Après Call Me By Your Name, le cinéaste italien Luca Guadagnino s’offre un remake du cultissime Suspiria de Dario Argento (1977). Dans le premier rôle, une femme furieusement à la mode de nos jours, la sorcière. Une figure féminine, qui, autrefois résumée à son chapeau et son nez crochu, fait aujourd’hui office d’icône féministe dans la pop culture et notamment les salles obscures.
“Je veux montrer que les femmes ont du pouvoir, qu’elles sont très fortes et déterminées. Ce ne sont pas des victimes. Ce sont des êtres complexes, fantastiques, troublants, puissants et parfois maléfiques.” Voilà comment Luca Guadagnino introduit son remake de Suspiria. Au programme, une naïve et fraîche ballerine américaine, qui fait son arrivée dans une école de danse à Berlin au coeur de la Guerre Froide. L’institution n’est que le paravent d’une assemblée de sorcières. Féministe, le film fait de la sorcière une véritable héroïne et interroge au passage la représentation des filles d’Hécate dans les salles obscures.
Celle qui a traumatisé légions de têtes blondes, c’est sans nul doute la sorcière de Blanche-Neige (1937), dont le portrait n’est pas forcément flatteur pour les amatrices de sabbat. Son programme? Interroger quotidiennement un miroir sur sa beauté et projeter de tuer sa belle-fille qui la menace sur ce terrain. Chez ses cousines de Disney, comme Ursula (La Petite Sirène, 1989) ou Maléfice (La Belle au bois dormant, 1959), la joie n’est pas au rendez-vous. Toutes les deux sont exclues: de la cour du Roi Triton pour la première, des réjouissances organisées autour de la naissance de la Princesse Aurore pour la seconde. Bref, des vies pas reluisantes, toutes tirées des contes traditionnels européens.
Durant l’après-guerre, la sorcière devient le reflet des persécutions politiques, comme dans Les Sorcières de Salem (1957) de Raymond Rouleau, inspiré par la pièce d’Arthur Miller, allégorie du maccarthysme qui venait de sévir aux États-Unis. Elle entre discrètement dans la vie de Monsieur et Madame Tout-le-Monde avec la série Ma Sorcière bien-aimée (1964). Mais attention, pas question que la voisine ne connaisse la véritable nature de Sam, femme au foyer qui règle les petits soucis du quotidien en un mouvement de narines.
Dans les années 1980, les femmes savantes font leur entrée dans les comédies dramatiques avec Les Sorcières d’Eastwick, où trois soeurs qui vivotent, en quête de compagnons, vont rencontrer le diable pour révéler leurs talents de sorcière. Bref, on repassera pour le test de Bechdel. Enfin, dans les années 1990 et 2000, la sorcière devient furieusement pop avec la série ado Sabrina, l’apprentie sorcière, ou le rendez-vous du samedi soir sur M6, Charmed, qui célèbre la sororité, tout en préconisant aux sorcières de se cacher du reste du monde.
Face au regain d’intérêt pour ses méchants, l’écurie Disney offre à l’un de ses plus beaux spécimens, Maléfique (2014), un blockbuster féministe qui, pour Anne Larue, autrice de Fiction, féminisme et postmodernité, réhabilite les sorcières: “C’est un film qui met en scène, à la fin, un homme féministe. Tous les personnages sont liés par un mode de lecture féministe, le méchant, qui est éliminé, étant le ‘sale mec’, au profit du ‘vrai homme’.”
Dans The Witch (2016) de Robert Eggers, une jeune fille, issue d’une famille dévote du XVIIe siècle, établie en marge de la civilisation dans la Nouvelle-Angleterre, va pleinement accepter les ténèbres pour s’en aller danser nue autour du feu dans la forêt et nous flanquer vraiment la trouille, tout comme sa cousine de Suspiria. Dans les colonnes du Guardian, Hazel Cills, journaliste pour Jezebel, souligne qu’après la légèreté des années 2000, la sorcière de la pop culture devient plus sombre. Et d’ajouter: “Je pense qu’être une femme effrayante est un grand pouvoir, et c’est ce dont les hommes ont peur.”
Lisa Agostini