Dans La Maison de Bernarda Alba, une pièce de Federico García Lorca, cinq jeunes femmes sont enfermées chez elles par leur mère en signe de deuil. Pourquoi il faut foncer à la Comédie Française.
Si pour vous la Comédie Française rime avec Molière, poussière et sorties scolaires, La Maison de Bernarda Alba, de Federico García Lorca, devrait vous faire changer d’avis. Jouée à partir de ce soir et jusqu’au 6 janvier, cette pièce de théâtre fait souffler un vent d’Andalousie sur la salle Richelieu et nous emmène dans les années 30 en Espagne, aux côtés de cinq sœurs prises en otage dans leur propre maison. Trois bonnes raisons d’y aller.
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Une pièce de femmes
Le pitch, déjà, annonce la couleur: “À la mort de son second mari, Bernarda Alba impose à sa famille un deuil de huit ans et l’isolement à ses filles, comme l’exige la tradition andalouse.” Sur scène, il n’y a donc que des femmes, de la cadette de 20 ans aux vieilles domestiques témoins de ce huis clos angoissant. Pour mettre en scène une telle histoire de matriarcat, une femme est également aux commandes, Lilo Baur.
Les sœurs Alba, sanguines et déterminées, pourraient être des cousines éloignées des personnages d’Almodovar, ou plutôt leurs ancêtres.
Au fil des actes, on assiste à l’accélération du destin des cinq jeunes femmes, dont l’aînée, Angustias est exemptée de la punition car elle va se marier. La benjamine, Adela, elle, refuse de se résigner à son sort, d’autant qu’elle est tombée amoureuse… du futur mari d’Angustias. Passion, jalousie, trahison, courage, soumission, rébellion, la pièce montre les femmes sous toutes leurs facettes, et pas toujours les meilleures. Mais au moins, le tableau sonne juste, et les rôles féminins sont puissants. Pour une fois, les faire-valoir sont les hommes, simples ombres qui traversent la scène et qu’on ne voit que de loin.
Un cagnard espagnol
Chaleur écrasante, églises, veuves noires: pas de doute, on est en Espagne, et plus précisément en Andalousie. Les sœurs Alba, sanguines et déterminées, pourraient être des cousines éloignées des personnages d’Almodovar, ou plutôt leurs ancêtres.
Écrite par García Lorca en 1936, deux mois avant son exécution par les franquistes, la pièce dénonce justement l’enfermement, la tyrannie, et le retour en arrière d’un pays en proie à ses traditions et ses superstitions. Elle a longtemps été censurée par le régime de Franco, ce qui explique sans doute qu’elle soit aussi peu connue chez nous. La Comédie Française lui donne un beau coup de projecteur, et nous offre au passage une illusion de canicule bienvenue à l’approche de l’hiver.
Un rôle moderne, qui a lancé Isabelle Adjani
En 1972, celle qui n’était alors qu’une ado apprentie comédienne de 17 ans est repérée par Robert Hossein pour jouer à Reims Adela, la benjamine insoumise et amoureuse. Déjà coproduite par la Comédie Française, la pièce est un carton et sera ensuite reprise à Paris au Théâtre de l’Odéon, révélant au grand public la talentueuse Isabelle Adjani. Depuis, elle n’avait pas été remontée en France.
Les sœurs Alba se battent comme elles peuvent pour ne pas devenir des spectatrices de leur vie.
Pourtant, les thèmes qui y sont abordés sont résolument contemporains. “Aujourd’hui, à l’heure où les voix rétrogrades concernant l’égalité des sexes se multiplient, le texte semble plus actuel encore qu’il y a 20 ans, écrit Lilo Baur dans le programme. Lorca, écrivain homosexuel, avait subi lui-même le poids écrasant de la morale et du regard des autres, la stigmatisation, la frustration et le désir contrarié dont souffrent ici les personnages.” Dans leur prison domestique, les sœurs Alba se battent comme elles peuvent pour ne pas devenir des spectatrices de leur vie et certaines en payeront le prix fort. Quinze ans après Virgin Suicides de Sofia Coppola, et à l’heure où Mustang est sélectionné pour les prochains Oscars, pas de doute que ce texte des années 30 résonne plus fortement que jamais.
Myriam Levain
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