Sophie, 36 ans, a été diagnostiquée il y a six ans. Un cancer du sein, à son jeune âge, n’est pas courant. Devenue mère après sa guérison, la trentenaire n’a jamais été en conflit avec ce corps qui a tant changé pendant la maladie. Elle raconte.
“J’avais 30 ans au moment du diagnostic. A cet âge-là, on ne s’attend pas à ce genre de nouvelle. C’est mon conjoint qui a senti un jour une boule sur mon sein gauche. J’ai eu de la chance parce qu’elle était sur le côté. Si elle avait été au milieu, on ne s’en serait pas rendu compte. On a fait une mammographie de routine, pour vérifier. Les médecins me disaient qu’à mon âge, je ne devais pas m’inquiéter. Il n’y avait pas de cas dans ma famille, pas de raisons que ça m’arrive à moi. Puis c’est tombé. Avec mon compagnon, on avait décidé d’avoir un enfant. C’était le moment, on était bien, tout allait bien. J’ai tout de suite posé la question aux médecins. Ils m’ont dit que ça serait compliqué de devenir maman, et de toute façon pas avant cinq ou six ans.
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On ne m’a pas enlevé le sein, ma tumeur était à l’extérieur. On me l’a retirée, puis j’ai démarré un cycle de chimiothérapie. Le traitement met en aménorrhée, je n’avais plus de cycles. C’était comme une ménopause, j’avais tous les symptômes: les bouffées de chaleur, les sécheresses vaginales… Bref, le corps d’une femme de 50 ans, en contradiction avec ce dont j’avais envie à ce moment-là. J’ai eu ce sentiment d’être projetée en avant, alors que je n’avais pas eu le temps de vivre l’âge que j’avais. Mes copines se mariaient, avaient des enfants, sortaient, faisaient la fête. C’était compliqué de trouver ma place.
Rapidement, j’ai commencé à perdre mes cheveux. Ma tête n’avait pas trop changé, c’était toujours moi. C’était l’hiver, donc je mettais des foulards. Je ne supportais pas trop la perruque, j’avais l’impression de me déguiser. Quand ils ont un peu repoussé, je ne mettais plus rien. Le crâne rasé me donnait un côté un peu rebelle dans le regard des gens. Et puis j’ai perdu mes cils et mes sourcils. Mes sourcils n’ont jamais trop repoussé, ils sont super clairsemés. Le dernier traitement a aussi fait apparaître des plaques sur mon visage et j’avais les yeux qui pleuraient tout le temps. Là, c’était vraiment dur. Je me sentais vulnérable et mon image me rappelait celle de ma tante, décédée d’un cancer quelques années avant que je sois diagnostiquée. Elle avait cette même tête sans cheveux, sans sourcils. Ça parasitait beaucoup ce que je voyais dans le miroir. C’était le moment où l’image que j’avais de moi dans ma tête ne coïncidait plus avec celle que j’étais devenue. C’est un truc très bizarre. Dans la guérison, les deux se sont recollées, je me suis retrouvée.
“La sexualité devient compliquée. Pour des raisons physiologiques, avec le traitement effet ménopause, il y a tout qui s’arrête.”
Il y a aussi les cicatrices, celles des opérations, notamment pour retirer la tumeur. Et celle du cathéter qu’ils mettent pour les chimios, au dessus de mon sein droit. Celle-là m’a beaucoup dérangée. Avant, j’étais indemne de tout et d’un seul coup, je me retrouvais avec des trucs dans tous les sens. On perd totalement la maîtrise face au corps médical. On se fait déshabiller quinze fois par jour. Il y a des centaines de personnes qui ont vu mes seins. Les médecins font parfois ça un peu à la chaîne, ils oublient que ce n’est pas forcément évident de se retrouver à poil devant eux. Un truc qui m’a aussi pas mal marquée, c’est que pour la radiothérapie, pour que je sois calée tous les jours au même endroit, ils m’ont tatoué un point. Ce n’est rien du tout, ça ressemble à un grain de beauté, mais je trouvais ça super violent.
La fatigue n’a jamais pris le pas. Même si je n’en étais plus trop capable, je n’ai jamais arrêté mon boulot d’architecte. Ça tourne en boucle sinon, le cancer, la maladie, c’est super angoissant. J’ai aussi continué à faire du yoga, mais pas d’autres sports. Je n’avais plus du tout de muscles, plus du tout de forces, et plus du tout envie d’avoir mal et de me forcer. Donc le yoga, c’était très bien.
La sexualité devient compliquée. Pour des raisons physiologiques, avec le traitement effet ménopause, il y a tout qui s’arrête. En plus, je ne me sentais pas belle et j’étais super fatiguée. Ce n’est pas une période d’épanouissement, mais ça revient.
“Il y a quelques années, on interdisait aux femmes qui avaient eu un cancer du sein d’avoir des enfants.”
Après deux ans d’hormonothérapie, les médecins m’ont autorisée à stopper le traitement. Je voulais tomber enceinte. On ne connaît pas très bien les effets de la chimio sur la fertilité. Il y a quelques années, on interdisait même aux femmes qui avaient eu un cancer du sein d’avoir des enfants. On pensait qu’avec les hormones de la grossesse, le risque de récidive était plus important. J’ai eu Raphaël en 2016, après une fausse couche, et Anna cette année. Les deux naturellement. Dans mon histoire, le cancer est très lié à la maternité. C’est au moment où je me sentais prête que la maladie est arrivée. Du coup, devenir mère, ça m’a réparée.
Je voulais allaiter. Avant que Raphaël naisse, j’ai posé beaucoup de questions aux médecins. Je me demandais notamment si mon sein opéré allait fonctionner. Personne ne savait me répondre. Puis j’ai constaté moi-même qu’il produit très peu de lait. J’ai quand même pu nourrir mes deux enfants avec mon sein droit.
Mine de rien, depuis quelques années, ça a été rude pour mon corps. Je suis guérie, mais j’attends de me retrouver avec moi-même, en forme, avec de la force. Après le cancer, je vivais mon corps comme vide d’enfant, comme en attente. Je n’avais pas envie de l’investir autrement que par une grossesse. Quand j’aurai terminé d’allaiter Anna, j’ai envie de l’écouter comme il est, de l’accepter comme il est. Une relation un peu apaisée. J’ai une bienveillance particulière pour mon sein gauche. C’est lui qui a été malade. Certaines disent que le cancer, c’est comme une trahison de son corps. Pour moi, c’est juste mon compagnon de galère. Je ne suis pas en conflit avec lui, je ne l’ai jamais été.”
Propos recueillis par Tiphaine Le Berre
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