À l’occasion de la sortie de deux ouvrages sur le plaisir féminin –Petit éloge de la jouissance féminine et Volcaniques, une anthologie du plaisir-, nous avons demandé à 4 femmes de nous livrer leur définition de la jouissance.
La jouissance féminine a longtemps été ignorée. Du mécanisme physique qui menait les femmes à l’orgasme, on ne savait rien. Snobé par la médecine, le fonctionnement clitoridien a été étudié pour la première fois il y a à peine une dizaine d’années. Et aujourd’hui, si la parole s’est progressivement libérée autour du plaisir féminin, ce dernier reste toutefois tabou.
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À l’occasion de la sortie deux ouvrages sur le sujet, Petit éloge de la jouissance féminine de la journaliste Adeline Fleury et Volcaniques, une anthologie du plaisir, un ouvrage collectif dirigé par Léonora Miano dans lequel douze auteures du monde noir évoquent le plaisir féminin, nous avons demandé à 4 femmes de nous parler de leur vision de l’orgasme au féminin.
1. Axelle Jah Njiké*, 43 ans, auteure et passionnée par la parole des femmes dans l’espace urbain public et dans l’intimité
Axelle Jah Njiké DR
“La jouissance féminine, c’est apprendre à être soi, toutes les dimensions de soi, de la plus charnelle, animale à la plus cosmique et spirituelle. On y accède en acceptant d’être son sujet d’études, en se faisant passer avant le reste, avant tout autre personne ou considération, avant le monde en fait! Nous avons été éduquées pour satisfaire nos partenaires, et pas pour nous satisfaire nous-mêmes. Notre jouissance est supposée passer par le contentement de notre partenaire. Il faut que les femmes apprennent à revendiquer le bonheur pour elles-mêmes. Le lâcher-prise, c’est se faire confiance, s’autoriser à.
“Au moment où je jouis, j’ai l’impression d’être vraiment divine.”
Nous sommes en 2015, ce n’est pas possible de se concentrer autant sur le plaisir de son partenaire sans penser à soi, le vrai pouvoir des femmes est dans leurs corps. Je suis persuadée qu’il faut alimenter son imaginaire. Pour ma part, je suis une grande lectrice de littérature érotique et ce, depuis mes 13 ans. J’ai traîné des heures et des heures dans les bibliothèques pour y lire des choses que je n’aurais pas dû lire à cet âge-là. La lecture m’a appris à me faire jouir sans me toucher. J’ai cette capacité, de par l’imaginaire que je me suis construit, d’accéder au plaisir uniquement en pensant à quelque chose. Quand on lit de la littérature érotique -la bonne littérature érotique se lit d’une seule main d’ailleurs (Rires)-, il se passe a priori des choses dans votre corps. On apprend alors à faire attention à ce qui réagit physiquement, quelles sont les situations qui vous excitent. La lecture, contrairement au porno devant lequel on est simple spectateur, fait de vous le metteur en scène. Je suis venue à la masturbation plus tard, j’avais 27 ans. Je n’ai jamais eu de sentiment de honte. La première fois, j’ai ressenti une grande colère parce que j’ai compris ce que l’on cherchait à nous enlever avec l’excision. Je me suis dit ‘C’est ça que vous ne voulez pas qu’on éprouve’. Je me suis mise à pleurer.
Sans le désir, le monde n’existerait pas. C’est ce qui nous fait vivre. Aujourd’hui, avec toute la maturité de mes 43 ans, je vois la jouissance comme une secousse sismique. Au moment où je jouis, j’ai l’impression d’être le monde, d’être vraiment divine. Dieu ressemble à une femme qui jouit.
2. Adeline Fleury, 37 ans, journaliste et auteure
Adeline Fleury, © Éric Dessons
“Avant 35 ans, j’ai éprouvé du plaisir, un peu de désir mais pas de jouissance du tout. J’ai rencontré un homme, ‘l’homme électro-choc’ comme je l’appelle dans le livre, j’ai décidé d’écouter enfin mon désir et, grâce à lui, j’ai découvert la jouissance. Mon corps, qui a été bloqué très longtemps, s’est débloqué avec lui. J’avais déjà accédé au plaisir avec la masturbation mais ce lâcher-prise, cette impression de partir ailleurs, je ne savais pas ce que c’était avant. C’est toujours difficile de qualifier la jouissance par rapport à du simple plaisir mais je dirais que c’est une révélation des sens, de l’esprit, de l’âme et de mon identité. C’est quelque chose d’extatique, une dilution des sens dans le corps. C’est un état qui peut perdurer plusieurs heures, voire plusieurs jours. Ça consiste à sortir de soi pour enfin se connaître soi-même. Ce n’est pas avec tous les partenaires, ni à tous les coups. Pour moi, il est indissociable de l’amour, je n’ai jamais ressenti la jouissance avec un partenaire sexuel que je n’aimais pas. Aujourd’hui, je peux y accéder seule.
“Maintenant, je suis libre, je peux jouir seule ou avec d’autres hommes. La porte est ouverte.”
Physiquement, c’est une vague de chaleur, des frissons, l’impression que tout notre corps fond. Il n’y a presque plus aucune sensation au niveau du sexe. Tout se diffuse jusqu’à la moindre terminaison nerveuse. J’ai l’impression d’être sur une autre planète. La découverte de la jouissance a eu des répercussions sur mon épanouissement professionnel et personnel. Je me suis sentie plus assurée, plus à même de prendre des décisions tranchées. Dans mon livre, je crois que je parle davantage aux hommes, car je n’ai peut-être rien à apprendre aux femmes. Il faut seulement qu’elles sachent que jouir ne consiste pas à entrer dans la jouissance des hommes. Sans leur jouissance, il n’y a pas de jouissance. Aphrodite, dans la mythologie grecque, décide de tout, c’est elle qui utilise les hommes et les demi-dieux au bon vouloir de son désir à elle. Ma situation est sans doute paradoxale car il a fallu que je passe par un homme pour trouver la jouissance mais maintenant, je suis libre, je peux jouir seule ou avec d’autres hommes. La porte est ouverte.”
3. Nafissatou Dia Diouf*, 42 ans, auteure
Nafissatou Dia Diouf DR
“La jouissance est un état de plaisir suprême, un état de plénitude, un état où l’on tombe les barrières, où l’on se sent libérée de toutes les contraintes sociales et du regard de l’autre. Par elle, on atteint une dimension plus intime de soi. On se dépasse, on transcende certaines limites pour être face à soi-même. Je ne séparerais pas la jouissance féminine de la jouissance tout court. Les auteures se décomplexent sur le sujet, c’est un progrès de notre société. À titre personnel, en tant qu’auteure, je suis favorable à aborder toutes sortes de thématiques, ce n’est pas parce que je suis une femme qu’il y a des limites, rien ne m’est interdit. C’est un sujet que j’ai eu envie d’explorer. Dans la nouvelle que j’ai écrite, il n’y a pas de message particulier, c’est une œuvre de fiction, j’avais envie de mettre en scène une femme d’une trentaine d’années épanouie professionnellement parlant, mais à qui il manque quelque chose dans sa vie, un homme en l’occurrence.
“Dans nos sociétés phallocratiques, on a tendance à penser la femme comme un outil de reproduction, devant perpétuer la famille.”
Je suis née au Sénégal et là-bas, c’est une très petite minorité des ethnies qui pratiquaient l’excision. C’est quelque chose de cruel, d’abominable. Pas seulement cruel physiquement mais aussi pour ce que deviendra la femme plus tard, et pour cette porte fermée définitivement au plaisir et à la connaissance de soi. L’être humain est fait de plusieurs éléments mais la sexualité en est un très important. Dans nos sociétés phallocratiques, on a tendance à penser la femme comme un outil de reproduction, devant perpétuer la famille et la société. Aujourd’hui il est temps qu’elles puissent revendiquer le droit au plaisir, le droit à disposer de leurs corps comme elles veulent.”
4. Camille Emmanuelle, 35 ans, auteure et journaliste spécialisée sur les sexualités
Camille Emmanuelle © Guillaume Landry
“Je désignerais la jouissance et l’orgasme féminin comme un combat. Cette parole libre sur le plaisir féminin est très récente. Elle a longtemps été étouffée par la société judéo-chrétienne et c’est quelque chose qui a fait peur dans cette société patriarcale. Je veux dire merci aux sexologues, qui se sont dit ‘c’est pas un simple mystère, on va l’étudier’, et qui se sont intéressés à son fonctionnement. Je veux aussi remercier les artistes qui ont aidé à faire avancer les choses. Beaucoup d’entre eux, à compter des années 60, ont voulu montrer et dire la jouissance féminine, à l’image d’Anaïs Nin ou encore de l’artiste et performeuse féministe Carolee Schneemann. Cette dernière avait réalisé en 1967 un superbe film expérimental, Fuses, dans lequel elle s’était filmée en train de jouir; c’était le premier film porno centré sur le plaisir féminin. Il devait être projeté à Cannes mais, considéré trop “radical”, il avait finalement été relégué à la Quinzaine des réalisateurs. Beaucoup de femmes ont fait bouger les frontières.
“L’orgasme féminin est toujours maltraité par le porno mainstream qui est phallocentré.”
Ce combat n’est pas fini. L’orgasme féminin est toujours maltraité par le porno mainstream qui est phallocentré. Heureusement, il y a des femmes comme Erika Lust et Émilie Jouvet. Il est également maltraité par les magazines féminins qui en font une nouvelle injonction pour les femmes sans pour autant leur donner les clés du plaisir. On en parle de plus en plus mais pas forcément de façon plus libérée qu’avant ou plus positive. On a l’impression que c’est un acquis, alors que ça prend du temps à découvrir. Et puis, il y a encore beaucoup de choses fausses qui circulent sur la jouissance. Sans parler du fait qu’une vision génitale de la sexualité domine encore.
“C’est un instant où je cesse d’être et je deviens tout.”
Il n’y a pas une seule jouissance, chaque femme jouit différemment. Il y en a qui rient, il y en a qui donnent l’impression de pleurer. Ça peut être fulgurant, durer quatre secondes ou bien ça peut être long à monter, ça peut être brut, ça peut être très doux. On vit son orgasme selon son désir et selon la personne avec laquelle on est. Parfois, on est dans le lâcher-prise total, parfois dans la pudeur, parfois on souffle, parfois on hurle. Quand l’orgasme est lié à l’amour -ce n’est pas obligatoire, mais quand ça l’est-, il y a une espèce d’énergie qui ne ressemble à rien d’autre. Je dis ça alors que je ne suis pas du tout mystique, je suis très cartésienne! C’est un instant où je cesse d’être et je deviens tout. Je cesse d’être Camille, tel âge, tel métier, tout le masque social tombe et je deviens tout, à la fois une femme, un homme, l’autre en face de moi: je deviens un être universel. On touche alors quelque chose d’assez puissant qu’on ne trouve pas dans la vie quotidienne, on atteint quelque chose qui nous dépasse.”
Propos recueillis par Julia Tissier
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