Avec des copines françaises, turques et kurdes, Clotilde Fauroux a créé le collectif Solidarité féministe avec Kobané. Cette étudiante de Nanterre s’est rendue aux abords de cette ville de Syrie envahie par Daech en 2014 et libérée grâce aux désormais célèbres combattantes kurdes. Témoignage.
“Je m’appelle Clotilde et j’ai 25 ans. Avec des amies, on avait rencontré une copine kurde, Turkan, lors d’un pique-nique. C’était en 2014 dans le parc de Saint-Denis. Moi, jusque là, j’avais une connaissance assez vague des Kurdes. Quelques semaines plus tard, en juin, l’État islamique a envahi le Nord de l’Irak et a massacré les Yézidis, des Kurdes qui ont conservé une religion très ancienne, qui date d’avant l’islam. Les femmes yézidies capturées ont été réduites en esclavage. C’est là qu’on s’est mises à beaucoup en parler.
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Le déclic
En septembre 2014, les djihadistes ont lancé l’offensive sur Kobané. On en discutait avec Turkan et elle nous disait: “On parle, on parle, mais là-bas, il y a des femmes qui luttent pour les femmes du monde entier. Qu’est-ce que vous faites pour ça?” C’est allé très, très vite ensuite. On a organisé des réunions pour rencontrer des Kurdes à Paris. C’est comme ça qu’on a été rejointes par des filles comme Samayeh, une Kurde iranienne, qui venait de débarquer en France pour faire sa thèse. Notre collectif Solidarité féministe avec Kobané était né. La situation en Syrie était chaotique, compliquée et méconnue. Il fallait s’informer directement sur place.
“J’ai grave planté tout le monde à la fac.”
On a formé une délégation avec quatre Françaises, deux Kurdes d’Iran, une Kurde de Turquie et une Turque. Et sans prévenir, début novembre 2014, on a pris un vol pour Diyarbakir. Sur place, on a visité un camp de Yézidis. La distance entre Kurdes et Yézidis était encore très grande. C’étaient les premiers contacts entre les deux peuples. Malgré des racines communes, ils devaient apprendre à se connaître. Par exemple, les Yézidis ne pouvaient pas porter certains vêtements qui leur avaient été distribués, parce que leurs croyances leur interdisent le bleu.
“En France aussi des femmes se font assassiner”
À Diyarbakir, on est aussi allées à l’académie des femmes, une maison de quartier qui leur est réservée, avec une très belle cour. C’est un café où elles peuvent parler entre elles, et se soutenir. Elles essaient d’établir un savoir entre femmes, pour les femmes, elles appellent ça la “jinéalogie” -ça vient de jîn, “femme” en kurde, et logos, “savoir” en grec-. Au sein du mouvement kurde, les femmes se sont organisées entre elles. C’est comme ça qu’elles ont pu imposer aux hommes un nouveau rapport de force et faire évoluer le mouvement.
Il y avait une tapisserie qui représentait trois militantes kurdes assassinées par l’État turc en plein Paris en 2013. Les Kurdes qui étaient là nous ont tout de suite dit: “Mais qu’est-ce que vous faites contre ça? En France aussi des femmes se font assassiner!” Elles nous ont bien remises à nos places.
Des barrières invisibles
Ensuite, on a pris un minibus pour aller à Mahser, un village de Turquie face à Kobané. Juste avant qu’on arrive, les gens avaient fait une chaîne humaine pour soutenir les réfugiés qui affluaient, face à l’armée turque qui bloquait la frontière syrienne. Ils avaient tiré et une jeune Kurde de 28 ans était morte.
Malgré tout, à l’arrivée, c’était un jour de fête, on a partagé le repas de l’Achoura, une commémoration importante dans l’islam. Les villageois de Mahser avaient refusé de partir, comme l’armée turque l’exigeait, pour des raisons de sécurité. Ils se réunissaient tous dans la mosquée, les hommes et les femmes ensemble. C’était impressionnant de voir tomber ces barrières invisibles, surtout pour celles d’entre nous qui viennent de pays musulmans, comme Samayeh.
“Dans ces camps, les femmes ne luttent pas moins que ceux qui sont au front.”
J’ai vu Kobané depuis le toit de la mosquée, d’où les gens suivaient les combats. J’entendais les bombes. Puis, il y a eu une veillée, le soir, autour du feu. Je suis restée jusqu’à deux heures du mat’, des copines ont pris le relai. On a passé la nuit à boire du thé et à chanter. Même moi, j’ai chanté. On a parlé politique aussi, avec Fayza Abdi, la coprésidente du conseil de Kobané. Au Rojava, le Kurdistan syrien, tous les conseils locaux et tous les commandements sont codirigés par un homme et une femme. C’est un modèle dont on a beaucoup à apprendre. Le lendemain, elle nous a emmenées dans les camps, où elle connaissait tout le monde. Dans une tente, une femme nous a dit: “Mon sang n’est pas moins rouge que celui des combattants des YPG (Ndlr: Unités de protection du peuple, l’armée kurde syrienne).” Parce que dans ces camps, les femmes ne luttent pas moins que ceux qui sont au front.
Esprit de résistance
On était parties avec l’image des guérilléros kurdes. Là-bas, on a compris que c’était beaucoup plus profond. C’est un esprit de résistance qui ne s’arrête pas à ceux qui prennent les armes. Les camps de réfugiés, c’est encore Kobané. Un chauffeur nous a ramenées gratuitement à Diyarbakir. Samayeh à l’avant discutait avec lui. Ses deux fils combattaient à Kobané. Lui, il avait passé dix ans en prison et été torturé plusieurs fois. Il ne nous connaissait pas, mais il nous rendait service parce qu’il respectait ce qu’on avait fait.
Au retour, les Kurdes nous ont proposé de coordonner le projet de reconstruction de la ville. On a écrit un rapport, on multiplie les réunions et on se mobilise pour récolter de l’argent. On a organisé une grande fête le 8 mars 2015. Et ce 28 novembre, on remet ça au Centre culturel kurde de Paris. En espérant que la situation locale nous permette de retourner là-bas dans l’année.”
Propos recueillis par Jérémy André
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