Pour multiplier les matches, la tentation est grande de se mettre en scène sur ses photos de profil d’applis de dating… quitte à provoquer soi-même la déception au moment de la rencontre.
Existe-t-il un profil idéal pour multiplier les matches sur les applis de rencontre? Ces dernières s’accordent à dire qu’il y aurait un minimum requis de cinq photos. “Dans ces cinq photos, il doit y en avoir une où l’on voit bien un visage, une photo de plain-pied, une photo qui exprime vos goûts: est-ce que vous aimez aller à la campagne, est-ce que vous aimez les animaux, faire la fête avec vos amis, aller faire du trek ou du backpack à l’autre bout du monde…”, précise Amélie Guerard porte-parole de Once.
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Marie, 24 ans, en pause de dating depuis qu’elle a rencontré son dernier mec sur OkCupid il y a quatre mois, est en désaccord total avec la précédente affirmation. “En soirée j’ai parlé à un pote de pote, il avait toute une stratégie par rapport à Tinder. Il m’a listé tous les types de photos qu’il mettait sur son profil. J’ai trouvé ça très drôle parce que, dans la vraie vie, il était plutôt mignon, mais si j’avais vu son profil sur Tinder tel qu’il me le décrivait, jamais je ne l’aurais matché”, confie la jeune femme.
“Plus vous mettez un fossé entre l’image que vous donnez de vous et la réalité, et plus vous vous exposez à ce que l’autre soit déçu.”
Fabienne Kraemer, psychanalyste spécialiste du couple et autrice de 21 clés pour l’amour slow, explique pourquoi ce type de mise en scène ne peut que décevoir. “Quand vous rencontrez quelqu’un via une photo sur Internet, ça génère obligatoirement du fantasme. À partir de là, si le fantasme est très loin de la réalité, ça génère une déception. Plus vous mettez un fossé entre l’image que vous donnez de vous et la réalité, et plus vous vous exposez à ce que l’autre soit déçu”, explique la praticienne.
Marie se souvient que la découverte de ce monde d’apparences a été difficile. Elle affirme ne pas être photogénique et ne pas rentrer forcément dans les critères de beauté standard. “Je ne suis pas du tout une meuf mince. Je suis brune, il y a plein de gens qui n’aiment pas ça. J’ai les cheveux bouclés, c’est pareil”, détaille-t-elle. Elle a commencé par utiliser Tinder vers 20 ans. La jeune femme explique y être restée parce que la proportion plus importante d’hommes que de femmes l’a rassurée. “Quand t’es une fille, t’as toujours plein de matches”, concède-t-elle. En clair, le fait d’utiliser l’application lui permettait de booster son ego.
Le meilleur du pire
L’argument s’avère illusoire pour Fabienne Kraemer. “Bien sûr que ça les rassure. Par contre il y a beaucoup d’hommes qui ne font pas de tri au moment de swiper, mais qui le font au moment du match. Donc c’est une fausse réassurance”, constate la psychanalyste.
Lorsqu’elle utilisait encore les services de rencontre, Marie explique que la consultation de Tinder se faisait entre copines. “On était deux et on faisait ‘lui non, lui non, lui oui’”, raconte la jeune femme. Parmi les profils qui la rebutent figurent “le mec blanc qui se prend en photo alors qu’il a rencontré des petits africains en mode ‘white savior’”, ou encore “le mec sur un bateau genre je sors d’HEC”. Les photos d’hommes torse nu arrivent en tête des repoussoirs chez elle. Ils sont monnaie courante sur les sites de rencontres.
“Un mec qui se met en petit chat ou en lapin, ce n’est pas possible.”
Les applications de dating confirment cette tendance. Thévi de Coninck, porte-parole d’Happn raconte comment elle en a pris la mesure: “J’ai été surprise par le nombre de garçons qui posent torse nu ou en maillot de bain. Moi, ça fait trois ans que je suis arrivée chez Happn. J‘en ai vu passer des profils. Je pensais que c’était quelque chose de plus féminin de se montrer dévêtu. Mais au final c’est beaucoup plus les hommes qui le font, à la salle de sport, à la plage, en rando.” Autre mode, la multiplication des selfies. Selon Amélie Guerard, porte-parole de Once, sur ce terrain, les hommes font jeu égal avec les femmes. “Ce que l’on voit aussi pas mal, ce sont les filtres Snapchat ou Instagram: le filtre chien, le filtre biche, le filtre ‘qui rend beau’”, complète-t-elle. Pour Ingrid, 28 ans, de retour depuis quelques mois sur Tinder suite à une rupture, ce genre de profil est rédhibitoire. “Un mec qui se met en petit chat ou en lapin, ce n’est pas possible.”
La multiplication des selfies s’explique, selon Fabienne Kraemer, par le désir de maîtriser son image. “C’est très difficile de se voir photographié par quelqu’un d’autre car ça reflète une image que l’on n’a pas envie de voir de soi parce qu’on s’est construit individuellement un personnage idéal”, décrypte la psychanalyste.
Une seule photo peut suffire
Ce n’est pas sur le profil d’Ingrid que l’on trouvera toute une collection de selfies. La jeune femme ne souhaite pas se prendre la tête à se mettre en scène. Elle n’utilise qu’une seule photo, où on la voit en grosse doudoune entrouverte dans sa voiture. Seule sa tête est visible. “Je n’ai pas envie de déballer ma vie et que je ne suis pas la pro du selfie”, justifie-t-elle. Face à elle, il ne lui faut pas plus de photos pour matcher. “Faut bien voir sa tête. Moi si je ne vois que ça, ça me va, je découvre le reste plus tard”, poursuit-elle.
Contrairement à elle, Aurélie, 37 ans, utilisatrice en dilettante d’OkCupid, aime en apprendre davantage sur les photos. “Moi, je suis assez sensible à un mec qui va mettre une photo de lui dans un musée ou au pied d’un monument parce que ce sont des choses qui me correspondent. J’aime les voyages et la culture, donc ce qui va m’attirer, ça va être un mec en train de faire de la musique. Ou alors des photos un peu décalées, un peu geek, parce que je sais que je suis une nerd et que l’on va parler le même langage.” Elle même a mis une photo déguisée en étudiante de Poudlard. “Des mecs m’ont contactée pour me demander si j’étais fan d’Harry Potter, ça a créé des échanges”, explique la jeune femme.
Pourtant, la découverte de l’autre peut s’avérer cruelle lors du premier rendez-vous. Pour son dernier date, Aurélie pensait avoir affaire à un rockeur. L’homme qu’elle a rencontré avait, sur son profil, une photo de lui en concert avec une guitare. En échangeant, il lui avait dit qu’il était leader d’un groupe et qu’il faisait au moins deux scènes ouvertes par semaine. “Je me disais: c’est un vrai, un tatoué”, plaisante-t-elle. Arrivée au rendez-vous, l’homme qu’elle s’imaginait comme une rockstar faisait finalement terriblement cheap à ses yeux. “Je me suis dit: jamais je pourrai coucher avec un mec comme ça!” Une déception qui ne surprend pas Fabienne Kraemer. “Typiquement, ce genre de situation sur les sites de rencontres est propice aux mauvaises surprises. Ce n’est pas tant vis-à-vis de l’autre que vis-à-vis de soi-même que l’on veut exposer une image qui colle au fantasme que l’on a de soi. Plus cette image est éloignée de la réalité et plus vous invitez l’autre à ne pas vous aimer, vous, et à en aimer une autre”, explique-t-elle.
Le fantasme de soi-même
Poussée à l’extrême, cette logique du “soi fantasmé” amène les utilisateurs et utilisatrices de sites de dating à rechercher leur clone. “Il y a une telle narcissisation que les gens désirent se retrouver dans l’autre. Il n’y a plus du tout l’idée que l’amour est une surprise, quelque chose qui doit nous bouger sur nos conceptions de l’altérité, dans la curiosité de l’autre”, affirme Fabienne Kraemer.
“On continuera de se rencontrer par le biais des applis.”
Les sites de rencontres l’ont bien compris et parfois même en jouent. Jusqu’en décembre 2017, Once, contrairement aux autres services, ne s’appuyait pas uniquement sur un algorithme pour proposer des profils à consulter. Des matchmakers humains étaient en charge de la sélection finale pour n’en envoyer qu’un par jour. Ces opérateurs avaient un certain nombre de directives. “Ils avaient plutôt tendance à associer un garçon ‘selfie salle de sport’ avec une fille ‘filtre Snapchat’… Et en général c’était des matches qui fonctionnaient”, reconnaît la porte-parole de la marque, Amélie Guerard.
Même si les sites de rencontres, tels qu’ils sont pensés aujourd’hui, sont responsables de nombreuses déceptions, Fabienne Kraemer ne remet pas pour autant leur utilité en cause.“Je sais que l’on continuera de se rencontrer par ce biais et que ce sera peut être même le seul, vu que le pli est pris. Il ne faut pas aller à l’encontre de cette technologie”, estime la psychanalyste.
Les bannir pour éviter la déception serait donc une erreur. Cependant, leur usage ludique est une forme de trompe-l’œil, qui mérite de prendre du recul. S’y mettre en scène sous son meilleur jour, voire sous un jour fantasmé, peut certes déboucher sur plus de matches à court terme… mais la désillusion n’en sera que plus grande au final.
Cédric Soares
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