Loin de l’image vieillotte qu’il s’est longtemps traînée, le chat est devenu cool avec l’avènement d’Internet, et nombre de jeunes couples fraîchement installés ensemble décident d’en adopter un avant même d’avoir un enfant. Un véritable phénomène de société que la popularité des lolcats ne suffit pas à expliquer. Enquête.
En plein cœur de Paris, le mois dernier, hipsters barbus en lunettes à grosses montures et mamies emmitouflées dans leurs manteaux d’hiver se mêlent dans les rayons d’un magasin. Bonnets de Noël, nœuds papillons, vêtements chauds, cupcakes… les fêtes approchent, et chacun vient s’équiper en conséquence. Sauf que nous ne sommes pas aux Galeries Lafayette mais dans une boutique pour animaux de compagnie, devenue une étape shopping comme une autre.
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Elle paraît désormais lointaine, l’époque où les chats étaient surtout perçus comme les compagnons attitrés des vieilles dames esseulées. En une poignée d’années, par la grâce de YouTube et des lolcats, les félins ont pris possession des Internets sur lesquels ils règnent désormais en maîtres. Le chat-qui-rate-son-saut-et-s’-écrase-par-terre, les chatons-qui-discutent-ensemble, le chat-qui-s’-approche-comme-si-il-jouait-à-1-2-3-soleil ou le chat-déguisé-en-requin-et-perché-sur-un-robot-aspirateur-qui-poursuit-un-canard cumulent les likes et les millions de vues. On se gausse, on s’esclaffe, on s’attendrit et, pendant ce temps là, le chat “trop mignon” devient cool, le chat “croq’chou” devient hype. Bref, le chat passe, pour les jeunes, du statut d’animal fourbe et glandeur à celui d’objet de désir qu’ils brûlent d’avoir chez eux.
En France, près d’un foyer sur trois possède au moins un chat, selon une étude TNS Sofres parue en 2012. Alors que le chien est réputé être le meilleur ami de l’homme, il ne cesse de perdre du terrain par rapport à son concurrent félin et semble aujourd’hui complètement submergé par les petites boules de poils (11,4 millions de chats contre 7,6 millions de chiens). Et si aucune étude démographique n’existe sur les possesseurs de chats, toutes les associations contactées en attestent: les jeunes couples sont très nombreux à adopter des petits félins.
“J’ai toujours voulu avoir des animaux mais mes parents étaient contre.”
Ceux qui ont eu ou côtoyé des animaux dans leur enfance fournissent sans surprise le gros des troupes. “Ils ont souvent eu un animal de compagnie quand ils étaient plus petits, et ça leur manque”, explique la SPA d’Ivré l’Evêque (Sarthe). Les autres, que l’on pourrait qualifier de “primo-adoptants”, existent néanmoins aussi. Laura, 24 ans, a ainsi adopté Indiana Jones Junior avec son compagnon Micah, 30 ans, après l’avoir trouvé abandonné. Elle a eu un coup de cœur et ne le regrette pas. “Indiana m’a fait découvrir et aimer les chats. J’ai toujours voulu avoir des animaux mais mes parents étaient contre.”
Mais les souvenirs d’enfants et le succès des chats sur la Toile ne suffisent pas à expliquer l’engouement que suscitent les félins auprès de la génération Y. Alors pourquoi, à l’âge où nos parents faisaient des enfants, adopte-t-on un chat en 2015?
Des “enfants idéaux”
“Un chercheur avait émis l’hypothèse, au début des années 80, que les animaux de compagnie représentaient en quelque sorte des enfants idéaux, parce qu’ils ne grandissent jamais et que l’on peut passer du temps avec eux dès qu’on en a envie, analyse Jérôme Michalon, sociologue et auteur de Panser avec les animaux, sociologie du soin par le contact animalier. Cette hypothèse n’a jamais été vérifiée, mais l’adoption d’un chat peut tout de même parfois être vue comme l’arrivée d’un premier enfant dans le couple. En tout cas, c’est le modèle qui est encouragé par les associations et les refuges, qui cherchent à s’assurer que l’animal sera considéré comme un membre de la famille, et qui parlent de ‘placement’ des animaux comme on parle de ‘placer’ des enfants dans des familles d’accueil.”
Les couples sans enfant à qui nous avons parlé refusent d’assimiler l’adoption d’un chat à un désir d’enfant, mais ceux qui ont des (vrais) bambins sont moins catégoriques. “D’une certaine manière, on peut dire que ça a été le début de notre petite famille, mais on n’y avait pas vraiment pensé comme à un test”, témoigne Caroline, 32 ans, qui a adopté une chatte il y a huit ans avec son compagnon Sébastien. “On ne l’a jamais pris en se disant que c’était un test, mais inconsciemment cette idée était sans doute un peu présente”, confirment Romain et Marine, 30 ans, qui ont adopté Jeannot il y a quatre ans. Les deux couples ont, depuis, vu leurs familles s’agrandir, avec des petits hommes cette fois, et la cohabitation se passe très bien. L’expérience du chat les a-t-elle aidés pour l’éducation de leur bébé? Là-dessus, ils sont formels: “Avoir un chat ou avoir un enfant, cela n’a rien à voir!”
“L’animal permet d’expérimenter un mode de relation bienveillant envers les autres.”
“Pour aider à se construire en tant que parent et en tant que couple, passer par la case adoption d’un chat peut aider, car prendre soin d’un autre être apprend à prendre soin de soi-même, mais aussi des autres humains. Il y a beaucoup de travaux là-dessus qui attestent de cela, nuance tout de même Jérôme Michalon. L’animal permet d’expérimenter un mode de relation bienveillant envers les autres.”
La relation bienveillante, une façon de gagner de la douceur? C’est ce que beaucoup des propriétaires de chats mettent en avant pour expliquer leur décision de prendre en charge un matou. Au cœur de villes bétonnées, à une époque où les emplois sont de plus en plus précaires et les lieux de travail des endroits trop souvent anxiogènes, le félin représente la promesse d’une bulle domestique faite de paresse et de câlins. “Avoir une petite boule de poils qui ronronne quand on rentre à la maison, ou qui se roule en boule sur nos genoux quand on lit ou qu’on regarde la télé, c’est quelque chose qui fait du bien, raconte François, 26 ans. Notre chat ne nous a jamais permis d’arrêter une dispute avec ma copine, mais peut-être que sa présence calme et sereine, qui nous apaise sans doute un peu, nous en a déjà évité certaines.” Globalement, tous plébiscitent la compagnie qu’apporte un chat. Pour Caroline, qui a grandi à la campagne, en adopter un, c’était aussi “un moyen d’avoir un peu de nature à Paris”. Et Laura n’hésite pas à dire que pour elle, avoir un chat est tout simplement “magique! Avec lui, je reçois de l’amour inconditionnel comme je n’en avais jamais connu”.
Pas une simple peluche
Les chats seraient donc d’adorables petites bêtes sources de réconfort, ajoutant un peu de couleurs vivantes au gris de nos vies citadines, tout en offrant aux couples une première responsabilité commune? Le tableau semble idyllique. Les associations s’échinent pourtant à rappeler que les félins ne sont pas des jouets, qu’ils supposent un engagement sur plusieurs années accompagné de nombreuses obligations, et que la méconnaissance de ces réalités explique une grande partie des trop nombreux abandons. “Les gens recherchent la peluche, il y a une forme d’idéalisation de l’animal, et c’est un risque, reconnaît Jérôme Michalon. Ils découvrent ensuite la contrainte, qu’avoir un animal ce n’est pas toujours facile”. Aussi mignons soient-ils, les chats, surtout en appartement, grimpent en effet aux rideaux, griffent les canapés, tombent malades… Et quand les maîtres partent en vacances, il faut trouver quelqu’un pour garder minou, car l’emmener en voyage se révèle souvent compliqué.
Ces contraintes, la plupart des adoptants assurent qu’ils en ont toujours eu conscience. Tous ont jugé que le jeu en valait la chandelle. Et un argument revient systématiquement: un chat, c’est beaucoup plus facile à gérer que son éternel concurrent le chien, surtout en ville. “Le chien, il faut le sortir tous les jours… Le chat, il est assez indépendant, il s’auto-régule au niveau des croquettes et il est beaucoup plus propre”, assure Caroline.
“Les gens qui ont des chats cherchent surtout à avoir une bulle domestique avec leur animal.”
L’indépendance: un mot que l’on entend souvent dans la bouche des propriétaires de chats. Mais Jérôme Michalon en est persuadé: “La plupart du temps, quand on parle de l’indépendance du chat, ce n’est pas pour son caractère. C’est surtout parce qu’il n’est pas nécessaire de le sortir pour qu’il fasse ses besoins!” Au-delà de sa “mignonnerie”, le triomphe du chat sur le chien ne serait-il donc pas aussi un signe de notre époque, citadine et individualiste? “Les gens qui ont des chats cherchent surtout à avoir une bulle domestique avec leur animal, poursuit le sociologue, alors que ceux qui ont un chien se baladent avec lui, ce qui leur permet de s’approprier leur environnement et, bien souvent, de socialiser dans la rue avec d’autres personnes. De cette manière là, le chien a un vrai rôle de “lubrifiant social”. Ce n’est pas le cas du chat”. Éternel enfant, présent sur la Toile, attendrissant mais assez individualiste: avec le chat, la génération Y pourrait bien avoir trouvé son emblème.
Quentin Blanc
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