La comédienne Aidy Bryant, qui fait partie de l’équipe de Saturday Night Live, adapte pour Hulu la géniale autobiographie de Lindy West, Shrill (“Strident” en français), qui sera sur les écrans le 15 mars.
Depuis quelques années, les séries télé ont eu tendance à passer à côté de la représentation de leur héroïnes grosses. On passe sur les rôles clairement problématiques et grossophobes, comme Monica dans Friends ou Patty dans Insatiable. Mais si on aborde des personnages censés être plus respectueux, les regrets se font aussi entendre. Le problème? Elles sont souvent résumées à leur poids. Sur Refinery29, Ariana Romero reprochait ainsi à la série d’AMC Dietland de passer “trop de temps à s’attarder sur le fait que Plum est malheureuse d’être grosse. Elle fait le détail en voix off de la haine qu’elle ressent pour son propre corps”. Au moment de la diffusion de la saison 1 de This Is Us, la journaliste de Vulture Maggie Fremont se désolait aussi de l’arc narratif du personnage de Kate (incarnée par Chrissy Metz), qui repose selon elle “entièrement sur son poids”. Dans son autobiographie Hunger, Roxane Gay consacre tout un chapitre à la mauvaise représentation de l’obésité à l’écran, cantonnée aux émissions de télé réalité voyeuristes comme The Biggest Loser ou My 600 Pound Life.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le récit autobiographique de Lindy West est celui d’une émancipation féministe.
Tout cela explique l’élan d’espoir qui s’est emparé du mouvement fat positive lorsque Hulu a annoncé l’adaptation sur petit écran du récit autobiographique de Lindy West, Shrill, Notes from a Loud Woman (paru en anglais aux éditions Hachette Books en 2016) produite notamment par l’autrice elle-même et par Lorne Michaels (producteur de nombreuses séries cultes comme 30 Rock). Méconnue en France, Lindy West est devenue une véritable héroïne féministe aux États-Unis. Journaliste pour The Stranger (une publication de Seattle) puis pour Jezebel, elle s’est fait connaître par des textes forts et plein d’humour qui lui ont souvent valu d’être attaquée par des hordes de trolls sexistes et grossophobes. En 2011, elle poste notamment sur le site The Stranger l’article “Hello, I am Fat” (“Bonjour, je suis grosse”), une manière de revendiquer le terme face à son rédacteur en chef qui multiplie publiquement des points de vue insultants sur l’obésité. “Je n’ai pas honte de mon corps, écrit-elle. D’ailleurs, je l’adore.” Elle illustre l’article avec une photo d’elle accompagnée de la légende “Femme de 28 ans, 1,75m, 120kg”. Un an plus tard, West -une vraie “comedy nerd” selon ses termes- s’attaque au monde ultra-protégé du stand-up en écrivant l’article “How to Make a Rape Joke” (“Comment écrire une blague sur le viol”), qui devient immédiatement viral. Elle s’attaque au comédien Daniel Tosh qui avait pris une femme de son public à parti après que cette dernière a osé s’indigner d’une de ses blagues sur le viol. “Ce serait vraiment drôle que tu te fasses violer par plusieurs mecs ici, dans le club”, avait répondu Tosh. Son article a lancé un vaste débat qui lui a valu des torrents de haine sur Internet. “L’humour ne sert pas uniquement à refléter le monde, écrit-elle dans Shrill. Il l’influence aussi.”
Son récit autobiographique est celui d’une émancipation féministe. West raconte comment elle a appris à se désigner comme “grosse”, à se reconnaître dans d’autres femmes, à chérir la notion de sororité et à porter ses combats malgré le prix émotionnel que cela lui coûtait. Il y a bien sûr des passages sur les discriminations dont elle est la victime, sur ses angoisses à l’idée de devoir prendre l’avion et sur le regard des autres passagers, sur la violence des attaques qu’elle subit dans la rue et sur Internet. Mais Shrill est avant tout rempli d’autres histoires: la manière dont elle a aiguisé sa plume, ses aventures amoureuses parfois foireuses, ses amitiés, sa relation forte à ses parents, son avortement et ses conséquences… Autant d’aspects qui promettent l’écriture d’un personnage multidimensionnel qui ne se résumera pas à son poids mais qui portera une multitude de récits.
“Très souvent à la télévision, les personnages gros sont montrés comme s’ils pensaient en permanence ‘Je suis gros’.”
L’alter égo télévisuel de West, renommé Annie pour l’occasion, sera campé par Aidy Bryant, une comédienne de 31 ans qui fait partie du cast du Saturday Night Live depuis 2012 et qui a aussi participé à l’écriture de la série. Sur petit et grand écran, elle a pour le moment été cantonnée à des rôles secondaires, dans Girls, Horace and Pete, Broad City, I Feel Pretty ou The Big Sick. Les critiques avaient salué sa prestation dans la série de Lena Dunham, dans l’épisode où elle sortait avec l’ex de Marnie, Ray. Interrogée par le Hollywood Reporter, Bryant a confirmé vouloir mettre en avant son personnage d’une manière inédite. “Très souvent à la télévision, les personnages gros sont montrés comme s’ils pensaient en permanence ‘Je suis gros. Je suis gros quand je bois un café, je suis gros quand je marche dans la rue’, explique-t-elle. (…) Mais Annie a des amis cool. Elle a une super famille. De nombreux personnages de télévision sont résumés à leurs poids. Ils n’ont rien. Ils détestent tout.” Bryant compte bien bousculer ces a priori et proposer un récit qui ressemblera aussi à sa propre expérience.
“Quand j’étais enfant, je ne voyais personne comme moi à la télévision, écrit Lindy West dans Shrill. Idem dans les films, dans les jeux vidéos, au théâtre, dans les livres, il n’y en avait nulle part dans mon champ de vision.” Son autobiographie s’ouvre d’ailleurs par une liste des personnages auxquels elle aurait pu s’identifier au long de sa vie: Dame Gertrude dans Robin des Bois, Miss Piggy, Ursula dans La Petite Sirène, Marla Hooch dans Une Équipe hors du commun… “Le truc le plus déprimant avec cette liste, c’est que je me suis rendu compte que Baloo déguisé en diseuse de bonne aventure sexy dans Le Livre de la Jungle est vraiment le ‘role model’ le plus positif que j’ai pu avoir dans ma jeunesse.” Espérons que Shrill puisse offrir un modèle plus positif aux générations futures. Et qu’elle sera suivie par de nombreuses autres séries.
Pauline Le Gall
{"type":"Banniere-Basse"}