L’hymne de notre génération?
Work Bitch de Britney Spears, car elle dit qu’aujourd’hui, il faut se défoncer pour obtenir quelque chose.
Le film emblématique de notre génération?
Ce serait plutôt deux séries que j’ai vues récemment: Girls et Love. Elles sont très représentatives de notre époque: elles montrent la précarité financière et affective de notre génération et son individualisme assez poussé.
L’événement le plus marquant de notre génération?
S’il n’y en avait qu’un seul, ce serait bien. Mais pour moi, il y en a trois: le 11 septembre, les attentats de Charlie Hebdo et le 13 novembre. Symboliquement et personnellement, ce dernier événement a vraiment touché des gens de notre génération.
Qu’est-ce que notre génération a inventé de plus drôle?
J’hésite entre Tinder, où l’on peut commander l’amour comme une pizza -enfin, l’amour, c’est une jolie façon de le dire-, et les émoticônes, qui sont très représentatifs de notre génération: on utilise une image pour remplacer un mot ou une émotion.
La malédiction de notre génération?
Le fait qu’on galère professionnellement. Mon père m’a souvent dit qu’en sortant de l’école, les gens de sa génération n’avaient qu’à se pencher pour trouver un travail; pour nous, c’est de la science-fiction! Aujourd’hui, avant même de commencer ses études, on sait que ça va être difficile, et qu’on ne va pas forcément faire le métier qu’on a envie de faire. C’est un peu chaotique.
La féminité vue par notre génération, ça donne quoi?
Quand j’étais plus jeune, j’ai l’impression que la féminité était associée à une fille qui s’habille d’une certaine façon, avec des jupes et des talons. Une fille un peu taiseuse, discrète. Aujourd’hui, les figures féminines fortes, ce sont les filles qui jouent avec ces codes d’image et de sexualité. Je pense notamment à Cara Delevingne qui fait des grimaces et affiche sa bisexualité, Kristen Stewart, qui joue un peu avec les mêmes codes, quelqu’un comme Tavi Gevinson qui était entrepreneure à 14 ans, ou Ellen Page qui est sortie du placard à Hollywood. Pour moi, aujourd’hui, la féminité est devenue synonyme de force de caractère.
Quelle place l’image occupe-t-elle au sein de notre génération?
Une très grande place. Notamment par le biais des réseaux sociaux: on travaille notre image comme jamais, on communique sur nous-même d’une façon inédite, on scrute aussi beaucoup l’image des autres.
Et le dessin en particulier?
Il me semble que sa place a changé depuis les événements de Charlie Hebdo. C’est comme s’il était devenu plus symbolique, plus engagé qu’avant, et plus respecté aussi.
Quelle place l’humour occupe-t-il au sein de notre génération?
Une place indispensable. Vu que notre génération est en difficulté, qu’elle est confrontée à la précarité et à des événements un peu violents, j’ai l’impression qu’on développe une sorte de cynisme, un humour assez fort avec des figures comme Aziz Ansari ou Amy Schumer, que j’adore et qui s’amusent beaucoup de notre génération et de ses défauts.
Si tu devais dessiner un personnage qui représente notre génération, il serait comment?
Ce serait un personnage un peu “mou”, avec les épaules tombantes, pas très musclé. Ce personnage aurait en permanence un téléphone à deux millimètres du visage.
Quels sont les défis que doit relever notre génération?
Aujourd’hui, il faut être super compétitif, super combattif, beaucoup plus qu’avant. Ça m’évoque vraiment la série des Hunger Games.
Et ceux qu’elle a déjà relevés?
Avant, c’était le graal d’avoir un CDI. Maintenant, j’ai l’impression qu’on commence à se rendre compte que ce n’est pas le cas, qu’il faut essayer de s’affranchir du milieu de l’entreprise, monter son propre truc. Il y a de plus en plus de freelances, d’indépendants ou de gens qui montent leur start-up; on a enfin compris que la sécurité de l’emploi n’était pas ce qu’on croyait.
À quel moment te sens-tu en phase avec ta génération?
Depuis que je suis freelance, justement. La liberté, l’indépendance, l’autonomie que cela offre, tout ça symbolise bien notre génération.
Les moments où tu te sens d’un autre siècle?
Je vois des gens terrorisés à l’idée d’être tous seuls et qui, du coup, se précipitent sur n’importe quel site de rencontres pour trouver l’amour à tout prix. Moi, je suis un peu old school: je préfère être seule que mal accompagnée, je préfère rencontrer des gens dans la vraie vie. Cette espèce de consommation de l’amour n’a aucun sens pour moi.
Propos recueillis par Julia Tissier