La pièce Hors la loi de Pauline Bureau, met en scène à la Comédie Française l’histoire de l’ado Marie-Claire Chevalier, jugée pour avoir avorté en 1971 alors que c’était encore illégal en France. Trois bonnes raisons de prendre sa place avant le 7 juillet.
C’était il y a à peine 50 ans et pourtant, en France, en 1972, une adolescente de 16 ans encourait la prison pour avoir refusé de poursuivre une grossesse issue d’un viol et pratiqué un avortement clandestin. Le procès de Marie-Claire Chevalier, rebaptisé par la presse “l’affaire Marie-Claire” et entré dans l’histoire comme le Procès de Bobigny, est devenu en 1972 le symbole de la lutte pour la légalisation de l’IVG, menée par l’avocate Gisèle Halimi et soutenue par des personnalités féministes comme Simone de Beauvoir et Delphine Seyrig, ou encore par des politiques comme Michel Rocard. Trois ans plus tard, et en partie grâce à ce procès médiatique, Simone Veil fera voter la célèbre loi qui porte son nom, et les femmes françaises découvriront une liberté nouvelle, celle de pouvoir interrompre une grossesse non désirée. Alors que le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en question dans le monde, la pièce de théâtre Hors la loi, jouée actuellement au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie Française, rend hommage à ces femmes anonymes et célèbres, qui se sont engagées pour que le choix de donner la vie, ou non, leur revienne. Pourquoi il ne faut pas manquer ça.
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Parce que c’est une plongée dans les bouillonnantes années 70
Le hula hoop de la scène d’ouverture, le 33 tours de Johnny Hallyday, la table de cuisine en formica: tout est là, dans la mise en scène minimaliste mais très réussie de Pauline Bureau, qui nous fait passer de l’appartement simple des Chevalier au bureau de Gisèle Halimi puis au tribunal de Bobigny. Alors que la jeune “avortée” -comme on la présente alors- est en jupe plissée d’écolière, le personnage de Gisèle Halimi est en jean et les militantes de son groupe Choisir portent cheveux ultra longs, pattes d’eph et fument, rappelant les évolutions rapides de la société d’alors, auxquelles les policiers n’échappent pas, leur look n’ayant rien à envier à celui des activistes en matière de coupes de cheveux. Des écrans projettent régulièrement des images d’archives des manifestations féministes de l’époque, soulignant à quel point la mobilisation fut massive, aussi bien dans la rue que dans la presse: le Manifeste des 343, que Gisèle Halimi avait elle-même signé la même année, est largement évoqué.
© Brigitte Enguerand, coll CF
Parce que la petite histoire nous raconte la grande
Le procès de Marie-Claire Chevalier, violée par un camarade de lycée alors qu’elle n’avait que 15 ans, est celui de toutes les femmes qui, à travers les âges, ont dû avorter dans la clandestinité, dans des conditions plus ou moins pénibles en fonction de leur classe sociale. Le personnage de Gisèle Halimi revient dans sa plaidoirie sur l’injustice qui règne au début des années 70: les plus aisées vont pratiquer leur IVG dans les pays voisins qui l’autorisent et les plus célèbres ne sont jamais inquiétées. Seules les anonymes pauvres comme Marie-Claire Chevalier et sa famille sont poursuivies par la justice, ajoutant une inégalité sociale à l’inégalité fondamentale qui sépare hommes et femmes face à une grossesse non désirée. En suivant le destin brisé de cette famille modeste qui défie les autorités, c’est la vie de millions de femmes que l’on découvre -on estime alors qu’elles sont chaque année entre 500 000 et un million à avorter en secret, et 5000 à mourir de complications-, et le ras-le-bol qui les a conduites à se mobiliser pour que l’IVG soit enfin légalisée en France, quelques années après la contraception. Ces conquêtes historiques obtenues au prix d’événements tels que ce procès sont les droits fondamentaux dont jouit la jeune génération de femmes aujourd’hui, à son tour investie dans les combats de l’ère #MeToo.
Chacune d’entre elles incarne une facette du combat que mènent les femmes depuis toujours pour conquérir leur liberté.
Parce que c’est un hommage aux femmes engagées
En creux de la pièce, se dessine un portrait de l’avocate Gisèle Halimi, dont la carrière a été marquée par son engagement féministe. Lorsqu’elle décide de médiatiser le procès de Bobigny afin d’alerter l’opinion publique sur les dangers de l’avortement clandestin, elle s’est déjà illustrée dans la lutte pour l’indépendance de la Tunisie, le pays où elle a grandi, et pendant la guerre d’Algérie. C’est d’ailleurs son livre Djamila Boupacha, cosigné avec Simone de Beauvoir, qui donne l’idée à la famille Chevalier de la contacter pour qu’elle assure leur défense. La pièce Hors la loi montre comment, aux côtés de Beauvoir et d’autres, l’avocate intrépide décide de faire de cette banale affaire d’avortement un procès politique dénonçant la loi de 1920 qui pénalise contraception et avortement. Sa brillante plaidoirie est restituée sur scène, tout comme l’intervention de Simone de Beauvoir qui démontre que les petites filles sont poussées dès leur plus jeune âge à s’accomplir en tant que mères pour mieux tenir les foyers une fois devenues adultes. Les mots de charge mentale ne sont pas prononcés, mais c’est bien de ça que l’écrivaine parle déjà en 1972. Tous ces personnages féminins se succèdent sur la scène du Vieux-Colombier et l’on suit pendant deux heures leur destinée plus ou moins tragique, à l’instar de Marie-Claire Chevalier dont on partage les souffrances morales et physiques d’un avortement clandestin pour une fois visible, selon le souhait de la metteure en scène Pauline Bureau. Chacune d’entre elles incarne une facette du combat que mènent les femmes depuis toujours pour conquérir leur liberté; un combat sans cesse renouvelé et loin d’être achevé.
Myriam Levain
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