Avec sa super-policière traquant un tueur de femmes en série, The Fall, dont la saison 2 est actuellement diffusée sur 13ème Rue, ne révolutionne pas, a priori, les codes de la série policière. A priori seulement, car le show de la BBC est probablement ce qui se fait aujourd’hui de plus féministe à la télé.
“Ne qualifions pas les victimes d’innocentes… Que se passera-t-il s’il tue ensuite une prostituée ou une femme qui rentre chez elle tard dans la nuit, saoûle, en minijupe? Seront-elles moins innocentes, et donc moins méritantes? Plus coupables? Les médias adorent diviser les femmes en deux catégories: les vierges et les vamps, les anges et les putes. Ne les y encourageons pas.” Stella Gibson, super-policière londonienne dépêchée à Belfast pour venir à bout d’une enquête sur des meurtres de femmes, briefe son équipe avant une conférence de presse. La réplique, inhabituelle dans les shows policiers, n’a rien d’anecdotique dans The Fall. La série défie l’unes de premières lois du genre: une misogynie certaine.
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Et passe haut la main le test de Bechdel: l’héroïne est une femme qui ne partage pas la vedette avec un autre enquêteur mais avec un meurtrier (Jamie Dornan, bien plus charismatique que dans 50 nuances de Grey), les seconds rôles sont autant féminins que masculins, les femmes discutent entre elles, et pas uniquement d’hommes et d’amour. Surtout, si Stella Gibson, incarnée par Gillian Anderson (Scully dans X-Files), est bien une femme hors normes, c’est avant tout par sa carrière.
“Contrairement aux autres héroïnes de séries policières, Stella Gibson ne paye pas sa carrière “masculine” par des problèmes psychiatriques ou une vie personnelle inexistante.”
“Parfois, à la télé, les femmes policières ne sont que des hommes joués par des femmes”, déplorait Allan Cubitt, l’auteur de la série, dans une tribune publiée en 2013. Gibson, elle, est toute aussi apprêtée qu’intelligente, courageuse et efficace. Contrairement aux autres héroïnes de séries policières, Sarah Linden de The Killing en tête, Stella Gibson ne paye pas sa carrière “masculine” par des problèmes psychiatriques ou une vie personnelle inexistante -elle se fait des amies et des amants à Belfast, où elle est de passage. Elle a une sexualité active et épanouie -elle n’hésite pas à inviter dans son lit un homme qu’elle vient de rencontrer pour refuser de le revoir par la suite-, ne s’en cache pas et surtout ne s’en excuse pas. Même quand elle est confrontée aux reproches de ses collègues masculins.
Non contente de traquer les tueurs en série, Stella Gibson combat quotidiennement la misogynie et le “mansplaining”: ces trop fréquentes situations où un homme explique à une femme d’un ton condescendant qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense ou de dire ce qu’elle dit. D’apprécier les coups d’un soir ou de fréquenter des hommes mariés, par exemple.
Gillian Anderson, alias Stella Gibson © BBC
“Avoir une femme pour personnage principal m’a permis d’exprimer, à travers elle, des idées sur les violences que subissent les femmes de la part des hommes qui étaient importantes pour moi”, écrit Allan Cubitt, qui évoque aussi avec d’autres personnages de la série les violences conjugales ou celles que subissent les prostituées. “Elle ne voit rien de mystérieux dans les actes du tueur. C’est juste de la misogynie -une violence séculaire des hommes contre les femmes. Elle considère que cette violence est endémique dans les sociétés patriarcales”, dit-il au sujet de Stella Gibson.
“La violence est ici assez peu montrée, mais tout de même difficilement tolérable.”
C’est d’ailleurs ce qui permet à The Fall de ne pas tomber dans l’écueil qui perd nombre de séries policières: la glamourisation des violences faites aux femmes. La violence est ici assez peu montrée, mais tout de même difficilement tolérable. Et Gibson est là pour rappeler la conviction de son créateur: “Le viol -peut-être le meilleur exemple de la violence patriarcale- n’est pas un crime passionnel, le résultat d’un désir masculin incontrôlable, d’une attirance ou d’une provocation de la victime mais un acte de pouvoir et de contrôle.”
Pour le blog The Muse, Madeleine Davies analyse: “Bien que les femmes soient souvent traitées comme inférieures ou comme des objets dans la série, elles ne sont jamais traitées comme inférieures ou comme des objets par la série (…) Plus qu’autre chose, il s’agit d’une critique de la masculinité, de la misogynie et de toutes les manières dont les téléspectateurs en sont complices (…) C’est toute la beauté de The Fall. Alors que les femmes sont souvent victimisées sans raison (comme dans la vraie vie), elles ont désormais une porte-parole.”
“On ne regrettera finalement que le pessimisme de ses créateurs et de leurs personnages pour l’avenir des relations hommes-femmes.”
Certes, les féministes convaincues auront par moments le sentiment que The Fall ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes, comme quand Stella Gibson lance à un collègue: “Un homme baise une femme. Sujet: homme; verbe: baiser; objet: femme. Ça va. Une femme baise un homme. Femme: sujet; homme: objet. Vous êtes moins à l’aise avec ça, n’est-ce-pas?” Mais, loin d’être une faiblesse, c’est l’une des forces de la série: elle est écrite et dirigée par des hommes qui ont pris le parti de rappeler aux hommes, et à certaines femmes aussi, ce que tous devraient avoir intégré.
On ne regrettera finalement que le pessimisme de ses créateurs et de leurs personnages quant à l’avenir des relations hommes-femmes, résumé par une conversation entre Stella Gibson et une légiste devenue son amie: “– Que diras-tu à tes filles plus tard pour qu’elle restent en sécurité? – Ne parlez pas aux hommes inconnus. -Aux hommes inconnus? -À tous les hommes, en fait.”
Raphaëlle Peltier
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