéma.
Myriam Levain
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