À 28 ans, Sihame Aarab exerce le métier le plus sexy de la planète selon une étude de la Harvard Business School. Elle est data scientist chez Microsoft et elle adore son métier.
Entre les maths et la philo, Sihame Aarab a longtemps hésité. Comme chaque lycéen français, elle a dû choisir sa voie après son bac et ça n’a pas été facile. “Je voulais être psychanalyste mais quand on m’a expliqué qu’il fallait faire de la littérature pendant deux ans, j’ai abandonné.” C’est son père qui lui a transmis le goût pour la philosophie depuis son plus jeune âge.
Quand elle arrive en France avec sa mère et ses deux frères à 13 ans, l’ado marocaine a déjà un goût prononcé pour les mathématiques, mais cultive aussi son côté rêveur. On a du mal à imaginer cette jeune femme “au caractère un peu difficile”, comme elle le dit elle-même, tenir un micro et chanter ses propres textes. Et pourtant, c’est son moyen à elle de s’évader, de réfléchir et de faire le point. La philo ne la quittera jamais et d’ailleurs, elle regrette qu’en France, il soit impossible d’allier des matières qui ne vont soi-disant pas ensemble. “À l’origine, tous les grands penseurs étaient aussi mathématiciens.”
Perfectionniste, exigeante envers elle-même et avec des facilités à l’école, c’est tout naturellement que Sihame Aarab s’inscrit en maths/info à Paris-VI. Mais c’est en arrivant en master à Paris-V en machine learning (Ndlr: la création d’algorithmes pour recueillir des données) que cette jeune femme trouve son bonheur. “Ça été la révélation, se souvient-elle. Le problème est qu’à très haut niveau, les maths deviennent parfois très abstraites. Le machine learning est la liaison idéale entre les maths et l’informatique appliquée à des cas concrets.”
“Les filles ne connaissent pas les débouchés de l’informatique et tout cela se décide au lycée.”
Embauchée chez Microsoft en 2014 pour son stage de fin d’études, Sihame Aarab analyse et maîtrise des données numériques pour créer des produits et résoudre des problèmes afin que les entreprises en tirent des bénéfices. Un peu compliqué à comprendre et surtout assez récent, le métier de data scientist est en constante évolution. Pour la jeune scientifique, qui aime bien faire des plans de carrière, mais qui avoue ne pas toujours les suivre, ce métier correspond à la perfection.
Cette grosse bosseuse aime travailler en relation avec les autres équipes de chez Microsoft. “J’adore le côté très libre de cette entreprise sans horaires fixes.” Elle est capable de rester des heures au boulot mais pour être performante, son truc, c’est de s’isoler. Au bureau ou chez elle, mais surtout la nuit, Sihame a besoin de sortir de sa zone de confort, de se faire des films et de rêver autour d’un objectif qu’il faudra atteindre.
Sur la vingtaine de personnes qui travaillent autour de la donnée chez Microsoft, seules trois sont des femmes, et Sihame Aarab se demande souvent pourquoi. En filière S au lycée, il y avait beaucoup de filles avec elle, mais la plupart se sont dirigées vers la biologie après le bac et peu vers les maths. “Les filles ne connaissent pas les débouchés de l’informatique et tout cela se décide au lycée, regrette-t-elle. Il est nécessaire d’informer tôt les jeunes sur tous les métiers qu’il est possible de faire et d’en finir avec les idées reçues comme informatique égal geek, ou quelqu’un qui reste devant son ordi toute la journée. Ce n’est pas la réalité, je suis en contact avec beaucoup de personnes.” Alors, quand on lui demande si son métier est le plus sexy de la planète au XXIème siècle, elle rit et explique: “Sexy, je ne sais pas mais c’est mon métier!” Interview.
À quand remontent les premiers symptômes de ton workaholisme?
Je pense que ça a commencé quand je faisais de la musique. À 17 ans, j’ai commencé à aller en studio avec des producteurs pour enregistrer mes textes. Je me creusais trop la tête sur les textes et sur la technique pour les adapter avec la musique. En plus d’être beaucoup trop perfectionniste et exigeante avec moi-même, je n’avais peut-être pas énormément confiance en moi à cette époque. Puis ça a continué en master où je me suis dit qu’après une scolarité moyenne, il fallait que je sois classée dans les meilleurs pour pouvoir entrer dans les entreprises que je visais. À ce moment-là, j’ai énormément travaillé.
“C’est tout récent de faire appel aux mathématiques pour traiter un problème RH et c’est passionnant.”
La fois où tu as frôlé le burn-out?
Ça n’est jamais arrivé. Les personnes qui font un burn-out encaissent beaucoup de choses jusqu’au jour où ça explose. Pour ma part, j’ai un caractère un peu difficile à certains moments, mais qui me permet d’être très cash dans mes relations, même si parfois ça ne plaît pas à tout le monde.
En quoi travailler est-il grisant?
J’ai l’impression de changer les choses. Quand on voit arriver des représentants d’une entreprise avec un problème et qu’on a toutes les cartes en main pour proposer des solutions, c’est grisant. J’aime particulièrement quand il y a une problématique liée à l’humain à traiter car l’effet de mon travail est visible. C’est tout récent de faire appel aux mathématiques pour traiter un problème RH et c’est passionnant.
Ton truc pour être performante?
M’isoler et réfléchir. Je le fais au niveau professionnel mais aussi au niveau personnel. Je fonctionne beaucoup par objectifs. Je me fais plein de films, j’essaye de chercher le maximum d’infos. En ce qui me concerne, c’est l’écriture qui me permet d’extérioriser sur de nombreux sujets; je ne suis pas une grande sportive et ne suis aucun régime alimentaire particulier.
“Je ne pense pas être carriériste mais plutôt ambitieuse.”
Quels sont les effets secondaires désagréables?
Quand je suis trop concentrée sur quelque chose, j’ai tendance à négliger un peu ma vie sociale. C’est arrivé plusieurs fois que l’on me dise “On ne te voit plus!” C’est vrai, je le constate de plus en plus et mon entourage a raison. Je ne pense pas être carriériste mais plutôt ambitieuse: il y a des objectifs que j’ai envie d’atteindre et je ferai tout pour ça.
La dernière fois que tu as fait une nuit blanche?
Depuis toujours, je fais beaucoup de nuits blanches. Pas forcément pour travailler ni pour faire la fête mais ça m’arrive d’être tellement à fond dans ma musique ou dans l’écriture que je ne me rends parfois pas compte de l’heure. D’ailleurs je réfléchis mieux la nuit, c’est pour ça que j’avais du mal à aller aux amphis le matin.
Ton anti-stress le plus efficace?
Quand je suis très stressée, je relativise et je pense à autre chose. J’écoute de la musique, j’écris, je vais voir des amis pour extérioriser.
Ta façon d’appréhender la détox?
La detox, ça me fait flipper; j’ai terriblement peur de m’ennuyer. J’ai toujours envie d’acquérir plus de compétences et de développer d’autres choses. Enfin, parfois, je prends des vacances et là, j’arrive à tout lâcher et à ne plus regarder mes mails.
À long terme, envisages-tu de décrocher?
Je n’en sais rien mais je ne suis pas fermée. Parfois, quand je regarde mon évolution et les plans que je m’étais fixés, je vois que ça ne colle pas, mais ce n’est pas grave. Pour l’instant, je voudrais me diriger vers le conseil en stratégie au sein du machine learning mais peut-être que demain je vais changer d’idée. Pour l’instant, j’ai la chance de toucher à tout chez Microsoft, avec une grande indépendance dans mes horaires, et de pouvoir exercer un métier qui évolue en permanence à cause de sa jeunesse. Il est évident que de nouvelles professions vont voir le jour d’ici quelques années dans cette branche, ce qui me permettra de bouger.
Qu’est ce qui te ferait arrêter?
Pour le moment, pas grand chose. Les enfants, je n’espère pas: ce serait pour moi une catastrophe d’arrêter à cause de la famille. Je fais partie de la catégorie de gens qui ont besoin de toujours faire quelque chose.
Propos recueillis par Marie-Bertille Cardera