À peine 5% des agents de joueurs sont des femmes. Dans certaines fédérations, il n’y en a aucune. Comment expliquer qu’elles soient si peu présentes dans cette profession?
“Plus on va dans les sports de compétition, moins il y a de femmes”, lance William Gasparini, sociologue du sport à l’université de Strasbourg. La profession d’agent sportif “est pourtant accessible tant aux hommes qu’aux femmes, mais elles restent très peu nombreuses dans les métiers de cadres”, constate-t-il. Effectivement, exercer ce métier ne demande que l’obtention d’une licence. Se la procurer exige la réussite d’un concours, difficile certes, mais accessible à tous. Il faut dire que “dans le sport, les métiers relationnels, tels que les agents, sont plus hermétiques aux femmes”, remarque William Gasparini.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans le football, le sport où l’on compte le plus d’agents, sur les 338 licenciés, il n’y a que 13 femmes. Stanislas Frankiel, docteur en sciences du sport, a écrit Une histoire des agents sportifs en France. Primé par les instances de l’Union des Clubs professionnels de football (UCPF), son ouvrage décrypte les rouages de la profession dans le milieu du foot. “Le secteur est très concurrentiel. C’est un milieu endogame où il faut être ‘fils de’. Par exemple le père de Jennifer Mendelewitsch, la plus connue des femmes agents, exerçait lui aussi la profession avant elle.” En plus, “les femmes agents sont bien souvent accompagnées par des hommes: leur frère, leur père ou leur mari”. Pourquoi? “Ça rassure leur interlocuteur masculin”, répond l’universitaire, avant d’ajouter: “Le milieu du sport en général est très conservateur et traditionaliste”.
Face à l’agent? Seulement des hommes
“Dans le rugby, on se rend vite compte que c’est un milieu d’hommes et qu’il y a peu de place pour nous”, avoue l’une des rares femmes à être agent dans la discipline, qui tient à conserver l’anonymat. “Débarquer en tant qu’indépendant n’est déjà pas facile et encore plus quand on est une femme. Il faut en faire deux fois plus pour être prise au sérieux par certains clubs avec qui l’on négocie”, concède-t-elle. Il faut dire qu’à la tête des clubs, on trouve principalement des hommes.
“Une femme a un droit d’entrée doublement plus important pour être légitime.”
Au niveau des fédérations, c’est pire. “En France, sur les 92 fédérations sportives, il y a seulement 10 présidentes”, dénonce Marie-Françoise Potereau, présidente de Fémix’Sports. Son association se bat pour qu’il y ait plus de femmes dans les instances sportives, et il y a de quoi faire. “Même les sports ultra féminisés comme la gymnastique ou l’équitation sont dirigés par des hommes”, déplore-t-elle. Et c’est face à tous ces hommes qu’un agent doit défendre les intérêts de ses joueurs. “Pour un sportif, ce n’est pas une faiblesse d’être représenté par une femme. C’est plutôt avec la partie adverse que ça coince. Les clubs ont leur petites habitudes…”, témoigne une agent.
Des préjugés envers le sport féminin
“Un ancien footballeur aura toute crédibilité pour exercer le métier d’agent. Mais une femme a un droit d’entrée doublement plus important pour être légitime”, explique William Gasparini. En clair, l’athlète en fin de carrière dispose d’une bonne connaissance de son sport mais surtout du carnet d’adresses nécessaire au métier d’agent. Seulement, il y a nettement moins d’anciennes sportives pour la simple raison qu’il y a moins de sports professionnels féminins que masculins. Donc moins de candidates pour se reconvertir en agent. Voilà pourquoi Marie-Françoise Portereau pense que “ce qui pèche, c’est qu’il y ait trop peu de sports professionnels féminins”.
Nombreux sont donc ceux qui s’accordent à dire que pour féminiser la profession d’agent, les athlètes ne doivent pas avoir peur de faire appel aux femmes. Karla Marz, ancienne joueuse de tennis et aujourd’hui agent chez Pro Elle Tennis, en fait partie: “Les sportives doivent être demandeuses pour être représentées par des femmes.” D’autant que des agents manquent clairement d’enthousiasme pour accompagner les joueuses professionnelles. “Certains hommes pensent que le tennis féminin est dur à vendre, que les filles sont moins gérables”, regrette Karla Marz. Et cela n’est pas sans conséquence sur les carrières sportives des femmes: “Ces préjugés posent des barrières au développement du tennis féminin. C’est pourquoi je pense que le sport féminin est mieux représenté par des agents femmes.”
“Je me suis posé des questions pour savoir si j’avais bien ma place dans ce milieu où il n’y a que des hommes.”
Soit. Mais les femmes sont-elles intéressées par ce métier? Selon Marie-Françoise Portereau, “il faut les encourager à y aller pour qu’elles se disent ‘Pourquoi pas moi?’”. Elle préconise la sensibilisation pour “présenter la profession d’agent aux femmes puis les accompagner et les conseiller” et pourquoi pas créer “des indicateurs et ainsi pousser les fédérations à rechercher plus de femmes pour passer les concours”.
L’auto-censure des femmes
“Il ne faut pas non plus que les femmes pratiquent l’auto-exclusion dans cette profession, tempère le sociologue William Gasparini. Beaucoup de professions paraissent masculines par nature et la discipline sportive elle-même produit aussi des clivages, il faut déconstruire des fausses représentations en faisant de l’information.”
C’est justement en s’informant que Stéphanie Guerassimoff en est venue à s’orienter vers ce métier. Cette trentenaire est élève à l’École des agents de joueurs de football (EAJF), “Je me suis posé des questions pour savoir si j’avais bien ma place dans ce milieu où il n’y a que des hommes”, se souvient-elle. “Mais je me suis renseignée et j’ai vu que d’autres femmes avant moi l’avaient fait. Ça m’a rassurée et j’ai décidé d’y aller moi aussi.”
Les chiffres de son école prouvent qu’elle n’est pas la seule à vouloir conquérir le terrain du métier d’agent sportif. “Il y a de plus en plus de femmes qui s’inscrivent pour suivre notre formation. Au début, on en a eu une, aujourd’hui ça tourne autour de huit ou neuf”, confirme Sidney Broutinovski, le directeur de l’EAJF. Et même si c’est “un boulot où il y a beaucoup de machos”, Stéphanie Guerassimoff espère pouvoir faire changer la donne. Pour elle, c’est certain, “plus les femmes vont oser, plus d’autres femmes se lanceront à leur tour”.
Ségolène Crespin
{"type":"Banniere-Basse"}