Dernièrement, des sportifs de haut niveau ont fait leur coming-out. Peut-on enfin espérer la fin de l’homophobie dans le sport?
A moins de deux semaines d’intervalle, Brittney Griner, star montante du basketball féminin, et Jason Collins, qui joue en NBA depuis plus de dix ans, ont révélé leur homosexualité dans les colonnes du célèbre magazine américain Sports Illustrated. Alors que les sportifs et ex-sportifs ouvertement homosexuels se comptent sur les doigts de la main, ces deux coming-out ont déclenché l’enthousiasme. Voit-on venir les dernières heures de l’homophobie dans le sport ? Interview de Sylvain Ferez, maître de conférence en sociologie à l’université de Montpellier et auteur de Le corps homosexuel en-jeu. Sociologie du sport gay et lesbien.
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Les coming out de Brittney Griner et Jason Collins sont-ils un épiphénomène ou le signe d’un changement des mentalités ?
Ni l’un ni l’autre. Que des athlètes dévoilent leur homosexualité ou que leurs sponsors utilisent cela pour communiquer n’est pas un épiphénomène. Ca veut dire que les mentalités ont changé dans le sport de haut niveau (ndlr : depuis le premier coming out d’un footballeur professionnel, l’Anglais Justin Fashanu, en 1990) : les athlètes homosexuels peuvent en parler sans être accablés. Mais il faut garder en mémoire que ces coming out ne sont pas seulement le fruit d’une logique militante, mais aussi parfois commerciale.
Même si les coming out se multiplient, il y a peu de chances qu’on arrête d’entendre des insultes homophobes sur les bords des terrains le dimanche. C’est une culture, une habitude sur laquelle l’actualité n’a pas de prise. L’exemple de Jason Collins n’aura probablement pas un impact fort sur les mentalités.
Est-il plus facile pour un sportif ou pour une sportive d’assumer son homosexualité ?
Une fille qui pratique un sport collectif va plus facilement trouver des espaces pour expérimenter et vivre son homosexualité, alors qu’il n’existe pas d’espaces similaires pour les garçons. C’est donc a priori plus facile pour les femmes.
Ils ne rencontrent pas non plus les mêmes obstacles, car les réactions face à l’homosexualité sont totalement différentes dans le sport masculin et dans le sport féminin. Chez les hommes, traiter son adversaire de “pédé” ne signifie pas que l’on pense qu’il est homosexuel. Ce mot désigne d’abord le faible. Chez les femmes, c’est tout l’inverse. Plus une sportive performe, surtout dans des sports de tradition masculine, plus on dira qu’elle n’est “pas très claire”, “androgyne”, “garçon manqué”, “lesbienne”. Du coup, la communication des sportives, de leurs clubs et de leurs fédérations sportives est souvent hyper-féminisée.
Quels sont aujourd’hui les principaux chantiers pour lutter contre l’homophobie dans le sport ?
Plus que d’en débattre à l’Assemblée nationale ou faire de nouvelles lois contre la discrimination, il faut maintenant porter le débat au niveau local, dans tous les espaces sociaux, comme dans le sport amateur. Concrètement, ça veut dire qu’il faut que les associations portent plainte plus systématiquement contre ceux qui insultent ou discriminent, et que les éducateurs soient formés sur ces questions, que les clubs LGBT puissent participer aux compétitions traditionnelles, que les parents condamnent les insultes homophobes au bord des terrains… Les institutions sportives communiquent de plus en plus là-dessus, par exemple en excluant les supporters les plus intolérants ou violents, mais elles ne changent pas forcément leurs pratiques à des niveaux moins visibles, comme celui de la prévention. Pourtant, elles ont un rôle de médiation essentiel à jouer.
Propos recueillis par Raphaëlle Peltier
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