Difficile d’être un personnage féminin dans le palpitant monde de James Bond. Longtemps sacrifiées, abandonnées, moquées ou cantonnées aux rôles de plantes vertes mondaines, les James Bond Girls, petit à petit, se vengent. Alors que Spectre, avec Léa Seydoux et Monica Belluci, sort en salles demain, retour sur 6 James Bond Girls marquantes.
James Bond est un gros macho, Daniel Craig le dit lui-même. Il aime les grosses voitures, les montres de luxe et les smokings. Les femmes? Le plus souvent réduites au statut de simples conquêtes qui finissent zigouillées au cours de la mission. Cette réputation de potiche tombant dans les bras de l’espion dès la première œillade poursuit les James Bond Girls. Elles sont parfois naïves, à l’image de Christmas Jones dans Le Monde ne suffit pas, ou pas très malignes comme Mary Goodnight dans L’Homme au pistolet d’or.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Rien d’étonnant quand on connaît les penchants sexistes de Ian Fleming, premier auteur de James Bond. Pour lui, la femme idéale doit “savoir faire la sauce béarnaise aussi bien que l’amour”. Aïe. Il allait même jusqu’à donner des surnoms très graveleux à ses personnages féminins –Holly Goodhead (Ndlr: “bonne suceuse”), Plenty O’Toole (traduite par “Abondance Delaqueue” dans la version française de Les diamants sont éternels), et autres Pussy Galore (Ndlr: “chattes à gogo”). Cette dernière était lesbienne avant de se laisser séduire par James Bond -“Il suffisait qu’elle rencontre le bon homme pour la guérir”, a écrit Ian Fleming dans une lettre mise aux enchères demain. Charmant.
Heureusement, en plus de 50 ans de cinéma, les James Bond Girls ont changé. “Les personnages féminins sont de plus en plus forts, intelligents, et doués au tir ou en arts martiaux”, explique Frédéric Brun, auteur d’un livre intitulé Les James Bond Girls, réédité cet automne à l’occasion de la sortie de Spectre, nouvel opus de la saga en salles demain. “Les réalisateurs ont toujours voulu coller à leur époque, reprend le spécialiste, les ennemis de Bond incarnent ainsi la grande peur d’un moment, ce n’est pas un hasard si les derniers films évoquent le cyberterrorisme ou l’écologie. C’est la même chose pour les James Bond Girls: la libération sexuelle des femmes a influencé les films.” Bien sûr, elles sont toujours sexy et servent de faire valoir au héros -pourquoi changer une recette marketing qui marche?- mais certaines étonnent par leur indépendance et leur modernité. Retour sur six James Bond Girls ayant su être plus que de simples figurantes.
1962: Honey Ryder (Ursula Andress), la première potiche (ou pas)
L’impact d’Ursula Andress dans la pop culture tient en deux mots: bikini blanc. Quand James Bond contre Dr No est projeté pour la première fois dans les salles anglaises, cette Naissance de Vénus moderne choque les foyers traditionnels, habitués aux maillots une pièce et aux femmes dans la cuisine. Ursula Andress y a les cheveux lâchés, l’eau de mer ruissèle sur sa peau bronzée, et elle exhibe ce tout premier bikini blanc, inventé pour l’occasion: les costumiers l’ont découpé dans de la soie de parachute. Pire encore, elle porte un couteau à la ceinture et pratique la plongée sous-marine, une activité à l’époque exclusivement masculine.
Alors oui, aujourd’hui, ses dialogues sont risibles et c’est à se demander si ce personnage n’a pas moins de QI que les coquillages qu’il ramasse mais en 1962, Honey Ryder est une petite révolution. Pas mal pour un premier film. Frédéric Brun rappelle d’ailleurs que “Honey Rider n’est pas la toute première femme à apparaître dans James Bond contre Dr No: dans les vingt premières minutes du film, le personnage de Sylvia Trench tient tête à l’espion dans un jeu d’argent, s’introduit dans son appartement, lui vole sa chemise de pyjama et se met à jouer au golf, encore une fois une activité très masculine. Tout ça paraît très décalé aujourd’hui, mais il faut recontextualiser.” Montrer une femme effrontée dans un film populaire -Ian Fleming qualifiait lui même les James Bond de romans de gare -, passe encore, mais n’allons pas jusqu’à la rendre trop maligne.
1967: Aki (Akiko Wakabayashi), la première collègue
DR
Akiko Wakabayashi, une des James Bond Girls d’On Ne vit que deux fois, n’est pas restée dans les mémoires avec son petit rôle et sa mort rapide. Pourtant, elle est la première actrice asiatique à apparaître dans un James Bond et elle incarne la première espionne de la saga. Elle et 007 sont sur un pied d’égalité. Elle sera suivie par une tripotée d’alter ego espionnes, de l’Agent XXX (Barbara Bach) dans L’Espion qui m’aimait à Jinx (Halle Berry) dans Meurs Un autre jour. Sans compter bien sûr la fidèle secrétaire Miss Moneypenny et M, la boss de James Bond jouée depuis 1995 par une femme, Judi Dench.
1969: Tracy Bond (Diana Rigg), la première aimée
DR
Tracy Bond, la James Bond Girl de Au Service de sa majesté, conduit, porte un pistolet, sauve 007, se joue de lui, lui tient tête. Il la courtise, et finit même par l’épouser. “Le mouvement peace & love est passé par là”, souligne Frédéric Brun. Le bonheur est de courte durée: Mme Bond est assassinée pendant sa lune de miel. Des allusions au statut de veuf de James Bond sont disséminées dans L’Espion qui m’aimait ou Rien que pour vos yeux. L’espion était déjà tombé amoureux dans Casino Royale, le tout premier livre James Bond adapté au cinéma en 2006, sans toutefois épouser sa belle (Attention spoiler: elle meurt).
1999: Elektra King (Sophie Marceau), la première insoumise
“Elle ne sert pas le mal, elle EST le mal.”: pour Frédéric Brun, Elektra King, jouée par Sophie Marceau dans Le Monde ne suffit pas, est unique. Elle n’est pas la première à trahir James Bond mais aucune femme avant elle ne l’avait fait en toute indépendance: Elektra King n’est pas le bras droit ou l’amante d’un vilain, mais un personnage subtil tombé du côté obscur de la force. Elle marque ainsi sa totale autonomie vis-à-vis des hommes. Le film se conclut d’ailleurs par une séance de torture où Pierce Brosnan subit un petit jeu sadomaso.
Le SM et la violence sexuelle étaient également représentés (crûment, certaines scènes ayant même été censurées) dans GoldenEye via Xenia Onatopp, qui apprécie par dessus tout tuer des bonhommes en leur broyant les testicules pendant qu’ils lui font l’amour. Un pied de nez pour Frédéric Brun: “Quand, au début des années 90, de plus en plus de voix se sont élevées contre l’image trop éthérée des James Bond Girls, les producteurs ont présenté Xenia Onatopp comme un équivalent totalement caricatural de James Bond, violente, sexuelle, dominatrice.” De quoi frôler la parodie.
2008: Camille Montes (Olga Kurylenko), la première exception
© Sony Pictures
Si le personnage joué par Olga Kurylenko dans Quantum Of Solace marque, ce n’est pas pour ce qu’elle fait, mais avant tout pour ce qu’elle ne fait pas: elle est la seule et unique James Bond Girl à ne pas coucher avec 007. L’habituelle scène de sexe post-sauvetage du monde n’est même pas suggérée. Dans cette suite de Casino Royale, James Bond cherche la vengeance à tout prix, tout comme Camille Montes voulant faire payer à un dictateur véreux la mort de sa famille. “James Bond a trouvé une petite sœur, sa catharsis”, glisse Frédéric Brun. Cerise sur le gâteau, elle ne meurt même pas.
2012: Séverine (Bérénice Marlohe), la première… Ah non, rien
Frédéric Brun l’annonce tout de go: “Skyfall est le film le plus sexiste de la saga.” James Bond doit y protéger M, qui finit (Attention spoiler) par mourir dans de terribles souffrances sur la tombe de papa et maman Bond. C’est à peu près la seule caution féminine du film. Il y a bien Séverine, une ancienne prostituée qui couche avec James Bond, mais elle se fait rapidement assassiner -l’espion montrera d’ailleurs davantage d’émotion quand sa chère Aston Martin explosera. Quant à Moneypenny, elle rate un tir et se retrouve secrétaire.
Skyfall marque un énorme retour en arrière. “La sortie de Skyfall célèbre les 50 ans de James Bond”, rappelle Frédéric Brun, le but n’est pas de présenter des personnages féminins intéressants, mais de faire plaisir aux fans de longue date avec des gadgets des anciens films, comme le pistolet à reconnaissance digitale ou l’Aston Martin DB5 de Sean Connery.” Spectre, avec Léa Seydoux et Monica Bellucci, saura-t-il redresser la barre? Réponse demain en salles.
Clémence Meunier
{"type":"Banniere-Basse"}